Faire de Campus Paris-Saclay un écosystème d’innovation fertile.
Directeur délégué à l’innovation et aux relations avec les entreprises au sein de la FCS Campus Paris-Saclay, Pierre Gohar participe à l’une des tables rondes organisées dans le cadre de l’Exposition « Paris-Saclay, le futur en chantier(s) », qui se tient du 28 novembre au 20 décembre 2014 à la Maison de l’architecture en Ile-de-France. Il a bien voulu répondre à nos questions sur son engagement en faveur de la valorisation de la recherche scientifique et ses objectifs en la matière pour le Campus Paris-Saclay.
Un simple coup d’œil sur son CV donne une idée de son engagement ancien en faveur de l’innovation et de la valorisation de la recherche scientifique, dès les années 90, à une époque où elles n’étaient pas encore autant d’actualité qu’aujourd’hui : ancien adjoint au directeur de la valorisation du CEA, en 1998, il a été, de 2008 à 2010, directeur à la valorisation à l’Université de technologie de Compiègne (UTC) puis directeur de l’innovation et des relations avec les entreprises au CNRS en 2010. Depuis septembre 2013, c’est à lui que revient le soin d’organiser et d’animer l’écosystème de l’innovation sur le Campus Paris Saclay, au titre de sa nouvelle fonction de directeur délégué à l’innovation et aux relations avec les entreprises.
Il est vrai que Pierre Gohar sait parler aussi bien aux chercheurs qu’aux industriels et aux entrepreneurs. Docteur en génie des procédés de l’Ecole des Mines, il a consacré cinq années à la recherche au CEA, entre 1986 et 1991, avant de passer de l’autre côté de la barrière, en devenant chargé d’affaires de l’ex-Anvar (futur Oséo, intégrée depuis au sein de la Bpifrance) puis en fondant sa propre entreprise, New Option Wood (SA NOW) qui réalisera l’industrialisation d’une innovation de rupture (un procédé de transformation du bois à haute température sous atmosphère contrôlée). Plus tard, en 2000, il prendra la direction de l’incubateur régional de Poitou-Charentes, qu’il pilotera pendant sept ans.
A l’approche de la table ronde à la quelle il participe à la fin novembre dans le cadre de l’exposition « Paris-Saclay, le futur en chantier(s) », il a bien voulu revenir sur son parcours et faire le point sur les dynamiques d’innovation et de valorisation sur le Campus Paris-Saclay.
Entretien avec Pierre Gohar
– A la lecture de votre parcours, on est frappé par votre intérêt ancien pour l’innovation et la valorisation de la recherche scientifique à un moment où elles étaient encore peu promues en France. Comment expliquez-vous cet intérêt, de surcroît dans des institutions très diverses ?
Je me suis en effet impliqué dans les actions d’innovation et de valorisation depuis le tout début des années 90. Ce qui fait aujourd’hui près d’un quart de siècle ! Je m’y suis intéressé et y ai contribué aussi bien au sein d’organismes de recherche (CEA et CNRS), que d’une université (l’UTC de Compiègne), d’un incubateur régional (celui de Poitou-Charentes) ou même comme créateur d’une start-up (New Option Wood).
– Percevez-vous un contexte plus favorable aujourd’hui ?
Je pense que les relations entre le monde académique et le monde industriel ont pris un premier virage décisif à la toute fin des années 90, avec la loi Allègre sur l’innovation et la recherche, qui proposait un train de mesures concrètes pour faciliter le transfert technologique [en permettant, en particulier aux universitaires et aux chercheurs de créer une start-up et de déposer des brevets]. Plus récemment, début 2012, un deuxième virage a été pris avec le lancement des dispositifs SATT (Société d’Accélération de Transfert Technologique) auxquels l’Etat consacre pas moins de 900 millions d’euros dans le cadre des Investissements d’avenir. Et, depuis, les choses tendent à s’accélérer avec l’instauration d’un nouveau statut dont les médias se sont fait trop peu l’écho selon moi, alors que c’est une innovation majeure : je veux parler du statut d’entrepreneur étudiant.
