Entre artiste et chef d’entreprise, le métier d’architecte.
Nous l’avions rencontré une première fois à l’occasion d’une visite du campus HEC, qu’il connaît particulièrement bien pour y avoir fait ses études, puis plus tard, conçu, avec David Chipperfield, le désormais fameux Bâtiment MBA, situé à l’entrée, et rénové des logements étudiants. Martin Duplantier a bien voulu nous recevoir dans son agence parisienne, entre deux déplacements, pour nous en dire plus sur son cursus et le plan guide du campus dont il a depuis peu la charge.
Les parcours des architectes sont parfois plus sinueux que les édifices qu’ils dessinent. A moins de considérer qu’ils sont au contraire aussi hybrides que les formes qu’ils peuvent leur donner. Toujours est-il que le parcours de Martin Duplantier est pour le moins original. Certes, son milieu familial le prédestinait à ce métier d’architecte – ses parents le sont tous deux. Mais le devenir à son tour, telle n’était justement pas sa vocation première, du moins jusqu’aux années de lycée. Le lieu où il poursuit ces années – Napa, près de San Francisco, en Californie – autorise, il est vrai, bien d’autres perspectives professionnelles. Il caresse d’ailleurs l’espoir d’intégrer une université américaine et non des moindres : Stanford, où il sera effectivement admis. Seulement, ses parents, qui demeurent alors à Bordeaux, n’ont pas les moyens de payer des études dans une université américaine. « Ils m’ont donc invité à revenir en France, quitte à retourner faire un master plus tard aux Etats-Unis. » Forts de ses bons résultats scolaires, il est encouragé par ses professeurs à faire une classe prépa. En 1998, voilà notre futur architecte au Lycée Carnot, à Paris, mais il est loin de prendre la mesure du fait que cette année est censée le préparer au concours d’entrée dans une école de commerce. C’est à peine s’il connaît HEC… « N’ayant pas fait mes études du secondaire dans de grands lycées parisiens, mais à Bordeaux puis aux Etats-Unis, je n’étais pas vraiment au fait de ce que représentait cette école ni, de manière générale, le système des classes prépa. » Le même : « Ce système a beau être performant, cela reste une particularité bien française, qui ne s’est guère exportée. »
Une école d’architecture pour renouer avec la créativité
Toujours est-il que ses premiers mois au Lycée Carnot ne le satisfont guère. « Il manquait à notre formation une dimension créative. » Le doute s’installe quant à l’intérêt d’aller au bout de l’année. Il met à profit les vacances de Pâques pour retourner dans le Sud-Ouest, chez ses parents, et leur annoncer son intention: renoncer à la classe prépa et s’inscrire dans une école d’architecture. « J’avais entrepris des démarches en ce sens, en ayant une opportunité d’aller à Barcelone. » Sauf que les parents n’y sont pas spécialement favorables. Avec le même sens de la diplomatie par lequel ils l’avaient déjà convaincu à revenir en France, ils le convainquent de revenir sur sa décision. « Ils m’ont conseillé de ne pas me précipiter. Des études d’architecte, je pourrais toujours en faire après une école de commerce. En attendant, estimaient-ils encore, l’année de classe prépa m’offrait l’opportunité de croiser différents domaines de savoir. » Le fils se laisse convaincre. A la fin des vacances, il reprend le train pour Paris où l’attend un examen blanc… « Evidemment, je n’avais rien révisé… ». Il n’en passe pas moins les épreuves durant toute la semaine. Surprise : il finit major parmi les quelques 180 élèves que comptent les classes prépa du lycée. Voici les parents confortés dans le conseil prodigué au fil prodige. « Ils m’ont plus que jamais encouragé à poursuivre dans cette voie en considérant qu’il sera toujours temps d’entamer des études d’architecte. » Ils ne crurent pas si bien dire.
