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Entrepreneuriat innovant

Être entrepreneurs innovants à Paris-Saclay. L’exemple V-Motech (2)

Le 29 août 2013

Suite de notre rencontre avec les fondateurs de V-Motech, lauréats du premier trophée Invest Paris-Saclay 2013 et en passent de révolutionner la pratique des essais dans le monde automobile. L’occasion de recueillir aussi leur retour d’expérience sur ce que signifie aujourd’hui créer une entreprise innovante en France en général, et à Paris-Saclay, en particulier.

Pour accéder à la première partie de la rencontre avec les cofondateurs de V-Motech, cliquer ici.

La société V-Motech a officiellement vu le jour en octobre 2012 après plusieurs mois de gestation. « Le temps, précise Sébastien, de démontrer la faisabilité de nos idées et de construire un business plan aussi robuste que possible, de trouver un endroit où s’implanter et de bénéficier d’un accompagnement. » Sans compter la recherche des premiers financements.

Au sein de leur société, les rôles ont été clairement répartis : à Stéphane la présidence et, à ce titre, la responsabilité du développement commercial et stratégique, de la gestion RH et financière ; à Sébastien, la direction générale et la gestion du projet (l’ingénierie collaborative, la protection de la propriété intellectuelle à travers notamment le dépôt de brevets, etc.). Quant à Nicolas, également directeur général, il est en charge de l’expertise technique relative au dimensionnement et au développement des servitudes.

A bien y réfléchir, leur innovation décline des solutions existantes dans d’autres domaines : on pense au laboratoire ambulant pour la collecte de sang. Ce que les fondateurs de V-Motech reconnaissent en faisant d’ailleurs part de leur intention de décliner leur concept, dans d’autres secteurs d’activités.

Pourquoi personne d’autre n’a pensé plus tôt à leur banc d’essai mobile ? Stéphane : « Jusqu’à présent, les constructeurs ne s’étaient pas souciés des coûts que représentaient leurs centres techniques. Dans le contexte de crise, ils se recentrent désormais sur leur métier, en y réfléchissent à deux fois avant d’investir dans des sites qui pourraient constituer une charge. Aujourd’hui, un constructeur est davantage prêt à dépenser plus d’argent sur plusieurs années que de réaliser un investissement dans un centre technique, dont il va falloir assumer l’amortissement, mais aussi l’exploitation et la maintenance, pour des usages relativement peu fréquents. » A quoi, précise Stéphane, s’ajoutent les exigences accrues en fiabilité et qualité d’essais notamment pour répondre à l’allongement des durées de garanties des véhicules aux règlementations de plus en plus strictes et aux développement de technologies de plus en plus complexes. « Cela se traduit par un besoin de bancs de test spécifiques et complémentaires ».

Le banc d’essai qu’ont imaginé nos trois entrepreneurs s’appelle  V-ROAD. Respectant les dimensions imposées par le code de la route, il comprend tout le nécessaire pour réaliser des essais véhicules dans des contextes routiers et climatiques simulés. Un constructeur veut, par exemple, tester un moteur roulant à 120 km/h sur une route pentue à 2000 m d’altitude, par vent fort et sous une température de -15 degrés ? Qu’à cela ne tienne. Le banc d’essai peut tout simuler ou presque, et tout mesurer : les émissions de gaz à effet de serre, de particules, la consommation de carburant… Soit faire aussi bien si ce n’est mieux qu’un centre technique classique, avec cependant cet avantage de se déplacer… En plus de la mobilité, le concept offre deux autres avantages en M : la modularité et la mutualisation.

– la mutualisation : par sa mobilité, il est mutualisable entre les différents sites R&D du client, où qu’ils se trouvent, en France ou à à l’étranger.

–  la modularité : il est mis à disposition selon les besoins, sur sites clients ou sites spécifiques, avec ou sans ingénierie ou encore avec ou sans système de mesures.

Stéphane insiste encore sur la mobilité : « Les constructeurs bénéficient de tous les avantages de la pleine possession et ne payent que le temps d’utilisation. Fini les coûts associé d’exploitation de maintenance et d’immobilisation. Par la mobilité, et la mutualisation V-Motech accroît la productivité et diminue les facteurs qui font d’un centre technique une dépense prohibitive et imprévisible.