Au regard de mon expérience de la valorisation à l’international, dans le cadre de mes responsabilités au sein du CNRS, je pense pouvoir dire que la plupart des ingrédients sont désormais réunis pour fertiliser les écosystèmes d’innovation français. Charge maintenant aux femmes et aux hommes qui les font vivre d’avancer dans la même même direction en partageant la même vision, le même enthousiasme. C’est en tout cas ce à quoi je m’emploie à faire sur le Campus de Paris-Saclay, en travaillant étroitement avec les responsables de la valorisation et de l’innovation des différents établissements qui en sont membres.
– En quoi le territoire Paris-Saclay vous paraît-il bien disposé pour susciter un tel écosystème, propice à la valorisation ?
Je considère qu’aujourd’hui, Paris-Saclay est, en France, le seul territoire réunissant tous les ingrédients propices à la fertilisation de son écosystème. Il n’y en a tout simplement pas d’équivalent !
– A quel écosystème étranger le compareriez-vous ?
Au niveau européen, Paris-Saclay est assurément parmi les tout premiers écosystèmes : peu ont une densité comparable d’industriels.
– Et la Silicon Valley à laquelle on le compare si souvent, à tort ou à raison d’ailleurs ?
A tort ! Il est clair que la Silicon Valley est un écosystème particulier, avec ses propres caractéristiques, liées à son contexte aussi bien géographique qu’institutionnel ou culturel. Il faut donc renoncer à croire qu’on pourrait le cloner ailleurs, fût-ce à Paris-Saclay. A chaque écosystème ses particularités. Cela vaut aussi pour Paris-Saclay où nous sommes en train de construire un écosystème spécifique, qui ne ressemblera à nul autre, qu’il soit français ou européen. Cela étant dit, des écosystèmes partagent des fondamentaux à commencer par l’existence d’une forte culture entrepreneuriale. Le Campus Paris-Saclay a tous les atouts pour en développer une d’ici les trois-quatre années à venir. C’est en tout cas ce à quoi nous allons veiller en nous appuyant notamment sur la filière d’entrepreneuriat étudiant incarnée notamment par le Programme Entrepreneuriat Innovation Paris-Saclay (PEIPS).
– Paris-Saclay a toutefois la particularité d’être un vaste territoire : n’est-ce pas un handicap ?
C’est assurément un vaste territoire et nous en sommes tous conscients, qu’on soit chercheur, étudiant, industriel ou acteur socioéconomique. D’ici quelques semaines, nous allons cependant avoir le bénéfice d’un bus en site propre qui va soulager un peu les contraintes de transport. Mais, évidemment, il faudra aller plus loin et recourir à des solutions transitoires, en attendant l’arrivée de la ligne 18 du métro automatique.
– Tout en soulignant ces contraintes de transport, les entrepreneurs témoignent de plus en plus de l’existence d’une véritable « atmosphère » propice à l’innovation et facilitant la prise de contact avec des décideurs ou des investisseurs. Partagez-vous ce constat ?
Oui. Je constate même une véritable lame de fond. Certes, nous n’en sommes qu’au début, et n’en percevons donc pas encore nécessairement tous les effets. Mais si la dynamique et le soutien dont nous bénéficions au plan national comme au plan local, de la part des gouvernants et des élus, perdure, nul doute que dans les deux-trois années qui viennent, nous les percevrons de manière significative, à travers des résultats concrets : des créations de start-up en hausse, toujours plus de partenariats entre laboratoires et industriels, une attraction plus forte auprès d’autres industriels ou d’investisseurs. J’en suis convaincu, sous réserve, encore une fois, que le soutien étatique et local perdure.
– En quoi consiste concrètement votre rôle ?
Tous les ingrédients sont réunis pour constituer un écosystème des plus fertiles. Reste à les agréger pour en faire quelque chose qui soit bien supérieur à la somme de ces ingrédients. C’est comme pour un gâteau, si vous m’autorisez cette métaphore : il ne suffit pas de disposer d’œufs, de farine, de la levure, etc. Encore faut-il un cuisinier ou une cuisinière pour amalgamer le tout. Dans notre cas, le gâteau à réaliser est ni plus ni moins qu’un écosystème d’innovation fertile, grâce au niveau élevé d’interactions entre ses acteurs. Celles entre le monde de la recherche et le monde industriel retiennent tout particulièrement notre attention…
– Est-ce à dire qu’il y a encore des incompréhensions à surmonter ?
