Spécialiste de psychologie cognitive, professeur au Collège de France, Stanislas Dehaene a participé à l’aventure de NeuroSpin depuis son commencement. Dans la perspective de la création de l’Institut des Neurosciences, il témoigne de sa vie de chercheur sur le campus du CEA et le territoire de Saclay qu’il connaît d’autant mieux qu’il habite Palaiseau…
Venons-en justement aux questions de transport. Quelles sont vos attentes en la matière ?
Mes collègues et moi attendons le métro automatique avec beaucoup d’impatience ! Aujourd’hui, tout se fait en voiture ou en car. A 8 h 30 du matin, iIl y a quand même quelque chose d’irritant et d’étrange à être bloqué pendant une vingtaine de minutes au milieu des champs à cause des embouteillages. Au retour, pour peu qu’on quitte nos laboratoires aux alentours de 17 h, on se retrouve au milieu de la noria de cars du CEA. D’où l’importance de cette station du futur métro qui desservira le campus. Il faut la mettre juste à l’entrée et non pas à 400 m de là, en bordure du terrain de golf comme je l’ai entendu dire ! A cet égard, nous pouvons prendre exemple sur l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), bien reliée à la ville par un tramway qui traverse naturellement le campus.
Seriez-vous prêt à abandonner la voiture ?
Bien sûr ! D’ailleurs, je me rends déjà de temps en temps en vélo à NeuroSpin, en empruntant le chemin qui suit les rigoles. Malgré quelques endroits assez risqués, comme le rond-point du Christ de Saclay, ce chemin est très agréable. Il importe de préserver l’environnement exceptionnel du Plateau de Saclay. Le paysage contribuera aussi à l’attrait du campus. La nuit étant tombée, vous ne le voyez pas, mais de mon bureau, je peux contempler les champs du Plateau. C’est quand même merveilleux. Et ce n’est pas que l’habitant qui s’exprime. Le paysage concourt aussi à rendre la vie du chercheur agréable. Il fait toute l’originalité des campus d’ici, que ce soit celui de Polytechnique, de Paris-Sud ou du CEA avec leurs espaces verts, boisés et leurs larges voies de circulation.
Concernant l’accueil des étudiants, que suggériez-vous ?
Mon laboratoire est constitué aux deux tiers de Postdocs étrangers qui ont choisi de venir ici plutôt qu’aux Etats-Unis : des Européens, mais aussi des Chinois, des Taïwanais, etc. Tant et si bien qu’ici, on ne parle plus qu’un broken english !
Ces chercheurs pâtissent cependant des conditions d’accès et de cette culture de la haute sécurité que j’évoquais tout à l’heure. Ceux qui n’ont pas de voiture sont tributaires des cars et de leurs horaires. Le dernier, annoncé par une sirène, part à 17 h 12. Un non sens pour des chercheurs ! Ceux qui veulent rester au-delà se débrouillent en pratiquant le covoiturage (j’en ramène d’ailleurs moi-même à la station de Palaiseau). Cela crée une ambiance à deux vitesses, entre ceux qui sont tributaires du car et les autres.
La recherche requiert une certaine flexibilité dans la gestion des emplois du temps. Les chercheurs ont besoin de vivre à leur rythme. Entre ceux qui sont du matin et ceux qui sont du soir, on ne peut imposer un cadre horaire trop rigide. J’estime que c’est au laboratoire de s’adapter s’il veut attirer des esprits brillants.
Seulement, le campus du CEA est historiquement dédié à la recherche professionnelle : c’est un campus sans étudiants. Il n’a pas été configuré pour en accueillir. Dès lors qu’on a l’ambition de créer un vrai campus, il faut qu’ils puissent y partir et y arriver quand ils veulent.
Certes, des zones doivent être sécurisées, mais de là à sécuriser tout le campus… A NeuroSpin en particulier, nous n’avons pas de secret majeur à protéger. Le niveau de sécurité est largement suffisant. Rien ne sert de décourager les chercheurs étrangers en leur donnant le sentiment qu’on les considère comme des espions potentiels.
La construction de logements ne serait-elle pas une solution au problème des transports ?
