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Heureux qui, comme aux Ulis, auront fait un long voyage

Le 24 avril 2016

Du 27 au 30 avril 2016, huit jeunes vont défendre les couleurs de la France au challenge de la First Lego League (FFL), qui se tiendra à Saint Louis, aux Etats-Unis. Ils font partie de l’atelier robotique de la médiathèque François Mitterrand des Ulis, où nous nous sommes rendu pour en savoir plus. Parmi nos interlocuteurs : la directrice et son adjointe, un des coaches, enfin, Elsa, la seule fille de l’équipe, et ses parents.

Tout commence par un email de Stanislas, le bien connu blogueur de monSaclay.fr, qui porte à notre connaissance la demande d’une mère de famille, Priscillia, relayée par une tierce personne. Elle voudrait obtenir un soutien de la Communauté de Paris-Saclay dans les démarches administratives à entreprendre en vue de faciliter le séjour aux Etats-Unis, de l’équipe lauréate d’un concours, auquel participait sa fille… Il y est question de robotique, des Ulis, d’un challenge international…

Intrigué, nous ne demandons qu’à en savoir plus : l’équipe en question est composée de huit jeunes de 10 à 16 ans (quatre Ulissiens, trois Orcéens et une Giffoise), qui fréquentent l’atelier robotique de la médiathèque François Mitterrand des Ulis, et qui viennent donc de remporter des concours, leur donnant droit de participer au challenge de First Lego League, qui se tiendra aux Etats-Unis, à Saint Louis précisément, du 27 au 30 avril prochain. On se frotte les yeux ! Une photo nous est adressée : on y voit effectivement huit jeunes en liesse, avec un trophée.
Autant le reconnaître, nous ignorions tout de l’existence de cette FLL comme d’ailleurs de l’atelier de robotique de la médiathèque pourtant toute proche. Dans l’entretien qu’elle nous a accordé, Marie Ros-Guézet (ex-présidente de Polvi et depuis peu détachée sur le dispositif « Ingénieurs pour l’école ») avait certes attiré notre attention sur le dynamique lycée de l’Essouriau de la même ville, qui dispose d’une plateforme technologique susceptible d’intéresser des startuppers (pour accéder à ce témoignage, cliquer ici). Décidément, nous sommes nous dit, les Ulis ne manquent pas de ressources ! Cette ville qui charrie des clichés à contre-courant de la réalité s’est manifestement mise au diapason de Paris-Saclay au point de prendre part à son dynamisme.
Quelques emails plus tard, nous voici donc à la médiathèque François Mitterrand, en présence de la maman (Priscillia, donc), mais aussi de sa fille (Elsa), du papa (Philippe), du responsable de l’espace numérique, par ailleurs co-animateur de l’atelier (Audric), enfin, de la directrice adjointe (Valérie). Nous serons ensuite rejoint par la très dynamique responsable du lieu (Marie-France) dont le large sourire en dit long sur l’état d’esprit qui règne dans cette institution.

