Intégrer une multinationale ou un cabinet d’affaires, tel était le destin naturel d’un diplômé d’HEC. Depuis quelques années, plusieurs se lancent dans la création de leur propre entreprise, en bénéficiant du concours du Centre d’Entrepreneuriat, créé en 2011. Rencontre avec son directeur, Frédéric Iselin, titulaire d’un executive MBA d’HEC (promo 2000), à travers cet entretien mis en ligne en juillet 2011.
– A qui s’adresse le Centre d’Entrepreneuriat ?
Aussi bien aux élèves en formation initiale qu’à des seniors qui suivent un MBA ou un Executive MBA. Les premiers sont de plus en plus nombreux à vouloir se lancer dans la création de start-up. Ils ne sont plus dupes de la réalité des carrières dans un grand groupe. Ils savent qu’ils sont susceptibles d’être des variables d’ajustement. Ils ont vu leurs propres parents connaître le chômage et/ou changer d’entreprises plusieurs fois. Ils ont envie d’être les acteurs de leur propre vie. Ils se posent cependant des questions au point d’hésiter à sauter le pas. Au-delà de la sensibilisation à l’entrepreneuriat, nous sommes là pour les accompagner dans la réalisation de leur projet. Quant aux seniors, en MBA ou en Executive MBA, ils manifestent le désir de vivre une autre expérience professionnelle.
– Le Centre a vu le jour en 2011. Comment expliquez-vous qu’HEC en soit venue si tardivement à accompagner l’entrepreneuriat ?
La vocation première d’HEC est de former des managers appelés à intégrer de grands groupes. Un HEC entrepreneur est donc plutôt un être atypique ! Un diplômé issu de cette grande école sait qu’il peut gagner confortablement sa vie une fois son diplôme en poche en intégrant une grande entreprise, un cabinet conseil ou la finance avec de surcroît d’intéressantes perspectives à l’international. Pourquoi créerait-il sa start-up avec le risque d’être payé à peine le smic deux ans durant ? C’est un autre choix de vie. Cela dit, l’engouement de nos élèves pour l’entrepreneuriat n’est pas nouveau. On se souvient des start-up créées lors de la bulle internet des années 90-2000. Son éclatement a eu des effets dissuasifs. Mais, depuis quelques années, nous assistons à un regain d’intérêt, porté par d’autres motivations, celles que j’ai rappelées. C’est dans ce contexte qu’a germé le projet de Centre d’Entrepreneuriat.
Cela étant dit, HEC est tout de même présent sur le terrain de l’entrepreneuriat depuis de nombreuses années. En effet HEC entrepreneurs à été créé il y a plus de 30 ans, et Challenge + depuis plus de 20 ans. De même, l’expérience d’HEC dans l’incubation est plus ancienne. Elle débute en 1999 avec la création d’Incuballiance dont elle est un membre fondateur.
– Que propose concrètement le Centre d’Entrepreneuriat ?
Il a commencé par agréger des programmes déjà existants – d’une part, « Challenge + », d’autre part, l’« Université du droit d’entreprendre », un séminaire de discrimination positive pour les entrepreneurs des quartiers dits sensibles, sans oublier l’incubateur HEC créé en 2007. Il a par ailleurs développé deux projets nouveaux : « Start-up InVitro » et un fond d’amorçage en cours de constitution. Malgré le contexte actuel, peu favorable aux levées de fond (mais y-t-il jamais eu un contexte favorable ? Quand ce n’est pas la crise, ce sont les échéances électorales !), les premiers retours concernant ce fond sont plutôt encourageants.
– Pourquoi avoir créé votre propre incubateur ?
En créant notre incubateur, nous avons pris soin de ne pas cannibaliser ce qu’on faisait par ailleurs. L’incubateur a été dès son origine positionné sur l’innovation de services « low tech » (les projets « high tech » étant orientés vers Incuballiance). Nous considérons comme technologique un projet qui compte un niveau de R&D significatif et potentiellement du dépôt de brevet. Cela dit la frontière entre projet technologique et non technologique reste poreuse. Certains projets sont d’ailleurs en co-incubation.
– Venons-en à « Start-up In Vitro ». Quelle est sa vocation ?
Marier des diplômés qui aspirent à devenir entrepreneurs, mais qui n’ont pas de projet, et des chercheurs qui ont des technologies à valoriser, mais qui n’aspirent pas nécessairement à devenir entrepreneurs.
Concrètement, nous prospectons les projets auprès de nos partenaires : le CEA, Télécom ParisTech, l’Inria,…
Les incubateurs publics «Allègre »
Nés de la loi sur l’Innovation et la Recherche du 12 juillet 1999, à l’initiative de Claude Allègre, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, ils visent à valoriser la recherche par la création d’entreprises. Au total, 28 incubateurs labellisés par le ministère sont répartis sur tout le territoire. Pour bénéficier de ce type de dispositif, le projet doit être porté par un laboratoire de recherche public ou être lauréat du Concours national d’aide à la création d’entreprises de technologies innovantes, organisé par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Les incubateurs Allègre proposent un accompagnement de 24 mois.
Ces établissements de recherche sont riches de technologies qui ne sortent pas toutes, soit parce que leurs concepteurs n’ont pas envie de se retrouver à négocier avec des investisseurs, soit parce qu’ils préfèrent co-créer une start-up, mais sans être parvenus à identifier le bon partenaire. Nous leur proposons donc de leur trouver un entrepreneur, nécessairement diplômé d’HEC. En sens, inverse, il s’agit aussi de permettre au concepteur d’un service innovant, issu de l’école, de greffer des technologies à partir d’un partenariat avec un centre de recherche. De là le nom du programme en forme de clin d’œil à la « manipulation génétique », que nous pratiquons cependant avec une préoccupation éthique : tous les mariages ne sont pas possibles !
