EDF Lab ou l’art de concilier sens de l’accueil et confidentialité.
Parmi les personnes influentes de l’écosystème Paris-Saclay, Hatem Marzouk compte parmi les plus discrètes. C’est dire si nous avons hésité à braquer sur lui les projecteurs de notre média. Jusqu’à ce que ne l’emporte l’envie d’en savoir plus sur son parcours et ce que représente la gestion au quotidien d’un site comme EDF Lab, dont il a la responsabilité.
– Vous êtes le chef du site d’EDF Lab. Si vous deviez pour commencer par rappeler en quoi cela consiste ?
Cela consiste pour commencer par y faciliter, en interne, la vie de celles et de ceux qui y travaillent au quotidien. Vis-à-vis de l’extérieur, il s’agit de contribuer à son insertion dans l’écosystème de Paris-Saclay, soit la raison d’être du projet qui nous a conduits ici. Je suis donc en interaction avec tous les autres acteurs qui constituent notre voisinage – établissements d’enseignement supérieurs et de recherche, collectivités, etc. – en leur assurant ici le meilleur accueil car c’est aussi leur fréquentation du site, qui conditionne notre pleine insertion dans l’écosystème.
– Pouvez-vous préciser ce que représente ce site en termes de salariés et de visiteurs ? On imagine que ce doit être l’équivalent d’une grosse commune…
Je dirai plutôt un petit village de par sa configuration, mais relativement dense au regard des populations qui y résident en permanence (soit un peu plus d’un millier de salariés) ou qu’il accueille (soit 200 académiques : des thésards, des stagiaires ou encore des chercheurs de laboratoires communs), sans oublier, pour filer la métaphore du village, ses forces de sécurité, ses agents d’entretien, ses techniciens de maintenance,… Soit environ une cinquantaine de prestataires, qui nous aident à faire fonctionner le site au quotidien. Mais sans doute convient-il de ne pas pousser trop loin cette métaphore : car EDF Lab, c’est aussi des laboratoires avec des personnels hautement qualifiés, qu’on rencontre rarement dans un village, en tout cas, d’une manière aussi concentrée.
– Sans compter tous ces visiteurs qui viennent à l’occasion des nombreux événements que vous accueillez…
Dans la foulée de son arrivée dans les nouveaux bâtiments, en mars 2016, EDF Lab a en effet accueilli de nombreux événements : DRIM’In Saclay (un millier de personnes), Connect Paris-Saclay (de l’ordre de 800), TEDx Saclay (plus de 500),… Aujourd’hui, nous en sommes en moyenne à près d’un par semaine, en dehors des périodes de congés. Ces événements sont de nature diverse : scientifique, institutionnelle ou portés par des associations (Ader, Terre et cité, WAWlab, Science Accueil…). Le site dispose pour cela de plusieurs auditoriums dont l’un de plus de 500 places, un autre modulable pouvant accueillir jusqu’à 150 personnes.
– Qu’est-ce que cela dit de l’ambition de ce site par rapport à l’écosystème ? Celle d’en être un moteur ?
Dès le début du projet, à sa phase programmatique, Bernard Salha [directeur de la R&D] et Jean-Paul Chabard [directeur Scientifique et Partenariat] avaient exprimé la volonté d’ouvrir le futur centre de R&D d’EDF sur son écosystème, en collaborant avec ses différentes parties prenantes et ce, sans exclusive : les académiques et les étudiants qui feraient leurs études dans des établissements d’enseignement supérieur déjà présents sur le Plateau de Saclay ou appelés à le rejoindre (École Polytechnique, ENS Paris-Saclay, Centrale-Supélec, AgroParisTech, Institut MinesTélécom…), mais aussi les acteurs associatifs, les entreprises, les élus, etc.
– Comment parvenez-vous à tenir l’équilibre entre cet esprit d’ouverture et les contraintes liées aux exigences de confidentialité inhérentes à des activités de R&D ?
