Europan : les lauréats exposent leurs idées pour le campus Paris-Sud
La veille du 1er mai 2014, les lauréats du concours Europan, qui avaient choisi de travailler sur le campus de Paris-Sud, ont été invités à présenter leurs idées aux acteurs et usagers de ce territoire. Tous ont mis en valeur son potentiel, en esquissant un campus « urbain ».
La veille du 1er mai, une soixantaine de personnes s’étaient rendues au bâtiment 338 du campus de Paris-Sud, pour assister à la présentation des idées d’aménagement de sa partie aval, située sur la commune de Bures-sur-Yvette, par les lauréats de la 12e session du concours Europan.
Une ville adaptable
Pour mémoire, ce concours a été créé en 1988, dans l’idée de favoriser l’accès de jeunes architectes et urbanistes à la commande et nourrir la réflexion et le débat au plan européen. Durant trois mois, les candidats sont invités à plancher sur un site réel, au choix parmi ceux proposés par des collectivités ou des aménageurs, au prisme d’une thématique. Cette année : « la ville adaptable, insérer les rythmes urbains ».
Pour cette 12e session, pas moins de 1 760 projets ont été proposés, à partir de 51 sites répartis entre 16 pays européens différents. Les jurys ont primé 106 équipes (soit 43 lauréats, 63 mentionnés), résidant dans 19 pays différents.
Le campus vallée de Paris-Sud parmi les sites étudiés
Parmi les sites français, qui avaient été retenus : le campus vallée de Paris-Sud, donc, choisi à l’initiative de l’EPPS avec l’assentiment de l’université. Bien en prit aux organisateurs, car, si le Plateau de Saclay, appelé à accueillir de nouveaux établissements (Ecole Centrale, ENS Cachan, le Campus R&D d’EDF…) pouvait paraître plus approprié, le site retenu s’est révélé des plus intéressants : situé à proximité d’habitats et riche d’une biodiversité, il doit, comme l’a souligné en préambule Isabelle Moulin (Secrétaire générale d’Europan France), relever le défi de favoriser les relations humaines entre ceux qui le fréquentent (étudiants, chercheurs, enseignants, personnels administratifs) et les habitants des alentours, pour en faire un lieu hybride, entre campus et espace public, ouvert à tous, dans le respect de son environnement.
Des équipes ont d’ailleurs été nombreuses à le retenir et trois d’entre elles figurent donc parmi les lauréats. Comme l’a également rappelé en préambule Isabelle Moulin, leur présentation de ce 30 avril était l’aboutissement d’un processus ancien, bien antérieur aux trois mois dont elles avaient disposé. Il remonte en effet à près de deux ans, avec les premières visites du site sous la houlette de Lise Mesliand et de Pierre Veltz (respectivement directrice de l’aménagement et PDG de l’EPPS).
Trois mois pour formuler des propositions, cela peut paraître beaucoup. C’est peu en réalité compte tenu de leurs contraintes de temps de jeunes professionnels : comme le veut le règlement, tous sont déjà engagés dans la vie active (la plupart ont d’ailleurs créé leur agence peu avant ou dans le sillage de leur candidature). Comme les autres lauréats, ils ont été sélectionnés par un jury sur la base de dossiers numérotés pour préserver jusqu’au bout leur anonymat et garantir son impartialité. Ce n’est qu’une fois les dossiers sélectionnés que ses membres ont pu mettre un visage sur les numéros, lors d’une première présentation orale organisée en février dernier, à Paris, à la prestigieuse Cité de l’Architecture & du Patrimoine.
Un peu plus d’un mois plus tard, c’était donc devant les acteurs du territoire que les lauréats ont été invités à le faire : le maire de Bures-sur-Yvette, Jean-François Vigier, le Président de l’Université Paris-Sud, Jacques Bittoun, et son Vice-Président Jean-Michel Lourtioz, d’autres personnels du campus, des associations environnementales… qui ont pu prendre la mesure du caractère inspirant du site. Car, à chaque équipe, une vision singulière développée à travers des notions différentes.
Trois équipes, trois visions singulières…
Les propositions de la première équipe, constituée de deux architectes-urbanistes – Maia Tüür & Yoann Dupouy – ayant déjà une dizaine d’années d’expérience comme chef de projet (elle sur des sites universitaires, lui sur des sites aussi bien métropolitains que sur des écoquartiers ou des centres dégradés), s’organisaient autour de trois enjeux et autant de notions clés.