Lutter contre la fracture numérique

Ainsi que le rappelle Audric, l’atelier a déjà cinq années d’existence (l’espace numérique ayant, lui, été créé dès le début des années 2000). Il a été fondé par son prédécesseur, Julien Devriendt, « un fan de robotique ». A ceux qui, comme nous, s’étonnent de l’existence d’un tel atelier au sein d’une médiathèque, il précise que c’est en réalité plus courant qu’on ne le pense : de tels ateliers ont vu le jour dans d’autres médiathèques. Comme le rappelle Valérie Ponsard, la directrice adjointe, l’espace numérique dans son ensemble vise à réduire la facture du même nom, en permettant aux habitants d’accéder aux nouvelles technologies. Au début des années 2000, c’était internet et les jeux vidéos. Depuis quelques années se sont ajoutées la robotique et la fabrique numérique : l’espace dédié de la médiathèque François Mitterrand dispose ainsi d’une imprimante 3D. Au-delà de son caractère ludique, l’atelier de robotique vise à inculquer jusqu’aux principes de la programmation.
A la question de savoir si cette mission a rencontré son public, Valérie arbore en réponse un grand sourire : « Vous seriez venu hier, vous auriez découvert un espace en pleine ébullition ! » Les enfants sont très nombreux à venir ici, seuls ou accompagnés de leurs parents, à l’image d’Elsa, dont le père fréquente assidûment l’atelier. « J’accompagne ma fille depuis qu’elle a voulu l’intégrer, il y a deux ans. Elle a souhaité non seulement que je sois présent, mais que j’y participe. » Manifestement, il ne s’est pas fait prier : ingénieur informaticien de formation et de métier, il a un intérêt particulier pour la robotique : « C’est un domaine appelé à se développer dans les années à venir. Participer à l’atelier est une manière de me tenir au courant. » Un intérêt qui l’a conduit à faire de la robotique chez lui. « J’ai commencé par acquérir un kit de Lego. » Le même récuse tout déterminisme : « Ma fille y a pris goût en fréquentant l’atelier, plus qu’en me voyant en faire à la maison. »
Nous faisons mine de nous étonner : la robotique, n’est-ce pas une activité de garçons ? De fait, Elsa est la seule fille de l’équipe. « Justement, insiste Valérie, il n’est pas question de reproduire des stéréotypes. Chacune des activités que nous proposons s’adresse indifféremment aux garçons et aux filles. Il ne tenait qu’à Elsa de faire ou pas de la robotique. » Manifestement, le reste de l’équipe n’a rien trouvé à y redire. A voir les photos, on perçoit que la seule fille du groupe s’est parfaitement intégrée. Valérie : « On espère d’ailleurs susciter des vocations chez d’autres filles. » Certes, comme elle en convient, il y a du chemin à parcourir. Mais elle se veut confiante : la pratique des jeux vidéos est de plus en plus mixte tandis qu’internet est désormais accessible à tous. De son côté, Audric tient à rappeler qu’au cours du concours national, ils ont croisé une équipe 100% féminine.
Et la maman, que pense-t-elle de la passion de sa fille ? Manifestement, elle n’y trouve rien à redire non plus, même si elle reconnaît ne pas avoir d’intérêt particulier pour la robotique et l’atelier. En toute franchise, elle dit venir à la médiathèque pour « consommer ». A commencer par des livres. Sa passion à elle, c’est la lecture. Une passion qu’elle a en partage. Elsa acquiesce dans un sourire en rappelant cette anecdote : « Un jour, nous avons même dû recourir à un caddie pour rapporter à la maison les livres empruntés. » Mais la médiathèque, c’est bien d’autres activités, à laquelle la maman prend part dans la mesure où son agenda le permet. Pour en revenir à la robotique, elle y voit d’abord un prétexte à faire du lien. Or, faire du lien, c’est une autre de ses passions : « J’ai toujours aimé jeter des passerelles entre les gens. J’y mets beaucoup d’enthousiasme. Si je peux faciliter les choses, je ne demande qu’à. » Nous confirmons volontiers : rappelons que c’est sa démarche qui a été le déclencheur de notre rencontre.

Du lien

« Créer du lien, c’est justement la vocation de la First Lego League », précise Audric. Entre ne serait-ce que les membres des équipes et les parents d’élèves. Mais aussi entre les équipes. Certes, c’est un challenge, et celles-ci sont donc en compétition. Mais il s’agit aussi de cultiver le sens de la coopération. « Au sein de la First Lego League, on parle d’ailleurs de coopétition ».
Pousse-t-on la logique jusqu’à faire du lien avec des acteurs du territoire ? s’enquiert-on. Oui, répondent quasiment en choeur Valérie et Audric. A chaque édition, précise la première, les équipes ont un thème à traiter à la manière de leur choix. Cette année, il s’agissait de « trouver de meilleures façons de traiter nos déchets ». Ce qui a valu à nos huit jeunes de visiter notamment le Siom de la Vallée de Chevreuse. Et la même de préciser comment toute la médiathèque a été ensuite sensibilisée à l’enjeu du recyclage à travers le travail de restitution de la visite. A notre grande surprise, pas de lien en revanche avec l’ENSTA Paris-Tech, qui forme pourtant des ingénieurs en robotique. Mais, déjà des échanges sont établis avec AgroParisTech. Par ailleurs, l’atelier n’hésite pas à solliciter, chaque année, un spécialiste de la robotique, en guise de mentor pour échanger avec les jeunes. Cette année, ce fut Julien Villemejane, qui enseigne l’électronique et l’informatique à l’Institut d’Optique Graduate School (IOGS) et qui, précise le papa, « a expliqué comment il amène ses élèves à s’émanciper progressivement des kits grand public pour concevoir eux-mêmes les composants électroniques. » C’est dire le niveau où l’atelier place son ambition.