Quelques mois plus tard, leur fils est reçu à HEC et… à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Versailles (ENSAV)… Explication : « A l’occasion de chaque concours d’écoles de commerce (HEC, Essec,…), j’avais pris soin de passer ceux des écoles d’architecture les plus proches (outre l’ENSAV, des écoles de Paris, de Lyon)… Difficile de renoncer pour autant à la prestigieuse école de commerce. « Pendant trois mois, j’ai tenté de mener de front les deux cursus. Mais les emplois du temps n’étaient pas coordonnés. » Il renonce donc à l’ENSA. Avec d’autant moins de regret que l’accueil avait été mitigé. « J’ai eu affaire à des professeurs qui avaient été étudiants en 68. Ils étaient manifestement peu favorables à l’idée d’avoir un “ commercial ” ou pis un publicitaire parmi leurs élèves et s’étonnaient même de ce que j’eusse pu avoir songé y trouver ma place. C’est à peine s’ils ne m’avaient pas demandé ce que je pouvais bien faire ici. »
« Vous êtes ici pour apprendre à oser »
Sans renoncer à des études d’architecture, il se consacre à celles d’HEC. Avec manifestement beaucoup de plaisir. « Dans cette école, la moitié des enseignements sont laissés au choix des élèves qui peuvent ainsi explorer des sujets nouveaux ou qui leur tiennent particulièrement à cœur. Je me souviens de cours passionnant sur l’égyptologie, la pensée juive ou encore la photographie. Sans oublier un cours d’architecture, assuré par Louis Moutard, de l’Arep (Agence d’architecture interdiscipinaire, spécialisée dans la conception de gares). Consacré au cas de Grigny-Grande Borne, ce cours devait me conforter dans ma vocation. »
Il goûte d’autant plus à cette ouverture d’esprit, qu’elle est encouragée par la direction de l’école. Les paroles humanistes prononcées par le directeur de l’époque, Bernard Ramanatsoa, lors du discours d’accueil de la nouvelle promotion, lui sont aussi restées en mémoire : « Vous êtes ici pour apprendre à oser ». « Il avait ajouté que tout nous serait possible, à la condition de savoir saisir les problématiques et de nous entourer des hommes et femmes les plus pertinents. Avec respect et droiture. »
Tout aussi décisifs se révéleront les stages à effectuer au cours de sa scolarité : ils seront pour lui autant d’occasions de découvrir le monde de l’architecture, dans sa diversité.
Du Sahara à Berlin
En 2003, il bénéficie d’une bourse pour poursuivre des études sur l’« architecture durable », une notion encore peu répandue à l’époque. « C’est ainsi que je me suis retrouvé à expérimenter l’architecture en matériau naturel, dans le fin fond du Sahara. Je me suis formé avec des maçons aux techniques de construction en terre crue, sans bois, à partir de ressources extrêmement limitées et selon des techniques millénaires remises au goût du jour. » L’année suivante, un autre stage le mène à Berlin, dans une grande agence, GMP. L’occasion pour lui de participer à de grands concours d’architecture organisés à travers le monde – comme celui du stade olympique de Pékin, par exemple, en prévision des JO de 2008.
Ironie de l’histoire : c’est donc au cours de ces années à HEC, que notre futur architecte aura pu faire plus que s’initier à l’architecture. Y compris dans son aspect le plus gestionnaire et financier, celui-là même qu’on tend à escamoter au prétexte que le métier relèverait d’abord de l’art…
Mais les autres élèves d’HEC, comment réagissaient-ils au fait qu’il se destinât au métier d’architecte et non, comme la plupart d’entre eux, au commerce ou à la finance ? « J’étais loin d’être le seul à vouloir faire autre chose. » Ses anciens camarades de promo comptent d’ailleurs un poète, un cinéaste,…« On touche là à l’ADN de l’école, qui est de permettre à chacun d’aller au bout de son projet professionnel, quand bien même serait-il atypique. D’ailleurs, c’est la seule grande école de commerce dans laquelle on entre sans entretien préalable de motivation. » Autrement dit, pas besoin de manifester son envie de faire du commerce ou de la finance pour l’intégrer.
Loin d’être abandonné à leur sort, les élèves sont accompagnés dans le développement de leur projet. « C’est l’autre composante de l’ADN de l’école. On vous y forme à structurer votre projet dans la durée, de quelle nature qu’il soit, l’important étant de bien s’outiller pour le mener à bien. » Ce qui s’est révélé fort utile dans son cas comme la suite l’illustrera.
