La « cohérence », tel sera donc le thème de la prochaine édition de TEDx Saclay. Un thème qui nous a de prime abord surpris. Ce que nous n’avons pu nous empêcher d’ailleurs de confier à celle qui l’a proposé, Assya Van Gysel.
– Comment avez-vous vécu cette 6e édition de TEDx Saclay ?
Le moins qu’on puisse dire est qu’elle aura mis notre patience à rude épreuve (rire) ! Elle nous aura mobilisés un an et demi. Or, un an et demi, je vous prie de croire que c’est long. Et pas seulement parce que c’est six mois de plus par rapport au temps habituel de préparation d’un TEDx Saclay. Nous avons eu de bout en bout la sensation de naviguer dans l’inconnu. Naturellement, tout un chacun est amené à en faire l’expérience. Mais c’est une chose de naviguer seul dans l’inconnu, c’en est une autre de le faire avec toute une équipe. Il faut faire en sorte de la maintenir mobilisée. Et c’est là toute la difficulté de l’exercice. Notre chance, c’est d’avoir une équipe formidable, des bénévoles très engagés dans ce qu’ils font et des partenaires fidèles. D’ailleurs, si je devais tirer un premier bilan, je mettrais en avant cette richesse humaine. Tout le monde est resté impliqué alors même que la crise sanitaire est intervenue quelques semaines à peine après que nous nous soyons lancés dans la préparation de cette édition. Nous ne pouvions plus nous voir physiquement, alors que nous avions l’habitude de nous réunir tous les quinze jours, pour des réunions de travail d’autant plus agréables qu’elles étaient suivies d’un moment de convivialité. Du jour au lendemain, nous avons dû nous mettre au digital. Nous avons eu juste le temps de faire l’appel à idée en présentiel avec une cinquantaine de participants (et près de 600 spectateurs en distanciel). Longtemps, nous pensions maintenir la date prévue initialement, jusqu’à ce qu’il nous a fallu nous rendre à l’évidence. Seul le Start-up village a été maintenu. Pour le reste, nous avons opté pour un report en juin, d’autant plus volontiers que cette période de l’année nous a toujours paru intéressante (les étudiants viennent de passer leur concours et, de manière générale, les gens ne sont pas encore partis en vacances). L’équipe s’est enrichie en se diversifiant tant au regard de l’âge des bénévoles que de leurs profils disciplinaires et professionnels.
Mais en toute chose malheur est bon : la crise sanitaire n’a pas empêché de nouvelles personnes de s’engager, de proposer leurs services. Plutôt que de rester à ne rien faire chez elles, elles ont voulu se rendre utiles, faire profiter de leurs expertises, notamment en matière digitale. Bref, nous avons su faire des contraintes des opportunités pour inventer d’autres choses.
– Pourriez-vous y revenir ?
Il y eut d’abord le Brainathon, organisé le 13 avril 2021 et qui a présenté l’intérêt de nous permettre de sélectionner des speakers supplémentaires : trois au total, invités à défendre une idée développée avec leurs équipes respectives. Au final, c’est l’organisation même de la conférence TEDx que nous avons revue de fond en comble en la déployant sur toute une journée, scandée par trois séances de talks, entrecoupées de rdv dont une rencontre avec pas moins de trois prix Nobel de Physique, sans compter la possibilité offerte aux speakers d’échanger avec le public, en distanciel.
Tout cela n’aurait pas été possible sans cette résilience dont l’équipe a su faire preuve. Patienter encore six mois pour vivre l’événement auquel vous donnez beaucoup de votre temps et de votre énergie, ce n’est pas simple. Le risque, encore une fois, aurait été que beaucoup se découragent. Et bien non ! Chacun a répondu présent en sachant faire preuve de créativité.
– Un mot sur les intervenants…
Je leur suis reconnaissante d’avoir faire preuve eux aussi d’autant de patience. Car, comme vous pouvez l’imaginer, la plupart ont des agendas très contraints. Il n’était pas sûr qu’ils puissent confirmer leur participation six mois plus tard. Et pourtant, tous ont de nouveau répondu présent. Seule une personne qui devait assurer un intermède artistique s’est désistée et encore, pour cause d’hospitalisation. Plus encore que les années précédentes, les intervenants ont constitué un panel d’une grande richesse, entre une présidente d’université (Sylvie Retailleau, intervenue avec une étudiante), un prix Nobel de physique (Gérard Mourou), un chef cuisinier étoilé (Thierry Marx), etc.