Au cours de cette phase programmatique que je viens d’évoquer, nous avions envisagé un double espace : l’un mitoyen à l’espace public et à accès libre ; l’autre à accès réglementé. Des choix dont nous avons testé la robustesse, selon une méthode rigoureuse, et qui ont conforté le principe d’un campus éclaté en plusieurs bâtiments, quatre en l’occurrence : Azur, Emeraude, Iroise et Opale. Jean-Paul Chabard tenait à ce que l’un de ces bâtiments – Iroise, en l’occurrence – soit configuré comme un centre de conférence, facile d’accès pour des personnes extérieures. Une volonté que l’architecte Francis Soler a su respecter à la lettre. La fonction accueil, disposée au centre d’un espace ouvert et lumineux, remplit pleinement son rôle. De là, le public, comme le personnel, a accès à de premières commodités : une conciergerie, un business center ou encore les consignes des auditorium. On y a aussi accès à des salles de réunion, ce qui permet d’accueillir des personnes extérieures aisément. Par conséquent et bien que les espaces soient privés, nos deux bâtiments ouverts sont classés ERP (établissements recevant du public au sens de la sécurité incendie). Il est soumis à un double système de sécurité à la fois numérique et humain : numérique au sens où peut suivre le flux des visiteurs depuis des écrans, dans le respect des obligations fixées par la Cnil ; humain, au sens où il est opéré par des agents de sécurité, qui veillent si nécessaire à orienter les visiteurs extérieurs.
– Dans quelle mesure EDF Lab a-t-il été conçu pour répondre aux exigences de l’open innovation, laquelle n’est pas sans ajouter de la complexité dans la conception des centres de R&D, en obligeant notamment à combiner des espaces de confidentialité et des espaces ouverts…
Sans doute que Christophe Reinert, Directeur innovation – EDF R&D, et Olaf Maxant, Délégué innovation adjoint, seraient plus en mesure de répondre à votre question et à ce qu’elle soulève en termes d’organisation. Du point de vue de l’infrastructure physique, nous avions, toujours dans la phase programmatique, prévu de dédier des m2 à des espaces dans lesquels on pourrait pratiquer de l’échange plus informel, du brainstorming, de nouvelles formes d’apprentissage et ce, pour répondre au besoin de plus d’agilité dans les processus d’innovation. C’est l’espace situé au rez-de-chaussée du bâtiment Iroise, accessible depuis l’extérieur, donc. Bien sûr, au-delà de cette traduction physique, l’open innovation suppose d’aller plus loin dans la collaboration avec des partenaires extérieurs. Nous avons donc aménagé dans les bâtiments à accès réglementé des espaces, qui permettent à nos visiteurs d’échanger plus facilement avec nos collègues ou entre eux. On franchit ainsi une autre étape, au sens où des règles sont fixées, non pas d’accessibilité, mais de confidentialité, comme on peut en attendre au sein d’une entreprise. Ces deux facettes sont indissociables, la première conditionnant la possibilité d’aller plus loin dans les projets collaboratifs.
– Ce mode de gestion s’inscrit-il dans un modèle éprouvé par les autres centres de R&D d’EDF ou a-t-il été conçu dans la perspective de l’insertion particulière du nouveau site dans l’écosystème de Paris-Saclay ?
Le groupe EDF comprend différents sites de R&D, qui nécessitent des systèmes de sécurité particuliers. La direction de l’immobilier groupe a d’ailleurs un département de sécurité, qui nous a accompagnés durant la phase programmatique en nous aidant à identifier des experts comme, par exemple, ceux d’Amarante International, un bureau d’études spécialisé dans la sécurité et reconnu au plan international – c’est lui qui a défini les grandes orientations, que nous avons mises en pratique dans le cadre d’EDF Lab, moyennant, bien sûr, des ajustements.
– Dans quelle mesure cela a-t-il bousculé la manière d’envisager la R&D ?
De fait, la volonté d’ouverture change radicalement la conception d’un centre de R&D. De ce point de vue, EDF Lab Paris-Saclay se distingue de nos autres centres franciliens (des Renardières et de Chatou), ou comme d’autres organismes de recherche (le CEA de Saclay, par exemple) où l’accès est conditionné à un contrôle strict à l’entrée. Ici, à EDF Lab, un espace intermédiaire assure, comme je l’évoquais tout à l’heure, une vraie fonction d’accueil.
– Depuis l’ouverture d’EDF Lab, êtes-vous sollicités par des centres de R&D désireux de tirer profit de votre expérience ?
