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Agriculture & Alimentation

Happy comme un apiculteur de l’Yvette

Le 29 juillet 2024

Entretien avec François Rabasse, de l'association Les Abeilles de l'Yvette

Vous n’êtes pas apiculteur, mais vous rêvez de disposer de vos propres ruches, pour contribuer à la préservation des abeilles et, au-delà, de la biodiversité, mais vous ne savez comment vous y prendre, où trouver le matériel et les abeilles, un emplacement,… C’est pour vous aider dans vos démarches et votre apprentissage que François Rabasse a eu l’idée de créer l’association Les Abeilles de l’Yvette. Lui-même est vétérinaire apicole. Il nous en dit plus sur cette association et sa propre vocation.

- Comment en êtes-vous venu à créer l’association Les Abeilles de l’Yvette ?

François Rabasse : Des personnes sont intéressées par les abeilles au point de souhaiter disposer de leur propre ruche, mais elles ne disposent pas d’emplacement – elles n’ont pas de jardin ou ont des voisins suspicieux, peu désireux d’avoir ce genre de « bestioles » près de chez eux – ou/et elles ont encore tout à découvrir de l’apiculture. L’association Les Abeilles de l’Yvette se propose donc de les accompagner dans l’acquisition de leur première ruche et de leur premier essaim : elle les conseille dans leurs achats, négocie les prix, leur fournit un emplacement. Pour limiter les coûts, elle propose un ensemble de services ou de matériels mutualisés, comme par exemple le matériel d’extraction de miel. Elle les forme ensuite avec leurs propres abeilles, l’objectif étant de les rendre rapidement autonomes. Un mot clé est la convivialité ! L’association permet à ses membres de se rencontrer, dans la joie et la bonne humeur. Concrètement, nous nous réunissons pratiquement une fois par mois, l’occasion pour moi de dispenser des conseils, de traiter d’un sujet sur le mode de la causerie.

- Tout cela moyennant une adhésion de quel montant ?

F.R.: Une adhésion de trente euros par an, qui couvre tout ce que j’ai évoqué, ainsi que les services sanitaires et les médicaments. Les emplacements sont obligeamment mis à disposition soit par des particuliers, dans des fonds de jardin, soit par des acteurs publics – des mairies, le SIAHVY (Syndicat Intercommunal pour l’Aménagement Hydraulique de la Vallée de l’Yvette) et autres propriétaires de terrains. Pour couvrir les investissements, la construction d’abris par exemple, nous bénéficions de financements de la Région Île-de-France. dans le cadre d’appels à projet à vocation écologique. Nous avons également reçu un soutien du département de l’Essonne.

- Sur quel périmètre intervenez-vous ? Aux abords de l’Yvette ?

F.R. : Les premiers membres résidant à Gif-sur-Yvette, ils ont été tentés de baptiser l’association Les Ruchers giffois. J’ai estimé que la référence à l’Yvette permettait d’élargir le rayon d’action en plus de se référer à un écosystème plutôt qu’à une entité administrative. Nos quatre ruchers sont pour trois d’entre eux installés à Gif-sur-Yvette, le 4e à Chevreuse. Pour autant, nous ne nous interdisons pas d’accueillir des amateurs d’autres territoires. C’est davantage la localisation des ruchers qui conditionne celle des membres.

- Qu’en est-il de la production de miel ? Est-ce la finalité de la démarche de vos adhérents ?

F.R. : Nous avons la chance de pouvoir récolter du miel, mais ce n’est pas la finalité première, davantage la cerise sur le gâteau. Les personnes qui s’intéressent aux abeilles sont d’abord motivées par le souci de préserver l’environnement. La pratique de l’apiculture les incline naturellement à s’intéresser à tout ce qui y pousse – arbres, fleurs… – et à y prêter attention. Cela dit, le jour où on peut brandir son premier pot de miel, on ne peut pas ne pas éprouver de la joie et de la fierté. Il faut juste savoir qu’il y a des années « avec » et d’autres « sans ».

- Accompagnez-vous vos membres jusqu’à cette production de miel ?