Une médiathèque dans un écosystème

Comme chacun sait, les Ulis font partie de l’Opération d’Intérêt National (OIN) Paris-Saclay. On s’aventure donc à poser la question : dans quelle mesure la médiathèque en bénéficie-t-elle ? La réponse de Valérie fuse : « La médiathèque est riche de la diversité de la ville et, bien plus, de toute la Communauté Paris-Saclay [une des composantes de l’OIN]. Rien de plus facile que de trouver des partenaires pour chacun de ses projets. A titre d’exemple, elle cite un travail en cours sur le thème des gourmandises auquel elle souhaite associer, en plus des services de la ville, La Diagonale Paris-Saclay et le PROTO204. « Bref, il nous est facile pour un projet donné d’identifier un ou des partenaires. Il y a ici une énergie positive qui rend d’autant plus agréable la conclusion de partenariats. »
Au-delà de ces derniers, il y a les liens noués directement avec des chercheurs. « Plusieurs sont de nos lecteurs et/ou des parents d’élèves. » La mixité n’est donc pas un vain mot : « La médiathèque est fréquentée aussi bien par les gens des quartiers que des chercheurs du Plateau de Saclay. Tout le monde se rencontre ici au point de faire de la médiathèque un vrai lieu de vie. »
Le papa insiste : « Ici, on rencontre toutes sortes de gens, de tous les milieux et de tous les âges, du bébé jusqu’au senior ». Audric rebondit sur le « tous les âges » : « Durant les vacances de la Toussaint, nous avons organisé un atelier sur le thème des arduino, des cartes de programmation en open source que nous avait présentées l’enseignant évoqué plus haut. Un vrai atelier intergénérationnel réunissant aussi bien bien des retraités que des jeunes qui ont su travailler en bonne intelligence. » « Pas plus tard que la veille de notre entretien, complète Valérie, nous recevions, comme chaque semaine, les personnes qui suivent des cours de Français langue étrangère. » Une source d’enrichissement à l’image du plateau de Saclay : « Quel que soit le sujet qu’on souhaite aborder, on sait qu’on finira toujours par trouver la personne qui aura les compétences pour en parler. »

La FLL, mode d’emploi

Mais revenons donc à ces concours auxquels a participé l’équipe d’Elsa et qui lui vaut de partir aux Etats-Unis, du 27 au 30 avril prochain. Tout commence chaque année, au mois de septembre, avec la remise, par les organisateurs de la First Lego League, du kit (les pièces de Lego et le tapis avec la course d’obstacles que le robot doit franchir) à l’ensemble des équipes inscrites, en plus de la présentation du thème à traiter (cette année : de nouvelles manières de traiter les déchets, donc). Fort de son expérience de l’atelier (qui a déjà reçu le prix de la technicité, lors de la précédente édition du concours national, organisé à Nevers), l’équipe d’Elsa a pris un peu d’avance en anticipant sur la construction du robot. Audric : « La compétition débute effectivement en janvier, ce qui ne nous laisse que quatre mois. » Et ce, en parallèle à la scolarité. On pose donc la question : comment les élèves font-ils pour concilier la préparation de la compétition avec leur emploi du temps scolaire ? Audric : « Les activités du atelier se déroulent le mercredi, de 14 à 16 h, un créneau où les jeunes sont disponibles. C’est à mesure qu’on se rapproche de la compétition qu’ils sont amenés à faire des heures supplémentaires. Et manifestement sans rechigner. Elsa : « On n’hésite pas à revenir le vendredi soir. » Et puis, ajoute Valérie : « La médiathèque est un lieu sécurisé : les parents ne voient donc pas d’inconvénient à ce que leurs enfants y passent du temps. »
Pour aller aux Etats-Unis, nos jeunes ont dû préalablement franchir des étapes : la finale régionale organisé le 23 janvier dernier à Meudon (finale qu’ils ont emportée) et la finale nationale, organisée la semaine suivante à Nevers (où ils sont arrivés 4e). Elsa s’applique à nous faire le récit de cette étape : « Un premier jury est passé d’équipe en équipe pour juger de la technicité des robots. Nous avons reçue une note… ». Elle hésite, en se tournant vers son père : « Elevée ? » Le père : « Oui, oui, élevée et même très élevée ! » Elsa reprend : « Un 2e jury a ensuite jugé de l’esprit d’équipe. » Cette fois, pas besoin de se tourner vers son père, Elsa sait que ses comparses et elle ont brillé de ce côté-là aussi. Mais ce n’était pas fini. Avant l’épreuve des missions à remplir, un 4e jury a évalué le travail de recherche autour du thème de l’année. L’équipe se démarque encore en ayant pris le parti de le traiter sous la forme d’une pièce de théâtre, « Touche pas à mon compost ».
Lauréats du prix de l’esprit d’équipe, nos jeunes sont arrivés en tête du classement général. Ce qui leur a donc valu représenter la France à la compétition qui se déroulera à Saint Louis.
Qu’est-ce que cela fait-il à Elsa, 10 ans ? « J’avais envisagé d’y aller un jour avec mon père. Finalement, le rêve se réalisera plus tôt que prévu. » La même, pragmatique : « Cela me permettra aussi d’améliorer mon anglais ! » Avant d’ajouter : « Et de rencontrer d’autres personnes. » Audric insiste sur l’opportunité que représente ce voyage : « Parmi les membres de l’équipe, certains sont encore peu sortis de leur ville. La plupart prendront l’avion pour la première fois. » De son côté, le papa rappelle l’ampleur de l’événement : « Nos jeunes se retrouveront dans un palais des congrès au milieu de 18 000 personnes, venues du monde entier. Ils seront les seuls à représenter la France. En plus de la compétition de la FLL, ils suivront des compétitions annexes entre adultes autour de robots très élaborés comme on en peut en voir dans des films de science-fiction. »