D’HEC à Paris-Malaquais
La prestigieuse école de commerce aura beau avoir été l’occasion de faire plus que l’initier à l’architecture, il ne renonce pas à poursuivre des études d’architecte en bonne et due forme. En 2004, il intègre l’ENSA Paris-Malaquais, sur présentation d’un dossier. Avec humilité de surcroît. « On m’avait proposé d’entrer directement en 3e ou en 4e année, j’ai choisi la première option. Je voulais prendre le temps de bien découvrir ce domaine, y compris dans sa dimension théorique. » A la question de savoir si l’expérience fut plus heureuse que celle de la précédente école d’architecture, il répond poliment :« Quand on passe d’une grande école de commerce, après une année de classe prépa, à une école d’architecture, force est de constater des différences de rythme. En réalité, comme on a coutume de le dire, la qualité d’une formation doit d’abord aux aptitudes de l’élève et à son degré de motivation qu’à l’école elle-même. »
Mais pourquoi cette école-ci plutôt qu’une autre ? « Parce qu’elle avait la réputation de privilégier une approche expérimentale. » Il opte cependant pour une année d’échange avec l’école d’architecture de Barcelone, qu’il juge plus portée sur la dimension technique et en cela complémentaire avec celle de Paris-Malaquais. Viendra ensuite, après la participation à des ateliers dont un à Pékin, dans l’université chinoise la plus réputée, le temps du stage au sein d’une agence d’architecture. Son choix se portera sur celle de David Chipperfield. Pour le meilleur, comme on le devine.
Une première référence à forte visibilité internationale
En attendant, la dernière des trois années d’études est consacrée à son projet de diplôme. Lequel portera sur… le campus d’HEC. « La boucle était bouclée… » Enfin presque : il ignorait à l’époque qu’il participerait quelques années plus tard au bâtiment MBA, avec l’architecte susmentionné, et bien plus encore. Mais ne brûlons pas les étapes. Pour les besoins de son projet de diplôme, il sollicite des élèves du campus sur le projet d’un futur centre dédié à l’entrepreneuriat innovant. Parmi eux, signalons un certain Grégoire de Lasteyrie, futur maire de Palaiseau.
Une fois son diplôme en poche, Martin Duplantier s’inscrit à l’Ordre des Architectes. A peu près au même moment, il est informé par son ancienne école de commerce, de l’intention de la CCI de Paris de lancer un concours d’architecture pour la construction d’un futur bâtiment (le MBA, donc). Sauf que notre jeune architecte n’a, et pour cause, encore aucune référence. Ce qui ne lui laisse aucune chance – « En France, les architectes sont short-listés sur la base de leurs réalisations ». Résultat : « Il est difficile pour ne pas dire impossible pour les nouveaux entrants d’être lauréats », regrette-t-il. Qu’à cela ne tienne, il se tourne vers son premier mentor, David Chipperfield, et lui propose de s’associer. Bien lui en a pris : le duo remporte le concours. « David m’aida à monter ma structure et à procéder à mes premiers recrutements. »
Avec le recul, il admet qu’il n’aurait pas été forcément sain qu’un alumnus d’HEC fût seul à concevoir un bâtiment pour les besoins de son ancien campus. « D’abord, ce n’est pas parce qu’on est issu de cette école, qu’on est le mieux placé pour traduire de manière pertinente les besoins d’enseignants et d’étudiants au plan architectural. Il est donc tout à fait normal de passer sous les fourches caudines d’une sélection transparente. »
Un programme rigide
Le même : « La possibilité de mener un projet avec les équipes de David, je l’ai vécu comme une chance. » Le déjà célèbre architecte pourrait en dire autant. « Nous étions complémentaires : tandis que je lui apportais ma connaissance du site, lui, me faisait profiter de son expérience. » Sans compter le gain instantané d’une visibilité internationale. Le duo se révèle de surcroît efficace: le projet sera livré en temps et en heure, en 2012. « Et sans surcoût ? » nous risquons-nous à demander. Réponse : « Dans le seuil de tolérance, malgré un budget restreint…»