F.R.: Oui, en intervenant au moment de l’extraction. Nous mettons du matériel à disposition en proposant de faire cette dernière ensemble pour profiter d’un moment de convivialité – la mairie de Gif-sur-Yvette nous met généreusement à disposition la cuisine du Château de Belleville sinon, nous le faisons dans un local privé. Chacun arrive avec ses hausses et cadres à extraire. Et chacun repart avec son miel qu’il peut ensuite distribuer à sa guise autour de lui. Pour le reste, nous n’avons rien à faire ; ce sont les abeilles qui s’occupent de tout !

- Qu’est-ce qui vous a vous-même motivé à créer cette association ?

F.R. : Au moins deux raisons. D’abord, ce me semble être une contribution efficace à la sensibilisation à l’environnement. Ensuite, cela faisait des années que j’entendais autour de moi des personnes évoquer leur souhait d’avoir des abeilles, mais sans savoir comment s’y prendre, quoi acheter ni où installer leur ruche. C’est donc tout naturellement que j’en suis venu à créer cette association avec néanmoins un principe par rapport aux « Ruchers-écoles », à savoir veiller à trouver le bon équilibre entre théorie et pratique. Je ne crois pas nécessaire d’infliger d’emblée un savoir trop scientifique au risque sinon de décourager l’apiculteur en herbe. Il importe qu’il puisse rapidement être dans le faire. En apiculture comme en d’autres domaines, la loi de Pareto se vérifie : s’il faut des années pour devenir un expert, on peut très vite comprendre les principes de base, ce dont les abeilles ont besoin.
J’ai acquis très tôt la conviction qu’on s’occupe d’autant mieux de bestioles quand ce sont les siennes. C’est pourquoi nos adhérents sont invités à acheter leur équipement et leurs abeilles. Soit un investissement d’environ 350 euros la première année. Parfois, des adhérents acquièrent ensemble leur ruche et leurs abeilles pour réduire les coûts, mais ils n’en sont pas moins copropriétaires.
Voilà en résumé, ce qui m’a incité à créer cette association et ce qui la différencie d’autres structures : la promotion d’une approche pratiquo-pédagogique et le fait de disposer de ses propres abeilles. Et manifestement cela correspond aux motivations d’amateurs, à en juger par le succès rencontré par Les Abeilles de l’Yvette.

- En vous écoutant, me revient à l’esprit un texte sur les « proximités animales », qui revient sur ce lien privilégié des humains avec les animaux domestiques. [texte de Laurent Bègue-Shankland, publié dans Les nouvelles proximités, codirigé par Catherine Gall, Luc Gwiazdzinski, Vincent Kaufmann, André Torre - Fyp éditions, 2024 ]. Dans quelle mesure, l’intérêt pour les abeilles participe-t-il à ce besoin de proximité ?

F.R. : Dissipons un éventuel malentendu. Il ne s’agit pas de faire de l’abeille un animal domestique comme un autre. L’abeille peut vivre indépendamment des humains : si elle et ses coreligionnaires estiment que les conditions de vie offertes par l’apiculteur ne lui conviennent pas, elles peuvent essaimer ailleurs, dans la forêt la plus proche, trouver refuge dans un tronc d’arbre. Des abeilles n’ont pas de difficulté à aller d’un lieu à l’autre.
Cela étant dit, cet attrait pour l’apiculture et l’abeille correspond manifestement à un besoin plus général de se reconnecter au vivant, et qui peut se traduire par le fait de devenir propriétaire d’un chat, d’un chien ou de tout autre animal domestique de ce genre. Parfois, cette aspiration peut conduire à aller plus loin comme l’acquisition d’une bestiole exotique. L’abeille a pour elle l’intérêt de nous reconnecter indirectement aux plantes, y compris celles qui sont cultivées par nos maraîchers ou agriculteurs.

- Qu’est-ce qui vous a prédisposé vous-même à vous intéresser autant aux abeilles ?