Les enjeux, d’abord : une nature extrêmement puissante, mais peu accessible, à part le cheminement le long de l’Yvette ; des espaces publics qui se réduisent pour l’essentiel à une voirie, au demeurant peu praticable à pied, sans réelle mise en relation des bâtiments ; enfin, des interfaces peu définis. Autant d’enjeux qui, comme nos deux architectes-urbanistes prirent soir de le préciser, sont loin d’être propres au site, mais concernent en vérité l’ensemble du campus de Paris-Sud. A chacun de ces enjeux, ils ont fait correspondre les notions clé suivantes : la « grille naturelle » (pour mieux structurer le site, le rendre plus accessible, en révéler les particularités paysagères par des cheminements plus lisibles) ; les « clairières » (pour mieux mettre en relation les bâtiments, valoriser les sols…) et, en référence à la nature intermédiaire développée par le paysagiste Michel Desvigne, la « ville intermédiaire » (mêlant des logements étudiants à des logements sociaux ou pour primo-accédants, mais aussi des équipements partagés…; et impliquant, sur le plan de la mobilité, un frein à la prolifération de la voiture par l’aménagement de parkings souterrains).
La deuxième équipe est formée d’un collectif de trois architectes (Yvan Okotnikoff, Aurélien Delche, Thomas Nouaillier, également urbaniste) associés à deux ingénieurs paysagistes (Thibault Barbier et Mathieu Delorme), que leur expérience d’Europan a d’ores et déjà incités à se constituer en agence. Originalité de leur proposition : appréhender le campus, en fait l’ensemble du Plateau de Saclay, pour ce qu’il aura toujours été : un lieu de négociations. Au XVIIe siècle, pour la constitution du vaste réseau de rigoles et d’étangs, destiné à alimenter en eau les fontaines du château de Versailles. Plus récemment, dans la seconde partie du XXe siècle, pour la création du campus. Là où d’aucuns pourraient voir dans ces précédents des exemples de coups de force du pouvoir central, cette équipe préfère y voir autant d’illustrations d’une négociation entre des acteurs et un territoire et, donc, comme la rencontre entre un projet ambitieux et les acteurs locaux. Dans cette perspective, le projet de Paris-Saclay s’inscrit bien dans une continuité, en se déclinant néanmoins en de nombreux enjeux susceptibles d’être négociés à différentes échelles correspondant aux niveaux de dénivellation de la vallée.
En guise d’illustration, l’équipe a mis en avant la problématique de l’eau, qui, en plus de se manifester à travers de multiples résurgences, est l’objet d’un empilement de protections réglementaires. Posé en ces termes, son traitement passe bel et bien par la création des conditions de négociation pour permettre la conduite de projets partagés. Tout autant à négocier sont les enjeux d’accessibilité au plateau depuis la vallée. Ce faisant, ce collectif pourrait bien avoir mis le doigt sur un mal français pointé par de nombreux observateurs, à savoir la difficulté à réunir les parties prenantes pour co-construire des solutions à des problématiques concrètes…
Sur un plan plus architectural et urbanistique, cette vision s’incarne dans des plateformes. Le collectif en distingue jusqu’à cinq correspondant aux niveaux de dénivellation du territoire (qui s’élève jusqu’à plus de 500 m) : le centre ville dans son rapport au campus, l’Yvette, le petit plateau, etc. Concernant l’accessibilité, l’équipe formule propose une double approche entre l’aménagement d’un axe fort (assurant un accès rapide au plateau depuis la vallée, moyennant, par exemple, un périphérique) ou d’un axe sinueux.
Enfin, la 3e troisième lauréate, Suzanne Jubert, est une jeune architecte de formation, ayant plusieurs expériences de collaboration en agence autour de projets « à différentes échelles ». De fait, si elle a porté son attention sur le périmètre défini pour le concours, c’est en le réinscrivant préalablement comme les équipes précédentes, dans l’ensemble du campus, pour, au final, faire des constats convergents, à commencer par le manque de visibilité et de mise en valeur de l’Yvette et la disposition « aléatoire » des bâtiments, sans rapport avec le paysage. En bref, la science est bien là, mais comme en s’excusant presque d’exister. Le seul élément structurant du territoire réside, constate encore notre architecte, dans sa desserte routière avec toutes les nuisances que cela peut entraîner. Rien ne permet de faire prendre conscience au visiteur de l’étendue du site tant il paraît cloisonné. Le campus a beau être aux portes des villes avoisinantes, il entretient peu de lien avec elles, et vice versa. Pour pallier ce manque de visibilité et d’identité d’ensemble, faciliter la lecture du paysage, Suzanne Jubert propose donc de mettre en relation les composantes du campus, en s’appuyant sur deux éléments. D’une part, de « grandes cours », propices à la mutualisation des fonctions principales (recherches, enseignements, logement), autour de l’Yvette qui serait mise en valeur dans le respect de ses humeurs (les risques de débordement…). D’autre part, des « lanières » pour structurer une trame paysagère en forme d’archipel : les unes paysagères, végétales, les autres organisées autour d’équipements de taille modeste, propices aux rencontres entre les populations des villes et du campus. Tout cela à partir de l’existant, mais aussi des réaménagements qui passent par des démolitions/reconstructions.
