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Aménagement & Architecture

Et le Lumen fut

Le 26 janvier 2024

Entretien avec Laurent Beaudouin, architecte

Le 18 janvier dernier était inauguré Le Lumen, le Learning Center de Paris-Saclay, en présence de la Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, Sylvie Retailleau, et de plusieurs personnalités locales. Nous inaugurons un cycle d’entretiens avec plusieurs personnes rencontrées à cette occasion. À tout seigneur tout honneur, nous commençons avec Laurent Beaudouin, qui n’est autre que l’architecte mandataire ayant conçu le nouvel équipement avec Emmanuelle Baudouin et les Espagnols de MGM Arquitectos.

- Comment vous avez abordé ce projet ? Avec quelles lignes directrices ?

Laurent Beaudoin : L’origine de ce projet puise dans son rapport au « Jardin argenté », qui se trouve de l’autre coté du Deck [une des grandes artères du quartier de Moulon]. Au plan architectural, la volonté était de pouvoir donner l’impression de pouvoir lire, travailler, en plein milieu de la nature. Nous avons donc invité le jardin à traverser la grande artère du Moulon, et à se prolonger juste devant le bâtiment, sur le parvis, en donnant même l’impression d’entrer à l’intérieur. Il est suffisamment dense pour créer un îlot de fraicheur les jours d’été. Les arbres ont été plantés assez grand, mais à mesure qu’ils s’étofferont, ils permettront de réduire la température de ce côté-ci (sud), en se passant de moyens artificiels. En cela, ils participent à bien plus qu’une simple végétalisation : ici, le végétal n’a pas vocation à ne faire que grimper sur la façade du bâtiment, mais à en faire partie intégrante.
Une autre ligne directrice a nourri notre réflexion : celle de faire de cette bibliothèque un espace ouvert, où l’on puisse voir au premier coup d’œil les différents services mis à disposition. De là l’effet de transparence qui a été recherché depuis l’extérieur, dans le traitement des façades, et à l’intérieur, à travers celui des espaces que nous avons voulu aussi ouverts que possible.
Enfin, nous avons souhaité faire de cet équipement, un lieu de promenade, de déambulation, de circulation. Nous ne voulions pas d’un bâtiment fonctionnaliste, avec ses espaces dédiés à des activités, des fonctions précises vers lesquelles on est orienté de force. De là le parti pris de la spirale pour passer d’un niveau à un autre, autour d’un espace intérieur rempli de lumière, celui-là même où nous sommes installés pour les besoins de cet entretien.
Cette spirale commence depuis l’entrée du rez-de-chaussée, tourne en desservant des gradins, où les étudiants peuvent s’installer librement et débouche au 3e niveau sur une terrasse en balcon, située juste au dessus du point de départ. Une sorte de spirale sans fin, donc, qui se promène autour d’un espace intérieur qui fait, lui, office de place publique.

- La spirale, une configuration tout sauf anodine quand on sait qu’elle symbolise la connaissance…

L.B. : Exactement !

- Comment avez-vous néanmoins résolu cette quadrature du cercle consistant à en faire un lieu à la fois ouvert, où on circule librement, et où on puisse se concentrer, travailler dans une ambiance studieuse ?

L.B. : Résoudre une quadrature du cercle n’est pas un exercice simple a fortiori quand le périmètre du bâtiment s’inscrit dans une forme triangulaire ! (Sourire). Le bâtiment étant dépourvu de couloirs, de circulations directement attribuées, on se promène ici comme on se promènerait à l’extérieur. Cependant, la forte présence du bois sur les murs intérieurs, par sa capacité à absorber les bruits, concourt à l’insonorisation des espaces. Le mobilier et des espaces permettent de s’isoler, pour travailler seul ou en petit groupe, sans donc être dérangé. Précisons que les niveaux supérieurs ne sont accessibles qu’aux étudiants et enseignants-chercheurs. Comme vous avez pu le constater, l’ambiance y est particulièrement studieuse.

- En effet. Étant entendu que tout est fait aussi pour faciliter des rencontres fortuites au point que je ne peux m’empêcher de convoquer une notion qui a fait florès, celle de sérendipité, qui désigne cet art de trouver ce qu’on n’avait pas cherché… L’aviez-vous en tête en imaginant les espaces de circulation ?