– Que de chemin parcouru depuis la première édition organisée en 2015…
En effet, à l’époque, TEDx Saclay n’était encore qu’une conférence par an. Depuis, c’est devenu une série de rendez-vous organisés par tout un collectif, qui a appris à avancer en tâchant de proposer des choses nouvelles, en fonction des circonstances. Et ce n’est manifestement pas fini ! De quoi demain sera-t-il fait, je ne saurais le dire. Une chose est sûre : nous avons bien l’intention de capitaliser sur l’expérience acquise au fil du temps. Je peux d’ores et déjà vous dire que nous proposerons de nouveau un Brainathon en amont de la prochaine édition.
– À l’avenir, où comptez-vous placer le curseur entre le présentiel et la distanciel ?
Je n’opposerai pas les deux et défendrai plutôt une solution hybride. J’ajoute que nous n’avons pas attendu la Covid-19 pour adopter le digital : au cours des éditions précédentes, il y avait déjà la possibilité de suivre l’édition à distance, depuis des lieux proposés par les iConnecteurs via un site web. La différence, c’est le passage à une plateforme digitale, qui offre la possibilité aux spectateurs d’interagir avec les speakers. La crise sanitaire nous aura permis de l’expérimenter et ce, à grande échelle. Pour autant, nous n’avons pas renoncé totalement au présentiel : au total, près de 150 personnes ont assisté aux talks sur place, en l’occurrence au Paris-Saclay Hardware Accelerator (PSHA), à l’une ou l’autre des séances. Le distanciel permet de toucher un plus large public, au-delà de Paris-Saclay et même de la Région parisienne, à l’international. Sur les 900 personnes connectées, plusieurs l’étaient depuis un pays étranger. Je ne cacherai pas que je m’étais attendue à beaucoup plus. Je crains que nous ayons pâti, si je puis dire, de la fin du confinement, au sens où les gens en avaient tout simplement assez de devoir se mettre devant un écran et aspiraient à autre chose. L’édition se serait tenue pendant le confinement, je pense que nous aurions eu plus de monde. Pour autant, je ne pense pas qu’il faille renoncer au digital. Une fois que les gens seront revenus à un usage plus modéré de ce dernier, ils pourront être intéressés à suivre TEDx Saclay en direct, depuis chez eux, à défaut de pouvoir se rendre sur place.
– Je reconnais au digital l’avantage de toucher un plus large public. Il reste que TEDx Saclay est une superbe opportunité pour la communauté des hommes et des femmes qui participent à l’écosystème Paris-Saclay (les étudiants, les chercheurs, les enseignants, les startuppers, les associatifs, etc.) de se révéler à elle-même, en se retrouvant dans un lieu, le temps de la conférence…
Nous n’avons pas l’intention de renoncer au principe d’un événement dans un lieu emblématique de l’écosystème. Début septembre, nous annoncerons d’ailleurs celui où la prochaine édition se déroulera. Encore une fois, nous privilégions l’hybride et certainement pas le 100% digital. Pour cette édition-ci, nous avons juste renoncé au lieu initial (le Dôme de Villebon-sur-Yvette) car il y avait le risque de devoir annuler à la dernière minute, pour un autre, plus sûr, le PSHA, donc. Il nous importait de pouvoir réunir au moins l’équipe de bénévoles, les speakers et les partenaires.
– Venons-en à la prochaine édition et à son thème, la « cohérence ». Je ne cache pas que ce choix m’a surpris. Autant ceux de la lumière, de l’innovation, de la résonance et jusqu’au dernier (« Terre, notre vaisseau ») m’ont paru bien dans l’esprit de TEDx Saclay, autant la cohérence… Comment y êtes-vous venue ?
Je répondrai volonté à votre question, mais d’abord, j’en ai une à vous poser : qu’est-ce qui vous a fait réagir ainsi ? Par cohérence, qu’entendez-vous ? Si la notion vous embarrasse, c’est bien qu’elle a un sens particulier pour vous…
– Ah, je ne m’attendais pas à cette réponse ! Mais puisque vous me posez la question, je dirai pour commencer que je n’ai a priori rien contre le mot en lui-même et que ce qui me gêne c’est la prétention à vouloir l’exiger d’autrui. Qui est-on pour demander à quelqu’un d’être cohérent ? Est-ce dans son intérêt ou parce que soi-même on n’est pas en mesure de percevoir chez lui sa propre cohérence ? Autrement dit, s’agit-il d’être cohérent en soi ou vis-à-vis d’autrui ? Et puis, jusqu’où faudrait-il être cohérent ?