La seule difficulté que notre architecte reconnaîtra tient aux réticences manifestées par… la CCI de Paris, alors maître d’ouvrage, à l’idée de revenir sur son programme initial. Or, comme on s’en doute, entre le moment où celui-ci est défini et le moment de la livraison, les besoins des futurs utilisateurs ne devaient pas manquer d’évoluer. Le projet du Bâtiment MBA n’échappa pas à la règle. « Le programme n’était plus en adéquation avec des besoins que nous pouvions pressentir pour un campus de niveau international, notamment au regard des espaces communs et de circulation. »
Les liens privilégiés que Martin Duplantier entretient avec la direction de l’école ne sont pas fait pour arranger la situation : « La CCI de Paris avait clairement fait entendre qu’elle ne souhaitait pas la moindre d’interférence. Bref, loin d’être un avantage, le fait d’être un ancien HEC m’a plutôt desservi. »
De la réversibilité, malgré tout
Toujours est-il que le résultat est là : un magnifique bâtiment, que les deux architectes auront su à force d’imagination et de souplesse faire évoluer… par rapport au programme initial.« Nous sommes parvenus à dilater les espaces, pour les rendre plus propices à des rencontres informelles, fortuites. » Le reste est conçu pour ménager de la réversibilité. « La structure est faite de poteaux et de poutres, de sorte qu’il est possible de revoir l’ensemble de ses plateaux dans le temps. » Il n’est pas jusqu’à la façade elle-même, qui n’ait été conçue pour rendre possible cette réversibilité.
Déjà une transformation a été apportée, ainsi qu’on a pu le voir au cours de notre visite du campus, pour accueillir, à l’étage supérieur de l’une des ailes, le centre d’entrepreneuriat (pour accéder au compte rendu de cette visite, cliquer ici). Fût-ce aux prix d’options qui manifestement ne sont pas celles que notre architecte aurait retenues, ainsi qu’il nous le confiait. Sans pour autant s’en offusquer plus que cela. « Après tout, cela démontre la réelle réversibilité des espaces intérieurs du bâtiment ». Et le même d’ajouter : « L’architecte se doit de rester humble. Il est là pour créer des cadres de vie ou de travail, qui doivent pouvoir évoluer en fonction des usages. Il lui faut aussi admettre que les usagers puissent se les approprier à leur façon. » En somme, ne lui faut-il pas savoir rompre le cordon ombilical avec son “ bébé ” ? « Si, étant entendu qu’il peut toujours donner des conseils. » Des conseils, il en donnera, et même bien plus que cela, mais pour les résidences étudiantes du campus, dont il se verra confier la réhabilitation en 2015.
Son agence, Martin Duplantier Architectes, n’en aura pas pour autant terminé avec le campus de Jouy-en-Josas. Elle a été de nouveau choisie cette année pour mener à bien son plan masse – notre architecte préfère parler de « plan guide » : « C’est un projet qui est tellement large, qui s’inscrit dans tant d’échelles de temps – de court, moyen et long termes – qu’il faut se garder d’ancrer ce plan une fois pour toute dans le marbre, mais au contraire faire en sorte qu’il puisse à son tour évoluer en fonction des nouveaux besoins du campus. ». Le même d’insister : « Il n’y a pas plus changeant que le domaine de l’enseignement supérieur, aujourd’hui plus que jamais alors qu’il poursuit son internationalisation. Il faut donc s’en tenir à de grandes orientations dans un programme initial, qui pourra par la suite évoluer, s’enrichir. »
De la parcelle au plan guide
Pour l’architecte, il ne s’agit plus de raisonner à l’échelle de la parcelle – celle du bâtiment à construire ou à rénover. Mais à l’échelle du campus et non des moindres puisqu’avec ses 138 ha, il figure parmi les plus grands d’Europe et que les 9 ha supplémentaires acquis par l’école dans les années 2000 sont loin d’avoir été pleinement intégrés dans l’ensemble.