Non, pas directement. D’ailleurs, nous ne prétendons pas être des experts de la sécurisation de sites en contexte d’open innovation ! A chaque site, ses spécificités et, donc, son système propre, même si, bien sûr, des principes communs gouvernent l’organisation de centres de R&D.
– Vous avez rappelé les principes qui avaient présidé à la programmation du projet EDF Lab. Avec le recul, quel regard posez-vous sur le site dans son fonctionnement au quotidien ?
En préambule, je souhaite souligner que, depuis notre implantation, la construction de Paris-Saclay n’a cessé de se poursuivre, ce dont témoignent d’ailleurs toutes ces grues que l’on peut voir depuis mon bureau. Et cela est réconfortant. Nous avons des réunions d’informations régulières avec l’EPA Paris-Saclay, qui montrent que les projets avancent. Le futur quartier de Polytechnique, en particulier, prend chaque jour un peu plus forme. Quant au fonctionnement du site, à l’usage, je dirai, au vu des réactions de mes collègues, de la manière dont ils y travaillent, qu’il correspond à ce que nous avions imaginé dans la phase programmatique et plus encore. EDF Lab a démontré sa capacité à accueillir diverses manifestations, conférences, colloques et séminaires ; bien plus, à être un lieu propice au développement de nouveaux partenariats. Tout à l’heure, en empruntant un couloir pour accéder à mon bureau, vous me disiez combien vous trouviez l’endroit lumineux…
– Je confirme !
… C’est effectivement une caractéristique des bâtiments, qui correspondait à une de nos exigences. D’abord, pour les besoins du confort de ceux appelés à y travailler (la lumière naturelle a des bienfaits physiologiques bien connus). Ensuite, dans un souci d’économie d’énergie. Ce souci a conduit à d’autres choix : un fort degré d’instrumentation (capteurs, compteurs), pour réguler au mieux, outre la lumière, le chauffage et le rafraîchissement. A la simple ouverture de la baie vitrée d’un bureau, le rafraîchissement s’interrompt. Le free cooling s’enclenche automatiquement quand la température intérieure est supérieure à la température extérieure (de 2-3°). Vous constaterez aussi la qualité de l’environnement sonore : malgré le choix des matériaux de construction (plafond en béton, cloisons en parois métalliques), l’acoustique est parfaite (grâce en l’occurrence à l’installation de baffles en suspens, qui facilitent l’absorption des nuisances sonores).
– Je confirme, là encore, la qualité de l’environnement acoustique…
Reste une dimension humaine avec laquelle il faut composer pour parvenir à une appropriation optimale de ces systèmes de régulation. Il faut du temps pour que les personnes se l’approprient et en saisissent toutes les subtilités du fonctionnement. C’est vrai dans le cas d’une maison neuve, ça l’est encore plus pour un bâtiment neuf. Rappelons que nous sommes passés d’un système où ouverture et réglage se faisaient manuellement (en tournant un poignet ou en appuyant sur des boutons) à un système automatisé grâce à des détecteurs de présence, mais aussi de luminosité, qui conditionnent l’ouverture ou la fermeture des stores (pour éviter l’effet de serre ou encore les reflets de la lumière sur les écrans d’ordinateurs), sans oublier les dispositifs d’absorption acoustique que j’évoquais.
– Au final, le personnel se l’est-il approprié ?