J’ai la même réserve à l’égard de la cohésion qu’on prétend restaurer dans un territoire ou une société toute entière. De quel point de vue se place-t-on ? Des pouvoirs publics qui ont besoin d’un minimum de cohésion pour mettre en œuvre leurs politiques publiques, ou des habitants eux-mêmes – ce qui supposerait de leur demander leur avis ? Bref, dans un cas comme dans l’autre, je crains que sous couvert de vouloir le bien d’autrui, nous attendons qu’il se comporte conformément à nos propres exigences, sans faire l’effort de se mettre à sa place pour en saisir toute la singularité…
Soit, mais qu’entendez-vous par cohérence ? Il me semble que vous ne m’en dites que la perception que vous en avez…
– Dont acte ! En vérité, je ne saurais vous le dire précisément. Une chose est sûre : spontanément sinon intuitivement, je préfère la notion d’ambivalence, cette aptitude à associer des choses qui a priori ne vont pas ensemble et qui fait justement la force de la poésie. Qu’on songe à l’art de l’oxymore…
Mais qui vous dit qu’il n’en irait pas de même avec la cohérence ? Et si précisément la cohérence était cette faculté à faire tenir ensemble des choses chaotiques, qui paraissent de prime abord plutôt incohérentes ?
– Ce que vous dites là me plaît beaucoup. C’est précisément l’idée à laquelle je suis parvenue en cheminant car, bien évidemment, je me suis dit que si vous aviez eu l’idée d’opter pour ce thème, c’est que vous aviez des arguments pour le faire, que cela pouvait être… cohérent avec vos thèmes antérieurs. Ainsi, j’en suis venu à me dire qu’il y avait peut-être à distinguer entre une mauvaise cohérence et une bonne cohérence : la mauvaise serait-celle qu’on cherche à décréter, à imposer, la bonne celle qu’on laisse advenir à soi. A défaut d’en décider, on peut en prendre conscience à certaines occasions (une rencontre fortuite, la lecture d’un livre, un événement), qu’il faut juste savoir accueillir…
Je suis d’accord, même si je verrais plutôt une recherche de conformité dans ce que vous appelez la « mauvaise » cohérence…
– J’en suis aussi venu à me demander s’il n’y avait pas lieu aussi de penser la cohérence avec l’incohérence, plutôt que de les opposer, en considérant qu’à certains moments, il y a nécessité d’être cohérent, à d’autres, qu’il faut assumer une apparente incohérence, comme lorsqu’on sort de sa zone de confort, qu’on fait un pas de côté par rapport à ce dont on est habitué ou spécialiste…
Une chose me paraît certaine et me plaît beaucoup : c’est qu’à l’évidence, la cohérence ne vous laisse pas indifférent ! Cela éveille chez vous des émotions qui vous entraînent dans une réflexion à laquelle vous ne vous seriez pas livré… Et c’est précisément ce que je recherche dans le choix d’un thème : faire réagir et même provoquer des réactions y compris en forme d’objections. Et ce d’autant plus volontiers que je n’ai aucune idée arrêtée. De vous à moi, je ne saurais vous dire ce qu’il faut entendre par cohérence. Pour autant, je n’attends pas tant des réponses encore moins des définitions qu’à ce que les gens se posent des questions. En choisissant la cohérence comme thème, j’ai juste laissé parler mon intuition. Je n’ai pas fait d’analyse préalable. De même, quand j’ai pensé à « Terre, notre vaisseau » [thème de la 6e édition], j’étais à mille lieues de penser que nous serions confrontés à la pandémie. Quelque chose m’a dit que la cohérence ne laisserait pas indifférent. Et manifestement, c’est le cas ! (Rire).
– Vous n’imaginez pas à quel point ce thème m’a fait réfléchir en un sens qui m’a finalement fait revoir ma position initiale. Car force est d’admettre aussi que, face aux défis de l’Anthropocène et du réchauffement climatique, il y a urgence à obtenir des gens qu’ils agissent plus en cohérence avec leurs paroles, leurs engagements, que les politiques publiques soient elles-mêmes élaborées plus en cohérence pour que leurs effets respectifs ne se neutralisent pas, comme c’est souvent le cas…
De fait, le monde n’a cessé de naviguer entre cohérence et incohérence. Ce qui paraissait incohérent à certaines époques, ne l’est plus à d’autres. Et inversement. Raison de plus pour ne pas opposer les deux. Cela étant dit, ce mouvement de balancier entre cohérence et incohérence ne doit pas faire perdre de vue des permanences, à commencer par cette inclination naturelle de l’humain à agir dans l’intérêt des autres. L’enjeu est de la retrouver aujourd’hui plus que jamais à l’heure où même les sociétés démocratiques semblent être remises en cause.