Sans compter qu’il faut aussi songer à son articulation au reste du territoire, « à la manière dont on le perçoit quand on y arrive ». De ce point de vue, force est d’admettre, de l’aveu même de notre architecte, que l’entrée souffre difficilement la comparaison avec d’autres campus comme ceux de Stanford ou de la Cité internationale.« Il nous faudrait pouvoir davantage sentir cet effet de seuil, qui fait qu’on a la sensation de pénétrer dans un campus. »
Soit. Mais dès lors que c’est l’ensemble du campus qui est pris en considération, nous nous interrogeons sur la prise en compte de sa dimension paysagère par notre architecte. L’interrogation est l’occasion pour lui de rappeler la vocation de tout architecte à couvrir tout à la fois les champs de l’architecture, de l’urbanisme et du paysage. Dont acte. « L’articulation des trois m’est depuis toujours paru indispensable. » Ça l’est d’autant plus dans le contexte de Paris-Saclay, que la dimension paysagère a directement inspiré le schéma de développement de l’OIN – on doit d’ailleurs ce dernier à un paysagiste et non des moindres, Michel Desvigne. Ce que notre architecte n’ignore pas, témoignant au passage de sa satisfaction de s’inscrire dans les pas de ce dernier.
Paris-Saclay, une dynamique prometteuse
En réponse à la question relative, cette fois, à la dynamique de Paris-Saclay et à la manière dont il la perçoit, il ne cache pas son enthousiasme. « Une ville est en train de sortir de terre. Je suis impatient de voir comment elle va “prendre”. » Et le même de souligner l’enjeu de la mobilité et de l’accessibilité : « On est tout aussi impatient de voir comment la mobilité va s’organiser, autour notamment de la Ligne 18 du Grand Paris Express. C’est d’autant plus important que cela conditionne la possibilité de Paris-Saclay de ne pas être qu’un simple projet théorique. »
Reste que le campus HEC ne sera pas desservi par ladite Ligne 18, fait-on remarquer. Ce que l’architecte sait pertinemment et regrette. « J’avais défendu, auprès du précédent directeur, Bernard Ramanantsoa, l’idée d’une pleine intégration du campus dans le projet porté par l’EPA Paris Saclay. Lui-même en était convaincu. » Reste que la direction d’alors de la CCI de Paris avait manifestement une tout autre vision…
Notre architecte n’en reste pas moins convaincu. « HEC a tout à gagner à s’insérer dans ce territoire propice à l’éclosion de projets entrepreneuriaux portés par des étudiants. » Etant entendu que le campus se doit aussi de se projeter à l’international. Bref, être un campus « glocal », une idée qui lui tient tout particulièrement à cœur. « Local et international ne s’oppose pas. » Et le même de partager une autre conviction : « Il faut jouer sur ses spécificités et non chercher à ressembler aux autres. Ici, on est dans un contexte spécifique, chargé d’une histoire particulière et c’est précisément cela qui fait qu’on a le sentiment d’être dans un vrai “ lieu ”. »
Ce qui est vrai du campus d’HEC l’est aussi de Paris-Saclay. « Cet écosystème a la chance d’être riche de populations ayant l’expérience de l’international, que ce soit au titre d’étudiant, de chercheur, d’enseignant, d’entrepreneur ou encore d’artiste. Loin de signifier un risque de standardisation, cela devrait prédisposer le territoire à accueillir des populations dans leur diversité. » Fort de ses propres expériences de l’international, comme élève aussi bien que comme architecte, Martin Duplantier dit prendre un soin particulier à se mettre à la place des étudiants étrangers – européens, mais aussi chinois, indiens,… – qui vivent sur le campus pour « scénariser, anticiper leurs propres besoins et faire ainsi en sorte que le campus soit à la fois local et international. » Le même d’insister encore : « La présence d’étrangers sur le campus, dont beaucoup viennent de loin et même de très loin, avec leur propre culture, a de multiples incidences sur la manière d’envisager l’aménagement des espaces. »
Dix ans d’existence
Sans attendre l’achèvement du plan guide, l’agence Martin Duplantier Architectes, a cette année publié un ouvrage collectif, Le campus HEC, un modèle d’évolution. Sa manière à elle de fêter ses dix ans d’existence, et de promouvoir par là même la pratique d’une l’architecture « par la recherche et l’expérimentation », soucieuse « d’explorer les problématiques spatiales de notre époque – la requalification du patrimoine moderniste, la densification des centres urbains ou encore la réaffectation de territoires défigurés ». Car pour s’être investie dans la durée sur le campus d’HEC, l’agence est loin d’avoir restreint son activité à son périmètre. Depuis la livraison du bâtiment MBA et la réhabilitation des logements étudiants, la liste des références s’est enrichie de nombreux projets menés à l’échelle aussi bien locale que régionale ou internationale.