En partie. Certains chercheurs cherchent à loger sur place, notamment s’ils sont en couple avec des enfants – la vie familiale est très agréable dans les petites résidences de la vallée ou en bordure du plateau. Moi-même, je suis très heureux d’habiter à Palaiseau. Mais encore faut-il pouvoir loger dans un lieu animé. Des personnes vivant en couple se satisferont d’une vie ici, a fortiori s’ils ont des enfants. Pour de jeunes postdocs, c’est plus difficile. Ici, le soir, la vie de campus est sinistre ! Certes, l’environnement est particulièrement agréable ; il comprend des équipements sportifs remarquables. Mais passées les heures de bureau, il n’y a pas grand-chose à faire. Sauf à modifier radicalement les conditions de vie sur le Plateau, beaucoup d’étudiants continueront à préférer se loger sur Paris.
Les aménageurs du Plateau devront être attentifs à cet aspect des choses s’ils veulent que le campus fonctionne. Construire des logements supplémentaires, c’est bien, mais pas suffisant. Il faut aussi se préoccuper du cadre de vie, de jour comme de nuit.
Et pour les chercheurs eux-mêmes, de passage sur le Plateau, que pensez-vous de l’idée de construire des logements voire des hôtels ?
Cela correspond à une réelle demande. Des villes comme Saint-Aubin seraient adaptées pour en accueillir. Il faut cependant veiller à ne pas les éloigner des centres-villes. Nous pourrions aussi nous inspirer du modèle des Instituts Max Planck allemands : ils mettent des logements à disposition aux chercheurs de passage. Pour y avoir moi-même séjourné, je peux témoigner de leur intérêt.
Vous avez évoqué les chercheurs et les étudiants. Quid des habitants ? Jugez-vous utile de se tourner vers eux ?
Je suis moi-même un habitant du territoire. A ce titre, je peux aussi témoigner du fait que les liens sont déjà assez étroits entre eux et les chercheurs qui travaillent ici. Les journées de portes-ouvertes organisées, par exemple, dans le cadre de la Fête de la Science, rencontrent un vif succès. Les habitants de la vallée aiment visiter les laboratoires et centres de recherche du Plateau. Beaucoup d’entre eux ont une culture scientifique voire sont eux-mêmes des chercheurs.
Cela dit, je pense que les campus gageraient à être plus ouverts encore aux habitants. En tant que Palaisien, je ne conçois pas de ne pas pouvoir accéder aux équipements sportifs des campus. Il y a ici une piscine magnifique, mais pour ainsi dire fermée, faute de fréquentation. Inversement, les étudiants de l’école Polytechnique ne descendent pratiquement jamais dans la vallée, au village de à Palaiseau. Ceux de Polytechnique en particulier prennent l’escalier de Lozère pour sauter dans leur RER. Résultat : ils échangent peu avec la population et le plateau paraît détaché du reste du territoire.
Au final, êtes-vous optimiste ?
Je suis totalement confiant – le potentiel du campus est considérable et ne fait qu’augmenter. Le CEA s’est engagé au sein de l’Université Paris-Saclay. Le fait de réunir des équipes du CNRS, de l’Inserm, de l’université Paris-Sud, sans compter celles du CEA, donnera à l’ensemble une force de recherche énorme. Le CEA doit simplement parvenir à assurer à l’ensemble des chercheurs un cadre de vie digne d’une recherche moderne, c’est-à-dire : des horaires souples, des lieux ouverts, une flexibilité dans l’accueil des étudiants…
Mes propos pourront vous paraître bien critiques à l’égard d’une institution où je travaille. Mais comme chacun sait, qui aime bien châtie bien. Ce changement de culture que j’appelle de mes voeux vaut aussi pour les campus de Polytechnique et de Paris-Sud.
Auriez-vous un autre vœu à formuler ?
Un autre point me tient très à cœur, c’est la présence d’entreprises à proximité de l’Institut des neurosciences. A cet égard, nous gagnerions à nous inspirer du campus de l’EPFL qui comprend un hôtel pour les visiteurs, des cadres d’entreprises en l’occurrence. L’intégration des monde de la recherche et de l’entreprise y est poussée très loin : cet hôtel est sponsorisé par une compagnie d’informatique, moyennant la possibilité d’y valoriser ses équipements.
Ici, sur le Plateau, les conditions sont réunies pour renforcer cette intégration. A NeuroSpin, nous avons des idées de développement d’entreprises, mais n’avons pas les compétences pour le faire. Nous ne demanderions qu’à bénéficier de celles de l’Ecole Polytechnique ou d’HEC… Voilà une autre opportunité à saisir. Je ne suis pas inquiet, cela finira par se faire, j’en suis convaincu.
Journaliste
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