Aussi frappée du coin du bon sens que paraisse leur solution, elle a demandé plusieurs mois de développement et donné lieu au dépôt de deux brevets. Sébastien : « L’intégration des équipements dans un seul et même camion n’a pas été simple. » Aujourd’hui encore, il poursuit ses recherches pour optimiser l’encombrement. « Naturellement, celui-ci pourra encore évoluer au gré des retours d’expérience et des nouveaux besoins. »

Mais comment en plus d’innovateurs, devient-on entrepreneurs ? Comment se lance-t-on aussi jeunes dans l’entrepreneuriat ? Qu’est-ce donc qui les a décidés à sauter le pas ? En réalité, si c’est leur première création d’entreprise, le monde de l’entrepreneuriat ne leur est pas tout à fait étranger : leur propre père y est entré de longue date. Stéphane : « On a pu voir de près ce qu’était la vie de chef d’entreprise, aussi bien dans ses aspects positifs que négatifs. On sait en particulier ce que cela coûte en termes d’investissement familial ! » Les aspects positifs l’ont manifestement emporté sur les seconds, à en juger par le plaisir qu’ont nos entrepreneurs à partager le récit de leur aventure.

A contrario, l’expérience du salariat a été selon leurs propres termes, « source de déception ». Stéphane : « L’entreprise dans laquelle nous avons travaillé ensemble ne correspondait pas à l’idée que nous faisions de l’entrepreneuriat, que ce soit dans son mode de management, que dans sa manière d’anticiper l’avenir. Sébastien : « Plutôt que de subir et d’être dans l’attente, nous nous sommes dit que nous avions peut-être intérêt de se doter des moyens de créer nous-mêmes de la valeur autour de notre métier. »

Entre le moment où l’on se dit cela et celui où on crée effectivement son entreprise, combien de temps peut-il donc s’écouler ? A cette question, Sébastien prend le temps de répondre. C’est que la réponse n’est pas simple. « Il y  eut un long moment de gestation avant que l’idée de créer ne s’impose et ne prenne forme. » Près de huit mois, en ce qui les concerne. Huit mois au cours desquels ils feront mûrir leurs idées et testeront la faisabilité de leur projet. Stéphane : « C’est bien d’avoir des idées, mais encore faut-il qu’elles soient viables techniquement et financièrement. » Et le même de confier encore : « Quand on est entrepreneur, il faut savoir rester modeste, en prenant le temps d’écouter et d’entendre les éventuelles critiques. » Conseil qu’ils ont appliqué à la lettre en jetant aux orties leur premier business model, au vu des premiers retours qu’ils en avaient eus.

« Mais, vous êtes fous ! »

« Mais, vous êtes fous !» Ils ne comptent plus le nombre de fois qu’ils ont entendu cette réaction, notamment dans la bouche de banquiers. Il est vrai qu’à l’heure où on ne parle plus que de crise de l’automobile, voire de sa disparition au profit d’autres formes de mobilité, eux, se lançaient dans la conception d’un banc d’essai, certes innovant, mais pour ladite industrie automobile.

A voir la manière dont Stéphane rapporte ces réactions, il en fallait manifestement plus à lui comme à ses deux comparses pour leur faire changer de route. « Nous n’avions pas l’intention d’ouvrir une concession automobile ! Mais d’accompagner les constructeurs pour les aider à surmonter une partie de leurs difficultés financières ». Son frère : « C’est en temps de crise que les meilleurs innovations émergent ! » En bref, c’était maintenant ou jamais. En abordant les choses ainsi, la crise n’était plus un problème, elle devenait même l’occasion de rendre viable leur propre modèle économique.

Et puis, les trois entrepreneurs n’ont jamais été abandonnés à eux-mêmes. A partir du moment où ils se sont lancés dans la création de leur entreprise, ils ont été accompagnés par de nombreuses institutions, entre la Chambre de Commerce et d’Industrie de l’Essonne, Innovapôle, la pépinière de Palaiseau, le Réseau Entreprendre… Depuis février 2013, il bénéficie de l’accompagnement d’IncubAlliance. Un soutien précieux, notamment pour la mise en relations avec des investisseurs potentiels.

Si les trois ont dû puiser dans leurs économies personnelles pour constituer le capital de V-Motech, ils ont pu bénéficier de différents apports extérieurs pour financer leur R&D : que ce soit en capital ou sous forme d’aides, de subventions, de prêt d’honneur à taux zéro, publics ou privés (d’Oséo ; du Réseau Entreprendre ou encore de Total développement, un fonds d’investissement dédié à l’amorçage de PME). Stéphane : « Nous avons même réussi à contracter un emprunt auprès d’une banque, la Banque Populaire, en l’occurrence. »

D’ores et déjà, ils se préparent à une première levée de fonds – qui se chiffrera en millions d’euros ! – pour financer la suite de leur développement. « Car, explique Stéphane, nous ne souhaitons pas nous limiter à un camion, ni nous restreindre à la France. Nous comptons mettre à profit notre atout majeur – la mobilité – pour nous développer à l’international. »