Dans la foulée de sa première collaboration avec David Chipperfield, Martin Duplantier s’est attelé à d’autres projets de campus, à la fois urbains et ruraux, « qui agissent comme des réservoirs à idées où se rencontrent le savoir, intangible et les pratiques, immatérielles » ainsi qu’on peut le lire encore dans le livre. Après la livraison de seize bâtiments universitaires à Bordeaux dans le cadre de l’Opération Campus en 2016, il mène actuellement la réalisation d’un autre plan guide, cette fois pour le quartier de la Cité Radieuse à Marseille. « L’occasion de réaffirmer son intérêt pour l’assimilation du patrimoine moderniste, tant architectural qu’urbain. » Positionnée également à l’international, l’agence a été retenue sur divers concours : le Musée d’art de Tainan, la Passerelle dans le parc naturel de Zhang Jia Jie, le village créatif de Sheshan, ou encore la tour de logements de Kuala Lupur. En 2017, elle livrait le lycée français de Luanda en Angola.
Naturellement, cette réussite, reconnue par ses pairs (Martin Duplantier préside l’association AMO, qui rassemble parmi les principaux acteurs la fabrique de la ville), doit beaucoup aux talents de l’architecte et de ses équipes, à l’adhésion que suscite sa vision de l’architecture, au plan esthétique, à ce savant l’équilibre entre patrimoine et expérimentation. Mais l’intéressé insiste volontiers sur des compétences qu’on n’associe pas spontanément à la figure de l’architecte, mais qui n’en sont pas moins essentielles : des compétences en management et en négociation. On y revient. Car le métier d’architecte, c’est aussi cela. « Tout architecte qu’on soit, on est aussi chef d’entreprise avec du personnel à recruter et à gérer. » Dans le cas de Martin Duplantier Architectes, celui-ci est réparti entre Paris et Bordeaux (avec bientôt une antenne en Asie). Ce n’est pas tout. « Un architecte se retrouve à devoir manipuler des budgets de plusieurs millions d’euros, à avoir affaire à de grands groupes dont il faut parler le langage au risque sinon d’être en position de faiblesse ». Manière de dire qu’un détour par une école comme HEC n’aura pas été superflu.
Un récit collectif pour Notre Dame
L’entretien s’étant déroulé deux jours à peine après l’incendie de Notre Dame, nous ne résistons pas à l’envie de solliciter la réaction de l’architecte, y compris sur le projet de concours international qui a été annoncé dans la foulée. Son opinion à ce sujet est manifestement mitigée. « Je m’interroge sur l’intérêt d’un tel concours pour reconstruire dans les cinq prochaines années la nouvelle flèche. Cette cathédrale a, comme les autres, mis beaucoup de temps à se construire voire reconstruire (plus d’un siècle dans le cas de Notre Dame). La conception même des techniques n’a cessé d’évoluer. Si, donc, nous allons trop vite, nous risquerons d’avoir une réponse se résumant à un geste architectural. Est-ce la meilleure façon de faire au regard d’un bâtiment qui est le fruit d’une œuvre collective ? Rien n’est moins sûr. Si nous devions nous lancer dans un projet, sans se fixer de calendrier ni se laisser contraindre par un budget donné, ce devrait être celui-là. Voyez la Sagrada Familiaà Barcelone, dont la construction se poursuit sans qu’on en voie encore l’achèvement. La restauration de Notre Dame, dans cet esprit, participerait d’un récit collectif, qu’il nous faut juste prendre le temps d’écrire, en étant tout sauf dans la précipitation. »
Preuve s’il en était besoin que pour être un ancien HEC, tout acculturé a priori au temps de la gestion et du management d’entreprise et de ses finances, on n’en est pas pour autant condamné à une vision court-termiste du monde. Ce que notre architecte confirme dans un dernier sourire.
Journaliste
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