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Aménagement & Architecture

Génie du lieu et goût du paysage.

Le 5 juillet 2019

La Biennale d’Architecture et de Paysage d’Ile-de-France se poursuit jusqu’au 13 juillet. Nous en poursuivons notre série d’échos à travers, cette fois, le témoignage de Vincent Piveteau, directeur de l’École Nationale Supérieure de Paysage (ENSP) de Versailles (à droite sur la photo), qui accueille notamment l’exposition « Le goût du paysage », conçue par l’architecte et paysagiste Alexandre Chemetoff, auquel on doit aussi la rénovation du Pavillon des Suisses.

– La biennale qui se déroule à Versailles jusqu’au 13 juillet traite autant d’architecture que de paysage – ce qui en fait toute l’originalité par rapport à des biennales classiques. Elle le fait notamment à travers la contribution de l’ENSP de Versailles. Pouvez-vous témoigner pour commencer de la manière dont votre école s’est ainsi retrouvée associée à l’événement ?

Cela correspond d’abord à une volonté du maire de Versailles, François de Mazières. Il a soutenu dès ses débuts le projet de la Région Ile-de-France d’y organiser une biennale d’architecture, digne de ses ambitions en la matière, au travers notamment des projets du Grand Paris, en proposant le thème de la ville dans ses rapports à la nature. De là cette biennale qui est effectivement une première dans son ambition d’être à la fois d’architecture et de paysage. Ce faisant, et c’est une autre de ses originalités, elle n’a pas cherché à s’en tenir à la présentation de gestes architecturaux ou paysagistes, mais à questionner les modalités de la fabrique urbaine, de surcroît dans la perspective d’enjeux aussi majeurs que la transition écologique et le changement climatique.

– Une autre originalité étant de s’appuyer sur les deux écoles nationales supérieures, d’architecture et de paysage, que compte la ville de Versailles…

Effectivement, Versailles a la particularité de compter deux grandes écoles dans l’un et l’autre de ces domaines. Et le parti pris de la ville comme de la Région Ile-de-France a été de s’appuyer sur ces institutions qui prennent directement part à la réflexion sur le rôle de l’architecture et/ou du paysage dans la transformation du lien entre ville et nature.

BAP 2019 3DSC_3379 - 2019-05-12 à 12-49-53– Venons-en à la principale contribution de votre école, à savoir l’exposition « Le goût du paysage »…

Cette exposition, telle qu’elle a été conçue par Alexandre Chemetoff, entend d’abord s’inscrire dans la thématique générale de la Biennale en interrogeant la manière dont la ville pourra répondre au défi alimentaire, (re)devenir nourricière en quelque sorte, dans le contexte du changement climatique.
Cette exposition est aussi l’occasion de parler du lieu dans lequel elle se déroule – c’est en cela une exposition « située ». Ce lieu, c’est bien sûr le Potager du Roi, site historique de l’école de paysage s’il en est, et qui se trouve être tout à la fois un lieu de production, de transmission, d’expérimentation, d’acclimatation et de composition. Autant de dimensions qui étaient présentes dès sa création et qui en font un lieu-école. Ce faisant, cette exposition contribue à mettre en lumière le lien privilégié qu’il entretient avec notre établissement d’enseignement, non sans rendre hommage au génie du lieu.

BAP 2019 1DSC_0845– Un mot sur l’un des bâtiments, objet d’une rénovation, où se déroule une partie de l’exposition…

Il s’agit du Pavillon des Suisses, entièrement rénové effectivement. Conçu en 1932 par l’architecte Armand Guéritte [1879-1940] pour servir de laboratoire à ce qui était alors une école d’horticulture, c’est aujourd’hui un lieu dédié à la création : il accueille en particulier les ateliers d’enseignement artistique de l’école. L’agencement intérieur du bâtiment répond à la composition extérieure du Potager. Mais l’exposition est aussi l’occasion de parler de paysagistes, qui furent enseignants à l’école et qui ont joué un rôle déterminant dans l’histoire du paysagisme : Jacques Simon ou encore Michel Corajoud, dont les archives ont été conservées, grâce à l’action d’Alexandre Chemetoff et l’appui de Claire Corajoud – elles sont aujourd’hui hébergées ici même, à l’école.

– Un mot encore sur cette notion de « goût » qu’on n’a guère l’habitude de voir associée au paysage ?

Ce goût, il faut l’entendre dans au moins deux de ses acceptions : le goût pour le paysage, autrement dit le plaisir qu’on peut prendre à travailler sur cette dimension, mais aussi le goût procuré par les fruits et légumes issus d’un potager, qui fait aussi paysage à son échelle.

BAP 2019 2DSC_3400 - 2019-05-12 à 13-02-27– Mettre en lumière ce lien privilégié entre le potager et l’école, avez-vous dit, en faisant aussi référence à un génie du lieu. Mais cette exposition n’a-t-elle pas aussi l’ambition de mettre en exergue le lien du Potager du Roi avec bien d’autres lieux, en l’occurrence des exploitations agricoles ou maraîchères ? C’est du moins ce que l’on comprend de son parti pris de mettre en avant « 24 + 1 » portraits de paysans producteurs franciliens (le « + 1 » désignant le chef jardinier du Potager du Roi)…

Oui, bien sûr. Le Potager du Roi ne saurait incarner à lui seul le génie des lieux. D’autres existent avec lesquels il dialogue, effectivement. Cette ouverture, par goût autant que par nécessité, a d’ailleurs motivé l’autre contribution de l’ENSP, à savoir l’« école ouverte »…

BAP 2019 DSC_0762– De quoi s’agit-il ?