C’est la question que me posait l’architecte Francis Soler, qui souhaitait savoir aussi comment il s’y sentait. La réponse que je lui ai faite et que je vous rapporte est que, oui, le personnel se l’est approprié. Mieux, il n’a pas attendu d’y prendre ses marques, pour faire jouer la flexibilité et réversibilité de certains espaces. Tels ont été décloisonnés, tels autres re-cloisonnés (les cloisons étant sur des vérins, qui en rendent l’installation facilement réversible). De nouveaux espaces ont ainsi été créés. Bref, le bâtiment vie, le personnel l’a fait évoluer comme on leur en avait annoncé la possibilité. Il reste que, comme tout bâtiment, s’appuyant sur des technologies nouvelles, celui-ci demande des ajustements ou un temps d’adaptation. Rien que de plus normal. D’autant que celui-ci est, comme indiqué, fortement instrumenté. Par exemple, le mouvement des stores est conditionné à l’éclairage, lequel est évalué au moyen de capteurs de lumière, mais aussi à la vitesse du vent de façon à ce qu’ils ne soient pas détériorés en cas de tempête (cette vitesse du vent étant assurée par une station météo). Malgré les notifications automatisées, on peut néanmoins obtenir de remonter le store ou de le redescendre. De même, malgré le système de climatisation automatisé, on peut ouvrir sa fenêtre (ce qui l’interrompt automatiquement). Un privilège rare dans les constructions modernes. Tout cela pour dire que les données d’instrumentation qui conditionnent le déclenchement automatique des différents dispositifs, sont elles-mêmes appelées à évoluer en fonction des usages effectifs. Si, donc, des personnels ont pu faire état de désagrément par rapport à leur habitude de confort, ces désagréments devraient n’être que transitoires. Dit autrement, les paramétrages sont appelés à évoluer sous l’effet d’une double intelligence : l’intelligence artificielle et l’intelligence humaine, celle des usagers. Probablement serons-nous amenés, par exemple, à revoir le degré de sensibilité du détecteur de présence pour que la lumière ne s’éteigne pas trop vite. Pour autant, ne perdons pas de vue le haut niveau de performance de ce bâtiment et l’ingéniosité avec lequel chaque détail a été pensé. Par exemple, les stores se trouvent à dessein à l’extérieur et non à l’intérieur comme c’était classiquement l’usage pour éviter l’effet de serre, à la manière des persiennes de maisons anciennes.
– En avril dernier, EDF Lab accueillait la 3e édition du colloque Handiversité. Dans quelle mesure le site est-il exemplaire en matière d’accessibilité des personnes à mobilité réduite ?
Merci d’évoquer cette journée. C’est l’occasion pour moi de souligner ce qui a été fait en matière d’accessibilité pour les personnes en situation de handicap et rendre ainsi hommage au travail qui a été réalisé à la fois par nos partenaires extérieurs – Locomotion et Accesmetrie – et à mes collègues experts des sciences cognitives pour aider à l’accessibilité de toutes les personnes – salariés aussi bien que visiteurs – en situation de handicap : Alain Schmid (ingénieur chercheur) et Guillaume Thibault. Certes, la législation – en l’occurrence la loi accessibilité de 2015 – nous y oblige, mais je tenais à souligner combien cette collaboration a été précieuse et m’a conforté dans l’idée que ce qui peut être vécu comme des contraintes supplémentaires pour le responsable de site, est en réalité l’opportunité d’une démarche collégiale, propice de surcroît à de l’innovation. De fait, l’ensemble des bâtiments d’EDF Lab sont naturellement accessibles au sens où il n’y a pas, au plan visuel, de traitement différencié des cheminements pour les personnes en situation de handicap.
– Permettez-moi d’élargir les enjeux de l’accessibilité à celle du site EDF Lab et du Plateau de Saclay. La question a été déjà abordée dans les entretiens que m’ont accordés Jean-Paul Chabard [pour y accéder, cliquer ici] et Béatrice Bianchini-Burlot [cliquer ici], et ils y ont répondu en faisant état des moyens de transport supplémentaires qui ont été mutualisés avec d’autres établissements. Reste que c’était avant l’annonce du report de la ligne 18 du Grand Paris-Express…
Aujourd’hui, l’accès au site d’EDF Lab se fait par deux moyens principaux. D’une part, le véhicule personnel (c’est celui auquel recourt entre 60-70% de nos collègues), d’autre part, les transports en commun. A savoir : le RER de la ligne B et les lignes de bus mises en place par la collectivité, pour desservir le Plateau de Saclay depuis la station Massy-Palaiseau. Avant même qu’on parle de Plan de déplacement inter-entreprises, nous avons mutualisé d’autres moyens avec nos partenaires (Onera, CEA, Synchrotron Soleil,…), en l’occurrence : les systèmes de navettes que chacun avait mis en place pour ses salariés respectifs résidant à Paris. En a résulté la navette (gérée par ma collaboratrice Béatrice Milhac), au départ de la Porte Orléans : elle a rencontré un vif succès, bien au-delà de ce que nous avions escompté, au point d’avoir dû être renforcée. L’institut Mines-Télécom et Danone devraient s’y associer. Nous réfléchissons aussi à anticiper les engorgements que pourraient produire l’arrivée de nouveaux établissements, en travaillant à renforcer la desserte depuis la gare de Massy-Palaiseau (pour mémoire, l’Institut Mines-Télécom doit arriver l’année prochaine, AgroParisTech dans trois ans).