Cela étant dit, et comme vous le dites, il y a aussi urgence à retrouver une cohérence au moins entre nos paroles et nos actes. Je le mesure encore davantage depuis que j’ai choisi ce thème. En disant cela, je ne veux pas porter un jugement moral. Si les gens sont incohérents, font autre chose que ce qu’ils ont dit qu’ils feraient, c’est qu’ils se trouvent aussi devant des contradictions à gérer.
– De fait, un comportement apparemment incohérent n’empêche pas que la personne fasse preuve de bonne volonté. Gardons-nous donc de porter d’emblée un jugement moral. Si quelqu’un n’est pas cohérent, c’est possiblement parce que des raisons l’en empêchent. Et puis parvenir à plus de cohérence demande du temps, celui nécessaire à substituer des routines par d’autres plus en adéquation avec ses engagements. Concrètement, ce n’est pas simple de devoir renoncer à sa voiture, dès lors qu’on vit dans un quartier mal desservi par les transports en commun, qu’on a l’habitude de se déplacer par ce moyen…
Soit, mais reconnaissons qu’il y a maintenant urgence. D’autant que notre environnement quotidien est de plus en plus directement impacté par des décisions qui se prennent à d’autres échelles ou à des milliers de km. S’il faut, comme vous le suggérez se garder de juger, on peut au moins questionner son interlocuteur sur la cohérence entre ses actes et ses paroles. Quelles expériences ses choix l’amènent-ils à vivre ? En quoi sont-elles heureuses ou pas ? Obtient-il les résultats escomptés ? Si la réponse est non, que gagne-t-il à persévérer ? Voilà le type de questionnement que je préfère avoir, en me gardant encore une fois de juger la personne. Si celle-ci me dit qu’elle prend conscience de son incohérence, mais qu’elle ne peut pour le moment la surmonter, j’estime avoir fait le plus important : semer une graine qui l’amènera à changer de comportement le moment voulu. J’estime d’ailleurs avoir déjà produit un effet satisfaisant : plusieurs personnes m’ont dit avoir pris la mesure de leur propre incohérence depuis qu’elles ont appris le thème de la prochaine édition du TEDx Saclay. C’est un bon début même s’il faudra encore plusieurs éditions pour enregistrer des changements notables…
– Sachant encore une fois qu’il y a d’autres moments où on peut assumer une certaine incohérence comme lorsqu’on entreprend de sortir de sa zone de confort, de faire un pas de côté, qui peut laisser croire, vu de l’extérieur, qu’on n’est plus cohérent avec soi-même…
Il ne s’agit pas de demander à quelqu’un d’être plus cohérent en toutes circonstances. Tout le monde est peu ou prou incohérent. Moi la première. Mais je suis convaincue que si chacun veillait à gagner un peu plus en cohérence, nous parviendrions à réduire ou atténuer pas mal de problèmes. Si à défaut de renoncer à sa voiture, on en restreignait l’usage, probablement qu’on contribuerait à réduire ces émissions de gaz à effet de serre et d’autres nuisances.
Gardons-nous donc d’opposer cohérence et incohérence. Pour ma part, je les conçois comme les extrémités d’un spectre, qui recouvre des situations intermédiaires. Dès lors, ce qui devient intéressant, c’est de solliciter des points de vue différents : ceux de chercheurs, d’entrepreneurs, d’artistes et même de journalistes ! Que tel ou tel éprouve le besoin de dénoncer la cohérence, très bien, qu’il nous livre son point de vue et précise par la même occasion ce que, lui, met dans ce mot là. Je suis disposée à changer le mien ! Ce qui peut paraître (in)cohérent à l’un peut paraître cohérent à un autre. A chacun, ses valeurs, son parcours de vie, ses expériences de la cohérence.
– Au final, ne peut-on pas dire que le propre de TEDx Saclay est d’assumer une apparente incohérence dans sa programmation en réunissant des intervenants aux profils très différents, mais pour faire apparaître une certaine cohérence au fil des talks. De fait, tous traitent de choses différentes et pourtant c’est à un même TEDx auquel on a la sensation de participer…
Merci pour cette analyse qui, au final, achève de me convaincre de l’intérêt d’un thème comme la cohérence !
Journaliste
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