C’est d’abord un parti que nous avons pris pour éviter l’écueil inhérent à une biennale. Pas moins que les autres, la Biennale d’Architecture et de Paysage s’exposait au risque de n’être en réalité qu’une biennale d’architectes et de paysagistes, autrement dit par et pour des architectes et des paysagistes, dans laquelle on ne présenterait que des projets d’architectes et de paysagistes.. Ce que, avec Alexandre Chemetoff, nous souhaitons éviter à tout prix, en donnant davantage à voir le processus de fabrication du paysage, le travail des paysagistes en relation avec d’autres parties prenantes, parmi lesquels ces paysans producteurs que vous évoquiez. On en vient ainsi à aborder la question du partage des signatures, si chère au jardinier paysagiste Gilles Clément, selon lequel on est tous peu ou prou acteurs de la transformation du paysage. Dans cette perspective, il devient pertinent de poser la question des espaces agricoles et de leur rôle dans la fabrique du paysage, en le faisant cependant à la bonne échelle (en l’occurrence, celle d’une métropole), mais aussi les questions de la sécurité alimentaire, du changement climatique et de ses conséquences pour les systèmes écologiques mais aussi agricoles, de façon à voir ensuite comment chacun peut s’en saisir.
De là, donc, cette école ouverte, comme on dirait table ouverte, proposée en parallèle à l’exposition « Le goût du paysage ». Quiconque peut y venir, voir par ses propres yeux, discuter et échanger avec nos étudiants, nos enseignants sans oublier nos jardiniers. Plusieurs workshops sont proposés d’ici le 13 juillet.

– Par exemple ?

Pas plus tard que ce soir, nous en programmons un, qui se propose en somme d’aller « de la fourche normande à la fourchette parisienne » : il présente les fruits d’une semaine de pérégrination de nos élèves le long de la « Vallée de la Seine », qu’ils ont abordée au prisme de l’enjeu de l’approvisionnement alimentaire de Paris. Un autre atelier nous transportera bien plus loin, en dehors de l’Ile-de-France, dans la métropole de Grenoble, en l’occurrence – une autre marque d’ouverture de notre école. Il traitera de la relation de cette métropole à la campagne, un enjeu qui concerne au premier chef l’Ile-de-France. Pour en savoir plus, j’invite vos lecteurs à consulter notre site web.

– Dans quelle mesure cette école ouverte ne questionne-t-elle pas le principe même d’une biennale, en ouvrant la possibilité d’un rendez-vous continu et pérenne ?

C’est vrai qu’on pourrait imaginer une biennale permanente ! Cela dit, gardons à l’esprit que son organisation demanderait beaucoup de temps et d’énergie. Il ne faudrait pas non plus détourner l’ENSP de ses missions premières. La pérennisation de cette Biennale serait déjà un acquis. Mais cette décision n’est pas de notre ressort.

– Un mot encore sur l’autre composante de cette Biennale, à savoir l’architecture. Dans quelle mesure le dialogue a-t-il été instauré entre elle et le paysage ? Le risque aurait pu être de faire deux biennales en une, mais sans que les deux dialogues réellement…

Effectivement, mais notre chance est que l’ENSP et l’ENSA-V n’ont pas attendu cet événement pour dialoguer entre elles ! La Biennale a bien été co-construite entre les deux établissements, qui se sont employés à répondre à la même thématique générale, ville et nature, donc. C’est évident pour ce qui concerne les installations d’ « Augures », dont Djamel Klouche, enseignant à l’ENSA-V a été le commissaire. A leur façon, ces installations ont traité de la ville du futur avec une forte sensibilité aux enjeux paysagistes. De manière plus générale, il ne s’est pas agi de donner à voir les tendances nouvelles de l’architecture contemporaine comme on peut le faire dans des biennales classiques. Il y a bien eu une volonté de répondre à des questions transversales autour notamment du changement climatique et de ses incidences.
Ce à quoi a d’ailleurs veillé le Commissaire général de la Biennale, François de Mazières, dont on connaît la double appétence pour les questions d’architecture et de paysage. Il s’est cependant gardé d’être trop directif. Au contraire, il a su laisser une grande autonomie aux deux écoles dans le choix de leur programmation, en s’assurant juste qu’il y ait une vraie transversalité et qu’on laisse aux propositions le temps d’éclore et de mûrir.

A lire aussi :

– le compte rendu de nos déambulations versaillaises, les premiers jours de la BAP! (pour y accéder, cliquer ici) et d’une table ronde sur la ville jardin (cliquer ici) ;

– les entretiens avec Antoine Jacobsohn, le responsable du Potager du Roi (cliquer ici) et Djamel Klouche, commissaire des installations « Augures » (mise en ligne à venir).

Crédits photos : Vincent Guiné, ENSP (pour la photo ci-dessus, prise le jour de l’inauguration) ; l’ENSP (les photos relative à l’exposition).

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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