Spécialiste de psychologie cognitive, professeur au Collège de France, il a participé à l’aventure de NeuroSpin depuis son commencement. Dans la perspective de la création de l’Institut des Neurosciences, il témoigne de sa vie de chercheur sur le campus du CEA et, au-delà, sur le territoire de Saclay.
Vous avez dit « synergie » : comment peut-elle se vivre au quotidien, dans un lieu comme le campus du CEA et le Plateau dans son ensemble ?
Actuellement, nous rencontrons encore certaines difficultés administratives qui étonnent nos collègues à l’étranger. il faut reconnaître que ce n’est pas facile. Comme vous avez pu le constater en venant ici, à NeuroSpin, nous sommes encore entourés de barbelés ! Nous étions censés être en dehors du campus sécurisé, mais la porte ferme à 20 h 30. Si cet entretien devait se prolonger, nous risquerions d’être enfermés ! La navette du CEA est partie déjà depuis longtemps (17 h 12). Pour un chercheur, un tel horaire n’a aucun sens.
Loin de moi l’idée de vous donner l’impression que NeuroSpin serait un lieu fermé. Nous sommes en dehors du campus principal du CEA ; on peut y accéder en présentant simplement sans avoir à présenter sa carte d’identité. Néanmoins, la direction des sciences du vivant dont nous dépendons est encore soumise aux mêmes enquêtes de sécurité que les directions sous haute sécurité du CEA. Le dossier d’un excellent chercheur israélien, par exemple, peut être arbitrairement rejeté sans que nous soyons même informés de ce qui lui est reproché. Je me suis moi-même heurté à des règles de sécurité d’un niveau extraordinaire, qui confinent à l’absurde. J’ai peine à croire que l’ensemble du campus du CEA mérite d’être placé en haute sécurité. Il s’agit à l’évidence d’un vieux réflexe qu’il faut abandonner.
Qu’un visiteur doive présenter ses papiers à l’accueil, c’est normal et courant. En revanche, autant de lourdeurs administratives dans l’examen des dossiers d’étudiants étrangers qui souhaitent venir ici fait question. Je me le suis souvent entendu dire : ici, l’exigence de sécurité passerait toujours avant l’excellence de la recherche. Un changement d’état d’esprit s’impose.
Comment ?
Il importe que les instances de direction du CEA conservent l’autorité sur ce qui est faisable et ce qui ne l’est pas, et convainquent les échelons intermédiaires de changer d’attitude. Au plus haut niveau, le CEA manifeste une réelle volonté de rejoindre l’université Paris-Saclay. On ne peut donc plus reculer. A cet égard, la construction du nouveau bâtiment de l’Institut des neurosciences est un test. D’ici quatre ans, il accueillera, juste à côté de NeuroSpin, plus de 200 chercheurs issus de plusieurs organismes dont le CNRS et de l’université. Il faudra leur offrir les conditions de vie dignes d’un vrai campus. Pour l’heure, nous en sommes encore à espérer des tables de pique-nique ou le droit de marcher sur la pelouse…
Que pensent vos collègues ?
Ils sont naturellement enthousiastes à l’idée de travailler ensemble au sein de l’Institut des neurosciences. Certains se posent cependant des quelques questions. Je pense à ceux du CNRS de Gif-sur-Yvette, qui se trouvent dans un magnifique campus, bien desservi par les transports en commun. Ils sont certes ravis de se rapprocher de NeuroSpin, mais il ne faudrait pas que des écueils sécuritaires ou de transport ne les démotivent. Peut-être faudrait-il envisager davantage de concertation entre le monde de la recherche et celui de la sécurité sur les conditions d’animation du futur campus.
Nous sommes clairement dans un milieu de recherche qui dispose d’un potentiel extraordinaire. Pour l’heure, les machines dont on nous disposons à NeuroSpin sont rares, mais encore sous-utilisées. La créativité potentielle de ce lieu ne doit pas être contrariée par les contraintes administratives, sans oublier les contraintes de transport que nous avons évoquées.
A suivre (3e et dernière partie à paraître prochainement).
Journaliste
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