Un site peu lisible, insuffisamment valorisé
Trois exposés qui, pour manipuler des notions abstraites, n’en étaient pas moins vivants, les lauréats illustrant leurs propos par le récit de vie d’usagers célèbres ou anonymes (Cédric Villani, dans le cas du premier ; une professeur de l’Université Paris-Sud, un collégien, un étudiant étranger arrivé tout droit d’Orly, etc. dans le cas du deuxième), témoignant ainsi, comme le souligne Isabelle Moulin, d’un réel souci de s’adresser aux « gens dans leur diversité et in situ : aussi bien au prix Nobel qui fait son marché dans une des communes voisines, que à la femme qui fait le ménage dans un laboratoire. »
Par-delà leurs singularités, les trois équipes ont souligné à la fois la richesse du site et son insuffisante mise en valeur et, par conséquent, la nécessité de s’appuyer sur l’existant. Pour autant, elles n’en sont pas restées à une attitude contemplative. A l’évidence, toutes avaient pris le temps d’arpenter le territoire et constaté qu’on ne le pratique de la même façon selon la saison… : automne comme hiver, des cheminements sont souvent impraticables. La prolifération de la voiture ne leur a pas échappé non plus : la plupart formule des propositions pour en réduire les nuisances, y compris esthétiques (comme l’aménagement de parkings souterrains ou au sein de bâtiments anciens transformés en parcs-relais). Toutes ont saisi l’enjeu principal : réconcilier le campus avec la commune voire les communes environnantes, Bures-sur-Yvette, mais aussi Orsay, pour le plus grand profit de ses étudiants et des personnels, mais aussi les habitants des alentours qui ignorent pour la plupart le parc dont ils disposent à portée de marche.
Cependant, si les lauréats ont largement respecté l’esprit du règlement, ils ne l’ont pas fait à la lettre. Ils ont bien considéré le périmètre du site et le volume de constructions envisageable (200 logements), mais en replaçant le tout dans le contexte du campus et ses 550 ha, illustrant au passage la réflexion de l’urbaniste Bernard Reichen, cité par Isabelle Moulin, à savoir « On peut agir à l’échelle stratégique, mais aussi à l’échelle locale ». Dans cette double perspective, le campus se révèle bien plus comme une véritable porte d’entrée depuis Paris via le Rer B.
Pour autant, les lauréats se sont gardés de chercher une transposition telle quelle du modèle de campus US. A l’évidence, le campus de Paris-Sud, à cheval sur des vallées et un plateau et étendu, présente des problématiques spécifiques, notamment en termes d’accessibilité, qui appellent en conséquence des solutions tout aussi spécifiques (comme ce serpent de mer qu’est l’aménagement d’un… téléphérique, évoqué par la dernière candidate).
Si des pistes faciles à mettre en œuvre ont été ouvertes (comme par exemple la pratique d’une micro-agriculture par les étudiants), le propos n’était pas, encore une fois de proposer des solutions clés en main, ni d’entrer dans les considérations techniques, mais de s’inscrire dans un concours d’idées. Lesquelles sont néanmoins destinées à nourrir la réflexion des maîtres d’ouvrage. La question n’a donc pas manqué d’être abordée : qu’en est-il de la suite ? Un des participants, déjà lauréat dans le cadre d’une autre équipe, se montrait confiant et… patient, en constatant que trois années s’étaient écoulées avant la concrétisation d’une commande.
Un accueil positif par les acteurs du territoire
La tonalité des réactions de la salle était de bon augure. Hormis un questionnement sur la gestion de l’eau, particulièrement complexe de ce territoire soumis à un PPRI (un Plan de Prévention des Risques d’Inondation), elles manifestaient un réel intérêt pour l’approche des lauréats. Des représentants d’associations de protection de l’environnement étaient conquis par la perspective d’envisager le campus comme un parc pour les habitants de Bures-sur-Yvette comme ceux d’Orsay, tout en respectant sa vocation universitaire. Quand le simple fait de poser un autre regard permet de mettre en exergue des idées frappées au coin du bon sens…
De même, l’intérêt manifesté aussi bien par le président de l’Université Paris-Sud que le maire de Bures-sur-Yvette était encourageant. Tandis que ce dernier soulignait combien les approches pour êtres différentes n’en enrichissaient pas moins la réflexion des élus sur la manière de réconcilier sinon faire se rencontrer la ville et l’université, le premier relevait que les projets venaient à point nommé, à l’heure où le campus était en cours de restructuration dans le cadre de Paris-Saclay, avec des laboratoires et des institutions appelés pour les uns à rejoindre le plateau, pour les autres à demeurer dans la vallée.
Quant aux trois équipes, loin de se considérer comme concurrentes, elles avaient visiblement plaisir à se retrouver, se réjouissant à l’idée de travailler ensemble. Ultime illustration de la réussite de cette session 2012 d’Europan organisée sur le campus vallée de Paris-Sud, l’annonce faite par Isabelle Moulin d’inscrire d’autres sites de ce campus à la prochaine session, laquelle prolongera la réflexion autour de la « ville adaptable ».
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