F.R. : De formation et de profession, je suis vétérinaire ; durant des années, j’ai exercé dans différentes spécialités. À un moment donné, j’ai bifurqué dans un tout autre secteur – la technologie – avant de revenir à mon métier initial, celui de vétérinaire donc, un métier qu’on n’abandonne en réalité jamais tout à fait ; on le reste jusqu’à son dernier souffle ! Pour en revenir plus spécifiquement aux abeilles, j’en ai toujours eues car elles m’ont toujours fasciné. Depuis quelques années, je suis préoccupé par les menaces qui pèsent sur l’apiculture. À partir des années 1990, leur mortalité a explosé. Les pertes peuvent osciller entre 30 et 50% au cours d’une seule année. Les facteurs sont connus ; ils sont à dominante sanitaire. Je me suis donc intéressé à la manière d’endiguer cette mortalité au point de me spécialiser dans l’apiculture : je fais partie des vétérinaires dits apicole, une petite communauté – nous ne sommes qu’une vingtaine en Île-de-France. Concrètement, j’interviens auprès d’apiculteurs professionnels, de leurs syndicats, des services de l’État pour traiter des maladies dites réglementées. Et c’est tout naturellement que j’en suis venu à vouloir apporter des réponses que se posent les amateurs en poussant mon engagement jusqu’à suggérer la création de créer Les Abeilles de l’Yvette.

- Quel est le profil de ces amateurs ? L’intérêt pour les abeilles est-il transgénérationnel ?

F.R. : Oui et je vous remercie de m’offrir l’occasion de le souligner. Comme toute association, nous comptons de jeunes retraités, mais la répartition des âges ressemble davantage à un parallélogramme qu’à une pyramide : nous comptons autant de trentenaires/quarantenaires avec leurs jeunes enfants que de retraités. La grande majorité sont diplômés, scientifiques ou ingénieurs ; ils cherchent des réponses aux questions qu’ils se posent, passent du temps à se plonger dans des livres pour parfaire leur apprentissage. Bref des gens qui ont une appétence pour la science, les savoirs, et qui envisagent l’apiculture bien plus que comme une simple activité de loisir, une distraction. Bref, nos adhérents sont à l’image de la population de l’écosystème Paris-Saclay.

- Au-delà de la concetration d'esprits « scientifiques », dans quelle mesure justement cet écosystème, son environnement naturel, agricole et forestier, est-il favorable au déploiement d’une association comme la vôtre ?

F.R. : Il l’est à au moins deux titres. D’une part, sa composante sociologique : on y rencontre beaucoup de gens intéressés par les abeilles, y compris, je l’ai dit, d’un point de vue strictement scientifique.
D’autre part, son environnement, sa flore : on y trouve encore des essences variées comme ici [ il désigne le campus d’Orsay qu’on perçoit de la salle de réunion de l’EPA Paris-Saclay où on réalise l’entretien ] : des châtaigniers, des arbres particulièrement mellifères – les abeilles en raffolent. On peut observer une assez bonne succession florale : des fleurs de jardin au printemps, un peu de colza sur le plateau produit par des agriculteurs vigilants ; de l’acacia – une plante sauvage particulièrement intéressante pour les abeilles. En bref, le territoire leur convient très bien.
Selon certains, le périurbain serait d’ailleurs le dernier sanctuaire des abeilles aussi bien domestiques que sauvages. Sans doute faudrait-il nuancer cette hypothèse, mais le fait est, le périurbain offre en règle générale une plus grande diversité florale et arboricole comparé, d’une part, aux villes denses où l’installation de ruchers relève plus d’un phénomène de mode que d’une démarche raisonnée : les abeilles ont peu de chance d’y prospérer faute de ressources suffisantes et du fait de la pollution ; d’autre part, aux zones de grandes cultures où les abeilles dérouillent sous l’effet de l’usage de produits agrochimiques, mais aussi de la transformation des paysages liée notamment à l’agrandissement des parcelle et l’arrachage des haies. Sans compter la nature de ce qui est cultivé : les céréales sont des plantes dites héliophiles – elles se pollinisent avec le vent et n’ont donc pas besoin des abeilles, qui d’ailleurs n’y trouvent pas de ressources à leur convenance.
Or, nous sommes encore ici, sur le plateau de Saclay, dans un espace périurbain; malgré les constructions liées au projet de cluster. Le territoire demeure encore vert avec ses espaces naturels et forestiers, propices au maintien d’une flore diversifiée. Je ne crois pas me tromper en disant qu’on y a une moindre mortalité d’abeilles que dans des territoires densément peuplés ou, à l’inverse, avec d’immenses parcelles agricoles comme dans la Beauce ou la Brie.

Publié dans :

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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