Disons qu’il y a une méconnaissance réciproque de ces deux grands univers. Nous nous employons donc à ce que, dans les mois, les semaines qui viennent, ils se connaissent encore mieux et se reconnaissent. Cela étant dit, un chemin a déjà été parcouru. On ne compte plus les exemples de partenariats réussis, à travers notamment la création de chaires industrielles au sein du monde académique. Il s’agit donc de rendre ces interactions plus intenses en faisant en sorte que, progressivement, un nombre croissant de chercheurs aient une meilleure connaissance des enjeux industriels et sociétaux et, qu’en sens inverse, les industriels reconnaissent l’excellence de la recherche, y compris doctorale produite sur le Campus de Paris-Saclay. C’est important, car un industriel convaincu de cette excellence sera notre meilleur ambassadeur à l’international.
– Filons la métaphore du gâteau : quels sont en l’occurrence les ingrédients ?
C’est une formation de haut niveau ; une recherche aux meilleurs standards internationaux, qui produit des résultats à haut potentiel de valorisation ; enfin, comme je l’ai déjà dit, une densité d’acteurs industriels, particulièrement volontaires pour s’impliquer dans la dynamique de Paris-Saclay. Rappelons que nous bénéficions aujourd’hui d’un Pole de compétitivité très dynamique avec Systematic sans oublier le réseau d’acteur particulièrement bien implanté sur le territoire, Opticsvalley.
– De quels « ustensiles » disposez-vous ?
Ils sont variés et c’est cette variété qui est notre force. Parmi eux, plusieurs instruments issus des programmes d’Investissements d’avenir : l’institut de Recherche Technologique (IRT) Systemix ; les trois Instituts pour la Transition Energétique (ITE) : le PS2E, l’IPVF et VeDeCom. J’ajoute les appels à projet pré-maturation pour lesquels nous disposons d’une enveloppe globale de 5 millions d’euros (à raison de 50 000 euros par projet). Le premier appel a été lancé fin 2013. Signe que cela correspondait à une réelle attente : pas moins de 73 projets ont candidaté. Un an après, le second appel suscitait le même nombre de candidature à une unité près. Ce qui témoigne, cette fois, de la capacité du Campus Paris-Saclay à se ressourcer. Autre ustensile complémentaire avec le précédent : la SATT Paris-Saclay qui est entrée récemment dans sa phase opérationnelle. A quoi s’ajoutent : le pôle de compétitivité Systematic, déjà cité, cinq incubateurs (dont un public – IncubAlliance – et quatre autres d’écoles ou d’organismes de recherche), un réseau de FabLab permettant de faire du prototypage rapide, sans oublier la filière d’entrepreneuriat étudiante dont nous allons amplifier le développement.
Une palette très riche, comme vous pouvez le constater, qui sera complété par un Incubateur Pépinière Hôtel d’Entreprises (IPHE), porté par l’EPPS, et dans lequel nous prévoyons d’ajouter un centre de créativité et d’innovation.
– Que dites-vous aux PME et startuppers qui se disent contrariés dans leur tentative de développement local par les contraintes imposées par les marchés publics ? Elles seraient telles qu’elles les empêcheraient de travailler effectivement avec les industriels comme avec les institutions publiques du territoire ?
Les choses avancent y compris dans ce domaine. En témoignent les procédures mises en place par les services achats des industriels présents sur le plateau, pour passer des marchés à des start-up locales. Au vu de mes rencontres avec des acteurs de premier plan, je peux ajouter que cette disposition interne, quand elle n’existe pas déjà, est en train de se mettre en place. Bref, les acteurs industriels sont en passe de devenir de vrais partenaires pour les start-up, dès leur passage à la phase de commercialisation de leurs produits.
– Filons encore la métaphore : quel serait la cerise sur le gâteau ?
Clairement, notre objectif à court terme est de connaître des success stories, en suscitant dans les trois-quatre ans qui viennent l’émergence de deux à trois start-up à fort potentiel de croissance. Cela peut paraître un objectif modeste, mais cela peut assurer au Campus Paris-Saclay une visibilité à l’international, propice à renforcer l’attractivité du territoire et susciter d’autres success stories. Voyez l’effet d’une start-up comme StereoLab aussi bien à l’international que dans son environnement immédiat : son succès nourrit l’émulation auprès des étudiants de la FIE de l’Institut d’Optique, et de bien d’autres.
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