Un prétexte à faire de nouvelles rencontres

Comme indiqué, la compétition se déroulera du 27 au 30 avril prochain, autant dire dans peu de temps. D’où la démarche entreprise par Priscillia auprès de la Communauté Paris-Saclay (dont dépend la médiathèque) pour obtenir une accélération des procédures administratives. Pour participer à la finale, les enfants doivent en effet s’inscrire d’ici le 22 mars. Manifestement, le message a été entendu. La mère : « Michel Bournat nous a répondu en moins de 48 heures pour faire part de son soutien. » La Communauté Paris-Saclay et les villes dont sont originaires les enfants prendront en charge leur voyage et celui des deux coaches. Conscients de la charge financière importante que cela suppose pour les collectivités, les parents des jeunes roboticiens se mobilisent pour alléger cette charge en lançant un crowfunding (pour y participer, cliquer ici) et en étudiant les possibilités de faire appel au mécénat. Le budget a été évalué à 18 000 euros dont 10 000 euros pour les seuls billets d’avion. Rappelons que l’inscription au challenge se monte, à elle seule, à 1 000 dollars.

La fin de l’entretien approche. Au moment où nous nous apprêtons à partir, arrive Marie-France Le Quesne. Une directrice manifestement heureuse, à voir le sourire qu’elle arbore. Elle confirme. « Ce n’est pas par hasard que j’ai postulé ici. » D’elle-même, elle revient sur la mixité sociale qui fait toute la richesse du lieu. « Un tiers des personnes inscrites ici ne sont pas des Ulis.» Comme l’atelier de robotique, le voyage doit être l’occasion de promouvoir la culture sous toutes ses facettes. Car, « si l’atelier a une composante technique forte – c’est de la robotique – il s’agit d’en faire un enjeu culturel », insiste Valérie, au diapason de sa directrice, qui, déjà compte mettre à profit le séjour des huit challengers pour leur permettre de rencontrer des jeunes français de leur âge vivant aux Etats. Des contacts ont été pris en ce sens avec des médiathèques américaines, à travers le réseau de professionnels, Saint Louis Accueil et l’Alliance française. La directrice : « Nul doute que ce voyage marquera nos jeunes pour le restant de leur vie. ». Et la même d’ajouter dans un large sourire : « Plus tard, quand ils auront réussi professionnellement, ils n’auront qu’une envie : aider à leur tour des jeunes à s’ouvrir au monde. »
A se demander si l’atelier de robotique n’est pas au final un prétexte à la rencontre. Valérie acquiesce : « Les jeunes nous l’ont prouvé à leur façon : ils ne se connaissaient pas en début d’année. Quelques mois plus tard, il remportait le prix de l’esprit d’équipe. Quelque chose qu’ils ont construit ensemble, avec les coaches, de septembre à janvier et autour d’une passion commune. »
Nous nous quittons avec l’engagement de revenir pour découvrir les autres trésors de cette médiathèque. D’ici là, nos jeunes seront revenus avec une coupe. C’est le pire qu’on leur souhaite.

Crédit des photo : @CopyrightPMwebatome-Tousdroitsréservés

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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