Lauréat du premier trophée Invest Paris-Saclay

Depuis sa création, V-Motech a déjà récolté plusieurs prix et trophées : outre le concours de la généreuse banque, ils ont été lauréats du concours « créateur d’entreprise » (en novembre 2012) organisé par le Réseau Entreprendre (ce qui leur a valu un accompagnement de deux ans). Le dernier en date : le trophée Invest Paris-Saclay. Sébastien : « Un prix précieux, qui nous a apporté un gain supplémentaire en visibilité ! »

Les clients potentiels ont pour noms ceux de constructeurs (PSA, Renault,…), mais aussi d’équipementiers (Valéo), ou encore de bureaux d’études. Pour l’heure, aucun contrat n’a été signé, mais tous manifestent un réel intérêt. Stéphane : « Nous avons même eu des cahiers des charges sur des besoins spécifiques ».

Lucide, le même explique : « Les grands comptes – avec lesquels nous sommes familiers pour avoir été par le passé en contact avec eux – attendent d’avoir le produit devant les yeux pour passer au stade de la contractualisation. »  Et puis : « Nous n’avons pas sauté dans l’inconnu. Nous nous sommes fondés sur une étude de marché, tout sauf simple à faire dans ce secteur où l’on cultive la confidentialité. »

Entreprendre en France et sur le Plateau de Saclay

Mais à quoi perçoit-on qu’on a créé son entreprise ? Stéphane : « D’un point de vue administratif, c’est obtention du Cabis (le 22 octobre 2012), car c’est le premier élément d’information qu’on vous demande. » Mais pour lui, c’est à un autre moment qu’il a éprouvé le sentiment d’avoir créé une entreprise : «  Quand nous avons enfin disposé de nos locaux ! ». Ceux en l’occurrence de la pépinière de Palaiseau qu’ils ont rejoints à partir d’octobre 2012.

Entreprendre en France, ce n’est pas facile dit-on. Les fondateurs de V-Motech confirment. Stéphane : « Il faut être déterminé et croire en son projet. Mais si on frappe aux bonnes portes, avec humilité, en sachant écouter et se remettre en question… » A cet égard, le passage par le Réseau Entreprendre a été enrichissant. « Notre projet a été passé au crible de professionnels ».

Et puis, entreprendre, c’est quand même une aventure passionnante. Stéphane : « Nous sommes au contact de nos clients. » Certes, ce ne sont pas des clients ordinaires – nous sommes dans le B to B – mais des clients quand même. » Aux contacts d’autres entrepreneurs, le trio découvre un vrai esprit d’entraide.

Originaires de l’Essonne, Sébastien et Stéphane en connaissaient bien la problématique de transport et d’accessibilité. Eux habitent dans les environs, mais ont du mal à recruter du personnel dans le périmètre. « Pour en attirer au-delà, il nous a fallu rester à proximité des transports ».

Parmi les autres difficultés, Stéphane pointe le manque de locaux professionnels adaptés. « L’offre est tournée principalement vers les demandes de bureaux ou de grandes surfaces de stockage. Pour notre part, nous avions besoin d’un espace pour entreposer notre matériel et parquer notre camion, et ce, en toute sécurité. » Sans compter les effectifs qui ont fortement augmenté. « Au départ, nous n’étions que trois ; aujourd’hui, le projet implique plus d’une quinzaine de personnes (apprentis et stagiaires compris). » Tous ne travaillent pas sur le site, mais peuvent avoir besoin à s’y rendre.

La pépinière de Palaiseau n’étant plus adaptée, ils ont donc dû partir à la recherche de nouveaux locaux. Stéphane : « Sans le moindre bilan, c’était a priori mission impossible. Les bailleurs demandaient un an de caution bancaire… » Sébastien : «  IncubAlliance était prêt à nous accueillir, mais cela supposait de traverser de petites rues de la ville d’Orsay. Vu le volume du camion… » Heureusement, il y a tout ce réseau dédié à l’accompagnement et dont ils ont pleinement bénéficié pour trouver une solution à leur problème.

Depuis début juillet, ils ont donc quitté la pépinière de Palaiseau pour le Parc de l’Evénement, à Longjumeau. En aménageant ici, ils ont perdu en accessibilité (perte relative, le parc étant desservi en un quart d’heure par un bus au départ de la gare RER de Massy-Palaiseau). Et comme son nom le suggère, ce parc est un pôle immobilier dédié aux entreprises spécialisées dans l’événementiel… Autant dire rien à voir avec le domaine d’activité de V-Motech. Quoique… Au fil de la conversation, on apprend que le père de Sébastien et Stéphane était entrepreneur dans… l’événementiel. « Il a participé à la conception de ces camions intégrant tout le nécessaire pour l’organisation de concerts en plein air. » Quand le hasard favorise des esprits préparés…

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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