– Et le report de la ligne 18 du Grand Paris Express, que vous inspire-t-il donc ?
Nous avons l’intention de continuer, avec les autres parties concernées, à faire entendre l’enjeu que représente cette ligne pour Paris-Saclay dans son ensemble. Nous poursuivons notre travail de lobbying, dans le respect des règles imposées par la législation et, néanmoins, avec beaucoup de détermination. Le report de la construction de la ligne 18 du Grand Paris Express ne peut qu’handicaper le décollage du Campus Paris-Saclay.
– Un mot sur les vélos, que l’on voit en nombre sur le site d’EDF Lab et dont un Olaf Maxant a vanté d’ailleurs toutes les vertus dans le dernier entretien qu’il nous a accordé [pour y accéder, cliquer ici], y compris pour venir depuis la toute proche banlieue de Paris…
Avec le concours de l’EPA Paris Saclay et d’autres acteurs de l’écosystème, nous nous employons à promouvoir la mobilité douce et, au sein de celle-ci, le vélo en particulier. Comme vous l’avez évoqué, nous avons aménagé ici un parc de stationnement dédié, en poussant la réflexion jusqu’à l’ergonomie de l’accroche (je me suis inspiré pour cela de ce que j’avais pu voir à Karlsruhe, où j’ai passé dix ans de ma vie professionnelle, à savoir : un système de fixation par le cadre et non par la roue comme on avait coutume de le faire). Naturellement, nous avons anticipé sur la mobilité électrique, en équipant le parking destiné aux salariés d’une centaine de bornes de recharge. Nous comptons maintenant équiper notre parking visiteurs de bornes de dernière génération. Dans le cadre du programme Move In Saclay, nous comptons bien développer d’autres solutions en matière de mobilité électrique, en faisant valoir les compétences de nos métiers. Sur ce sujet, notre engagement s’est traduit de façon opérationnelle par la mission de coordination au niveau d’EDF SA avec les acteurs de notre écosystème, mission que Bernard Salha et Catherine Lescure, Déléguée régionale d’EDF pour IDF, ont confié à François Molho, directeur de la communication de la R&D.
– On voit au fil de l’entretien à quel point vos interlocuteurs sont multiples. Ce qui suppose de savoir pratiquer plusieurs « langues » : celles des chercheurs, des ingénieurs, des institutionnels, des partenaires,…
Sans grande prétention, je revendique le fait de parler le langage des académiques, étant moi-même scientifique de formation. Quant aux autres langues, institutionnelles, « politiques »,… j’ai appris à les pratiquer au fil de mes expériences professionnelles sinon de ma formation. Sans doute y étais-je aussi prédisposé par mon éducation et mes origines familiales. Depuis mon enfance, j’ai eu la chance de côtoyer des civilisations diverses.
– « Civilisations », dites-vous…
Je suis né en Tunisie. Puis j’ai grandi dans ce pays merveilleux qu’est l’Italie, même si ce fut en baignant dans une culture typiquement française, celle des maristes. J’ai vécu ensuite à Paris – une autre civilisation en soi – avant de vivre aux Etats-Unis (en Caroline du Sud précisément), durant les années 1992-93, puis en Allemagne, à Karlsruhe et ce, durant une dizaine d’années, entre 2001 et 2010. Mais on voyage aussi à travers les livres : j’ai découvert ainsi une autre civilisation, celle des Pharaons. Quelque chose de proprement impressionnant. Cette expérience de civilisations aussi diverses incline forcément a donné une profondeur aux échanges. A cultiver la bienveillance aussi, quelque chose de précieux que j’ai véritablement découvert au cours de mes années passées aux Etats-Unis : j’avais beau m’exprimer dans un anglais parfois approximatif, mes interlocuteurs m’encourageaient, ne mettant d’abord en avant que les aspects positifs de mes propos. Bref, aucun jugement de valeur dans leur réaction, encore moins des critiques non constructives. Un état d’esprit qui m’a beaucoup marqué et fait prendre conscience à quel point cette bienveillance est indispensable si on veut rester dans le dialogue avec ses interlocuteurs. Les miens sont effectivement multiples, comme vous l’avez pointé, chacun avec sa culture, ses codes,… Autant de particularités qui sont une source de possibles malentendus, d’incompréhension et dont il faut donc avoir conscience, en prenant le temps de la rencontre. Au-delà des personnes, il faut prendre aussi la mesure du contexte dans lequel se déroule cette rencontre. Pour que le dialogue ait lieu, il faut encore instaurer une relation de confiance et, pour cela, accepter de partager les informations dont on dispose (sauf à ce qu’elles soient confidentielles, bien sûr). Cela permet d’être soi-même mieux informé (les informations dont on dispose ne sont pas forcément bonnes ou à jour). J’accorde autant d’importance au dialogue avec des chercheurs qu’avec des techniciens et ce, dans leur propre langue, ne serait-ce que pour les rassurer quant au fait que je comprends les problèmes auxquels ils sont éventuellement confrontés. Naturellement, ces changements permanents de langues, sinon de registres, deviennent familiers et naturels avec l’âge et l’expérience. En d’autres termes, c’est aussi une affaire de temps !