L.B. : C’est un mot trop savant pour que je le fasse mien ! Je dirais qu’une bibliothèque n’a pas d’autre vocation que de partager la connaissance, de permettre des échanges dans des domaines variés. C’est d’autant plus vrai ici que le Lumen regroupe les fonds et collections de plusieurs écoles – CentraleSupélec et l’ENS Paris-Saclay.

- Dans quelle mesure son inscription dans l’écosystème de Paris-Saclay a-t-elle inspiré sa conception ?

L.B. : Cet écosystème réunit différents établissements d’enseignement supérieur et de recherche qui étaient encore comme autant d’îlots un peu repliés sur eux-mêmes. Un lieu comme le Lumen permet à leurs élèves et enseignants chercheurs de se croiser par delà leurs disciplines et établissements d’appartenance. En cela, il est unique. Il l’est par bien d’autres de ses caractéristiques, à commencer par la périmètre dans lequel il s’inscrit : un périmètre en forme triangulaire, comme je l’indiquais tout à l’heure ; le terrain se trouve face à la sortie de la station de la future ligne 18 du Grand Paris-Express. Ce qui en fait un vrai lieu de passage. Le fait qu’il marque une avancée par rapport aux autres bâtiments situés sur le Deck symbolise sa vocation à être un lieu de rencontre entre les étudiants et enseignants-chercheurs, mais aussi avec le reste de la population, les habitants.
Ce faisant, il est aussi représentatif d’une recherche architecturale. Je me permets d’insister sur ce point car à mon sens l’architecture est aussi un domaine de recherche : la recherche ne saurait prétendre n’être que scientifique. Il y a aussi une recherche architecturale comme il peut d’ailleurs en avoir dans tous les autres domaines de l’art.

- Par définition, un architecte travaille avec une multiplicité d’interlocuteurs. Le fait que le Lumen soit un bâtiment mutualisé par plusieurs établissements et structures a-t-il ajouté à la complexité ?

L.B. : Non, le Lumen n’a pas été une source de difficultés supplémentaires et ce, pour une bonne et simple raison : la synthèse du programme élaboré par les établissements et leurs personnels auxquels le Lumen était destiné, a été très bien faite par Julien Sempéré [Directeur général des services adjoint Mission de l’Université Paris-Saclay], qui a fait un travail formidable. Je profite de cet entretien pour le redire. Les choses ont ainsi été claires. Nos interlocuteurs se sont montrés en outre toujours accessibles. J’ajoute que l’expérience que nous avons des bibliothèques – nous avons plusieurs réalisations à notre actif [Pour en savoir plus, consulter la page du site de l’agence dédiée aux réalisations de bibliothèques et médiathèques, cliquer ici] nous a permis de cerner rapidement les besoins des utilisateurs.

- Un mot sur l’équipe dont vous étiez l’architecte mandataire ?

L.B. : Notre agence s’est associée à l’agence MGM, installée à Séville. Nous avons par ailleurs travaillé avec plusieurs ingénieurs à commencer par Jean-Marc Weill, un ingénieur structure avec qui nous travaillons régulièrement. Son expertise a été d’autant plus précieuse que, comme vous pouvez le constater, la structure du Lumen est particulière avec cette enveloppe en forme de résille, qui permet de tamiser la lumière – une structure qui aurait été impossible à réaliser sans les compétences d’un ingénieur d’aussi grande qualité que lui.

- Pour conclure, je ne résiste pas à vous poser une question quand bien même a-t-on dû vous la poser à de multiples reprises : qu’est-ce que cela vous fait-il de vous retrouver dans un bâtiment qui n’était encore qu’une idée quelques années plus tôt, de surcroît au milieu de personnes qui semblent se l’être déjà approprié ?

L.B. : Ce n’est pas une question qu’on me pose si souvent ! Ce qui importe avant toute chose, c’est qu’il y ait une présence du bâtiment tel qu’on l’a conçu. C’est le cas ici : rien n’est différend de ce qui a été dessiné au départ. Tous les espaces tels que vous pouvez les voir ont été pensés ainsi et le résultat est conforme à ce que nous avons imaginé. Maintenant, sur le plan de l’émotion, c’est effectivement autre chose de voir un bâtiment construit, de pouvoir s’y promener que de le visualiser uniquement au travers de carnets de dessin. La sensation de sa présence physique et le plaisir que ses usagers ont à y travailler ou déambuler ne me laissent pas indifférent.

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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