– Comment faites-vous pour faire dialoguer des managers et des chercheurs ?
Pour être des managers, les diplômés d’HEC n’en ont pas moins un solide bagage scientifique acquis ne serait-ce que pendant leurs années de classe préparatoire. De même, les MBA ou Executive MBA sont pour la plupart des ingénieurs, forts d’une expérience professionnelle en lien avec la R&D. Il n’y a donc pas a priori de conflits de cultures. A travers notre sélection, nous sommes attentifs aux qualités humaines des chercheurs et des futurs entrepreneurs. Les candidats sont coachés à cette fin.
– Que se passe-t-il ensuite ?
Les projets retenus sont placés en pré-incubation avant de rejoindre, pour les plus technologiques, Incuballiance. Les moins technologiques pourront rejoindre l’incubateur d’HEC.
– De quels moyens disposez-vous ?
Le Centre d’Entrepreneuriat mobilise six équivalents à temps plein. Le montant demandé – 3 166 euros pour les entrepreneurs HEC et 5 133 euros pour les apporteurs de projet – est sans commune mesure avec le coût réel de l’accompagnement. Ce programme est financé par des subventions de la Région IDF, d’Orléans Technopole, de la Caisse des Dépôts et Consignations ou encore de la Fondation HEC. Nous avons, par ailleurs, déposé un dossier auprès du Fonds Social Européen (FSE). Notre intention est que, d’ici à six ans, notre business modèle s’émancipe des subventions en sollicitant, pourquoi pas, l’aide des sociétés qui auront bénéficié d’un accompagnement du Centre.
– Où en êtes-vous aujourd’hui ?
Au total, tous dispositifs et programmes compris, ce sont 60 projets qui sont accompagnés par le Centre d’Entrepreneuriat. Ce qui en fait un des plus actifs si ce n’est le plus actif en France. Pour mémoire, 25 start-up sortent chaque année du centre de R&D du MIT et à peine 6 de Stanford. Soit, bien moins que ce qu’on imagine ! A ce jour, nous n’avons pas trouvé de dispositifs, en France en tout cas, avec une offre aussi large, de la sensibilisation au financement.
– Comment percevez-vous l’évolution de l’entrepeneuriat en France ?
A titre personnel, je dirai que la culture entrepreneuriale est encore peu répandue. Cependant les choses évoluent dans le bon sens, depuis au moins la mise en place des Incubateurs Allègre (voir encadré). Les résultats à court terme pourraient sous doute être meilleurs qu’ils ne sont. Mais au moins, ces dispositifs ont-ils fait évoluer les mentalités en incitant des chercheurs à adopter une posture d’entrepreneurs.
Reste encore une certaine indifférence de la part d’institutions. A l’évidence, l’entrepreneuriat n’est pas leur priorité. Résultat : les projets qui émergent sont encore portés par les plus motivés, ceux pour qui s c’est vital. D’autres initiatives mériteraient pourtant d’être explorées.
Quand nous mettons en présence nos étudiants avec des technologies conçues sur le Plateau de Saclay, l’effet « wahou » est systématique. De même, lorsque nous présentons des diplômés d’HEC à des chercheurs et des ingénieurs. Ils sont séduits par leur profil et comprennent très vite l’intérêt d’une collaboration.
Les clichés sont en passe d’être dépassés. Un long chemin a été parcouru depuis le premier séminaire que j’avais animé avec l’Ecole Polytechnique, organisé au début des années 2000. Nous avions proposé aux HEC et aux Polytechniciens de présenter leurs projets respectifs et de dire ce dont ils avaient besoin de la part d’un élève de l’autre école. Patatra ! Les Polytechniciens ont commencé par dire qu’ils avaient besoins de « commerciaux », tandis que les HEC disaient, eux, avoir besoin de « techniciens »… J’ai eu un grand moment de solitude ! Il n’y avait aucune mauvaise intention de part et d’autre. Seulement, c’était deux mondes qui ne se connaissaient pas encore.
Plus de dix ans après, les HEC et les Polytechniciens parlent le même langage. D’ailleurs, je mets au défi de distinguer l’HEC et le Polytechnicien qui se présentent en fin de séminaire, à la soutenance d’une équipe mixte. Et pas seulement au niveau de l’apparence vestimentaire, mais dans la manière de défendre leur projet.
– En quoi Paris-Saclay offre-t-il des perspectives intéressantes à l’entrepreneuriat ?
La notion de cluster est intéressante, mais il faut la faire vivre concrètement. Je suis frappé de voir à quel point mes interlocuteurs mettent spontanément en avant les problèmes de transport. A vol d’oiseau, le CEA et l’Ecole Polytechnique sont proches d’HEC. Mais essayez de vous y rendre le matin… Vous n’imaginez pas le temps perdu dans les embouteillages !
– Est-ce un frein au développement de l’entrepreneuriat ?
Oui, si on considère que les échanges informels sont essentiels à l’éclosion de projets. On connaît tous les vertus des discussions autour de la machine à café ! C’est dans cet esprit que nous nous efforçons de multiplier les occasions de rencontres en organisant des séminaires communs avec d’autres écoles du Plateau.
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Les incubateurs publics «Allègre »
Nés de la loi sur l’Innovation et la Recherche du 12 juillet 1999, à l’initiative de Claude Allègre, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, ils visent à valoriser la recherche par la création d’entreprises. Au total, 28 incubateurs labellisés par le ministère sont répartis sur tout le territoire. Pour bénéficier de ce type de dispositif, le projet doit être porté par un laboratoire de recherche public ou être lauréat du Concours national d’aide à la création d’entreprises de technologies innovantes, organisé par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Les incubateurs Allègre proposent un accompagnement de 24 mois.
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