– Pouvez-vous revenir sur des moments et expériences de votre carrière qui auront été fondateurs de ce point de vue ?
J’en citerai non par ordre chronologique, mais en fonction de leur importance dans la durée. La première c’est bien sûr mes années en Allemagne, où j’ai participé à la création de Eifer et ce, au titre d’adjoint du regretté Jean-Claude Van Duysen, directeur de projet. Un être d’une grande bienveillance, justement.
– Eifer, qui fut un des tout premiers centres de R&D d’EDF créé à l’international…
Le 2e, chronologiquement, après celui des Etats-Unis, mais le premier en termes d’activité. Avec une autre particularité : son partenariat avec l’Université de Karlsruhe. En 2001, nous n’étions encore que trois à le bâtir. Nous en avons défini aussi bien les thématiques de recherche que ses relations avec l’environnement. Au fil des années, j’ai ainsi construit un réseau de relations tant du côté académique qu’avec le consulat et l’ambassade française, à Munich. Il s’est trouvé par un heureux hasard que le conseiller technique n’était autre qu’un de mes anciens assistants de mathématiques… Le résultat a dépassé ce qu’on avait imaginé. En juin 2002, nous étions déjà une petite vingtaine. Au moment de mon départ pour rejoindre l’équipe de Jean-Paul Chabard, en vue du projet d’EDF Lab, il en comptait 120. C’est au titre de cette expérience, dans la conduite du changement, que j’ai été invité à y participer.
– A quel moment l’avez-vous rejoint effectivement ?
Dès septembre 2008. Suite au lancement de l’opération Campus, Jean-Paul Chabard avait entrepris un benchmarking des modèles universitaires en se posant la question de savoir si le grand campus resterait la référence. Il m’avait alors demandé de témoigner de l’Exzellenzinitiative de Gerhard Schröder pour la création de grandes universités. Naturellement le benchmarking ne s’est pas limité à l’Allemagne : outre Hambourg, Jean-Paul Chabard s’est rendu à NY, à Londres… Suite à la constitution du campus de Paris-Saclay, il a constitué un comité de projet pour rédiger la note d’opportunité, puis le programme. Lequel a été réalisé avec le concours de la société Orenoque, qui a sollicité l’ensemble des métiers de la R&D d’EDF concernés, au travers de différents groupes de travail, sur les laboratoires et leur configuration notamment. Naturellement, le projet s’inscrivait dans une logique de changement : il fut l’occasion de faire évoluer les pratiques et l’organisation de la R&D non sans remettre en question des routines qui avaient pu s’installer au fil du temps. L’enjeu était aussi de répondre aux besoins présents tout en se projetant dans l’avenir : le futur bâtiment allait être construit pour durer plusieurs décennies. C’est pour venir en appui de cette conduite de changement que j’ai été plus étroitement associé au projet. Je l’ai intégré effectivement en octobre 2012.
– Et quelques années plus tard, vous m’accueillez dans votre bureau, à EDF Lab Paris-Saclay… Qu’est-ce que cela fait-il d’avoir la responsabilité d’un site à la conception duquel on a directement participé ?
Il m’arrive d’être encore surpris de travailler dans un lieu tel qu’il avait été conçu et annoncé…
Journaliste
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