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Aménagement & Architecture

Haro sur la Renouée du Japon

Le 10 octobre 2022

Formé au génie civil, Mathis Goumain a intégré le pôle travaux de l’EPA Paris-Saclay en 2019 en qualité de chargé de projets. Il ignorait alors que son parcours allait croiser… la Renouée du Japon.

- Si vous deviez définir votre métier au sein de l’EPA Paris-Saclay...

Je fais partie de l’équipe du pôle travaux que j’ai intégré en 2019 dans le cadre, d’un contrat d’apprentissage de deux ans, qui s’est transformé depuis en CDI). J’interviens au plus près des chantiers que porte l’EPA Paris-Saclay en matière de voirie et d’espaces publics. C’est dire l’importance du travail de coordination car, évidemment, ces chantiers mobilisent beaucoup d’acteurs : des collectivités, des entreprises sans oublier les riverains directement concernés… Un travail qui n’a cessé d’aller croissant à mesure que le projet d’aménagement du plateau de Saclay a avancé, avec l’arrivée de nouveaux établissements d’enseignement supérieur et de recherche, de centres de R&D, d’entreprises et la construction de logements.
Au sein de ce pôle, j’assure plus particulièrement le suivi des études de l’avant projet jusqu’à la réalisation des travaux. J’accompagne la maîtrise d’œuvre et les entreprises pour qu’elles respectent le cahier des charges et réalisent les travaux dans les meilleures conditions. Sachant que nous ne sommes jamais à l’abri de surprises…

- Comme cette Renouée du Japon, apparue dans vos chantiers… De quoi s’agit-il ?

Comme son nom l’indique, il s’agit d’une espèce de plante (herbacée vivace), venue d’Asie orientale, qui prise particulièrement les milieux humides. Elle est reconnaissable à ses tiges ressemblant à des cannes de bambou qui croissent très vite. Mais le plus important, à l’origine des problèmes qu’elle nous pose, est ailleurs : dans ses racines en forme de rhizomes, qui lui permettent de se propager rapidement et non par pollinisation comme la plupart des autres plantes. Cette capacité à se répandre impacte directement la biodiversité locale. Il s’agit donc bien en cela d’une plante invasive. Pour s’en débarrasser, il est inutile de la couper avec l’espoir qu’elle s’épuise. Il n’y a pas d’autre solution que de faire disparaître son système racinaire. Plus facile à dire qu’à faire ! La problématique n’est pas propre à l’EPA Paris-Saclay. D’autres entreprises, comme la SNCF ou RTE, engagées dans d’importants aménagements, y sont aussi confrontées.

- Des plantes ne sont pas invasives par elles-mêmes. Elles apparaissent le plus souvent sous l’effet de retournements de sols provoqués par les humains.... La cause première ne pourrait-elle pas être les chantiers que vous évoquiez ?

En effet, les chantiers sont les principaux vecteurs de contamination d’un sol par ce type de plante. Concrètement, la contamInation intervient par le truchement de camions transportant de la terre. Dans le cas de la Renouée, il suffit d’un simple bout de rhizome pour contaminer tout un chargement.

- En quoi consiste le traitement pour y faire face ?

Au sein de l’EPA Paris-Saclay, nous avons privilégié deux traitements. D’une part, la technique du sarcophage, qui consiste à confiner nos terres sous une bâche en réalisant des merlons de terre de plusieurs milliers de m3. Pour être efficace, le confinement doit durer deux à quatre ans, le temps de s’assurer que le rhizome se décompose bien dans la biomasse. Ce qui revient à immobiliser du foncier constructible.
Actuellement, nous menons une opération d’éradication sur l’ensemble du plateau. Nous recourons à une autre technique qui consiste cette fois à excaver toutes les terres contaminées, à les traiter au moyen d’un dégrilleur de façon à tamiser la terre. L’avantage de cette technique, c’est de pouvoir extraire de petites pousses de rhizomes. L’inconvénient, c’est qu’on réalise d’importants retournements de terre. Une fois le tamis réalisé, il faut faire un suivi pendant deux ans et parfaire le travail en enlevant à la main les bouts de rhizomes qui seraient passés au travers de la maille, pour garantir 100% d’éradication. Ce qui, comme vous vous en doutez, demande du temps.

- Sont-ce les deux seules solutions existantes ?

Nous avons testé d’autres méthodes d’enfouissement plus profond qui n’ont pas eu de succès. Les deux approches que je viens d’évoquer sont celles qui permettent d’obtenir les meilleurs résultats, en attendant mieux.
L’entreprise que nous avons sélectionnée garantit un taux de réussite de 100%. Nous restons prudents pour notre part, sachant que le rhizome peut encore repousser des années après une opération d’éradication. Nous considérons donc en être encore à un stade expérimental.

- À vous entendre, les deux solutions actuellement disponibles ne requièrent pas l’utilisation de produits chimiques…

Non, en effet, et il est important de le souligner. Les deux solutions évoquées reposent sur un traitement soit mécanique, soit manuelle du sol. Des tests ont été réalisés ailleurs avec des désherbants très puissants, injectés au niveau de la racine. Ils se révèlent particulièrement inefficaces !

- Après tout, le fait que vous soyez dans une démarche expérimentale, n’est-ce pas dans la logique du territoire dans lequel vous intervenez : un écosystème tourné vers l’innovation ?

Absolument. Nous sommes d’ailleurs observés de près par d’autres EPA et maîtres d’ouvrage confrontés à la même problématique. Ils fondent des espoirs dans les expérimentations que nous menons sur le plateau de Saclay.

- Cela n’ajoute-t-il pas de la pression sur les épaules du jeune homme que vous êtes ?

Au contraire ! C’est un challenge que je trouve intéressant à relever. Cela change aussi des travaux que l’on mène au jour le jour. Si notre méthode devait se révéler concluante, nous pourrons l’utiliser dans nos autres opérations, du côté de Satory par exemple, confronté aussi à la présence de la Renouée du Japon.

- Qu’est-ce qui dans votre cursus vous a prédisposé à traiter de ce problème ?

J’ai fais des études en génie civil puis en aménagement opérationnel. Mais à aucun moment, au cours de mon cursus, je n’ai eu la moindre formation, le moindre cours, sur ce type de problématique. Sans doute cela tient-il au fait que l’arrivée de la Renouée du Japon est relativement récente en France. Nul doute qu’elle finira pas être étudiée, car elle ne passe pas inaperçue : elle est facilement reconnaissable à la couleur rose de ses racines et à sa tige en forme de canne. Au-delà, elle constitue une menace pour la biodiversité locale. C’est dire si les spécialistes du génie civil devront bien finir par se pencher sur son cas.

- Dans quelle mesure cela vous amène-t-il à interagir avec d’autres expertises, d’autres interlocuteurs ?

Comme nous sommes amenés à faucher pas mal de cannes de Renouée du Japon, nous sommes sollicités par des entreprises innovantes qui souhaitent les exploiter dans le domaine de la comestique, notamment. Des entreprises que j’étais à mille lieues d’imaginer côtoyer dans le cadre de mon travail au sein du pôle travaux de l’EPA Paris-Saclay !

- Et du côté des établissements d’enseignement supérieur et de recherche – je pense en particulier à AgroParisTech ?

Cette école vient juste d’ouvrir ses portes sur le plateau. Nul doute que ses chercheurs vont se saisir du sujet et, qui sait, en capitalisant sur l’expertise acquise par l’EPA Paris-Saclay !

Publié dans :

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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