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Agriculture & Alimentation

Du Jardin au Plateau de Cocagne…

Le 31 août 2012

La ferme du Limon est appelée à accueillir, outre un Jardin de Cocagne, le siège et le centre de formation du réseau du même nom, ainsi qu’un restaurant. Jean-Guy Henckel, le fondateur, nous en dit plus, dans cet entretien réalisé en août 2012, sur son projet mais aussi les circonstances qui l’ont amené sur le Plateau de Saclay.

« Ici, il y aura un restaurant d’insertion ouvert à tous, qui proposera des repas confectionnés à partir des légumes produits sur place. Sous la serre, vous pourrez déguster un verre. Là, il y aura un magasin de vente de confitures et de conserveries en provenance du réseau, ainsi que des produits locaux.»

Le visiteur se surprend à s’imaginer déjeunant effectivement ici un jour. Pourtant, nous sommes à Vauhallan, dans les dépendances de la ferme du Limon, ancienne propriété des sœurs Bénédictines dont le couvent se trouve juste à côté. Et le futur restaurant n’est pour l’heure qu’un vieux bâtiment empli d’un fatras de vieux outils.

Mais le guide d’un jour n’est autre que Jean-Guy Henckel lequel poursuit avec le même enthousiasme la visite, en désignant ici l’emplacement d’un prochain parking végétalisé au milieu d’un verger ; là, dans cet autre bâtiment, un lieu d’hébergement façon Motel avec entrées individualisées.

Comment en douter ? Jean-Guy Henckel a apporté la démonstration de sa capacité à transformer des lieux improbables. En 1991, c’est lui qui créa le premier Jardin de Cocagne, à Chalezeule, en périphérie de Besançon, avant de constituer un réseau qui n’en compte pas moins de 120 aujourd’hui (plus une vingtaine en projet).

Travailleur social de formation, il se revendique désormais comme « entrepreneur social » au sens où il s’emploie à concilier logique économique et finalité sociale (l’insertion de personnes en précarité par des activités maraîchères). Les Jardins de Cocagne produisant de surcroît bio, il entend militer aussi pour un développement durable.

En cet après-midi de juillet, il a fait le déplacement une énième fois pour suivre l’évolution des travaux et répondre par la même occasion aux journalistes qui commencent à se presser. L’ampleur du projet le justifie, car la ferme du Limon n’accueillera pas seulement le plus grand Jardin de Cocagne de France et de Navarre : outre le restaurant susmentionné, elle hébergera aussi le siège du réseau et un centre de formation des encadrants.

C’est que, victime de son succès, le réseau peine à trouver des personnes à même d’encadrer des personnes en insertion, un métier à part entière. « Jusqu’alors chaque jardin bricolait ses propres formations. Le besoin s’est fait sentir d’en proposer une véritable en capitalisant les expériences », explique Marie-Pierre Baccon, chargé de l’ensemble du projet.

De l’économie sociale à grande échelle

A ceux qui s’étonnent de son ampleur – l’économie sociale et solidaire dans laquelle s’inscrivent les Jardins de Cocagne s’incarnent le plus souvent, du moins le pense-t-on, dans des projets micro -, Jean-Guy Henckel répond avec sa casquette d’entrepreneur social : « Dans le milieu social et de l’insertion, on a coutume de considérer que “ small is beautifull ”. Mais si une idée est belle, pourquoi ne la démultiplierait-on pas ? Si notre système est l’avenir, ce n’est pas 50 ni 100 paniers qu’il faut livrer chaque semaine, mais 2 000 ! »

Quitte à changer d’échelle. Un défi d’autant plus élevé qu’il s’agit de le faire en conservant la dimension humaine, sociale et écologique du projet. « Se développer sans perdre son âme n’est pas simple, reconnaît Jean-Guy Henckel. Mais cela nous place dans une tension permanente, qui force à innover. » Etant entendu que l’innovation n’est pas que technologique, elle peut être aussi sociale. Le 121e Jardin de Cocagne entend d’ailleurs s’imprégner des caractéristiques du Plateau de Saclay, marqué par la présence de nombre de laboratoires et d’entreprises, en s’essayant à la Recherche & Développement.

De Besançon à la ferme du Limon

Mais comment ce Franc-comtois qui sillonne depuis des années l’Hexagone s’est-t-il retrouvé à la ferme du Limon, pour s’entendre de surcroît avec des sœurs bénédictines, lui, qui ne cache pas ses convictions laïques ? « Il y a trois ans, elles ont demandé à nous rencontrer. Ne pouvant plus assumer la charge de leur ferme, elles ont voulu s’en séparer, mais pas à n’importe quelles conditions. Elles souhaitaient que les futurs propriétaires y maintiennent une activité agricole. Elles ont été sensibles à la dimension sociale de notre démarche.»

Dans leur esprit, la ferme s’inscrivait cependant dans un projet d’ensemble, décliné en « villages » : un lieu de vie et de prière (village 1), une maison de retraite au sens propre comme au sens figuré (village 2), enfin, un lieu dédié à la production (village 3), soit la ferme et ses 18 ha.

Malgré les affinités, les sœurs et l’entrepreneur social prennent le temps de se connaître. Aujourd’hui, Jean-Guy Henckel se plaît à raconter l’histoire de cette communauté. « Elle s’est installéee ici avant guerre et a compté jusqu’à une centaine de membres. Le couvent a fait office de dispensaire pour le territoire : les sœurs allaient soigner aux alentours pendant des décennies. » Le même n’ignore plus rien non plus de l’histoire du site : la ferme fut reconstruite dans les années 50 sur les décombres d’une précédente que les Allemands avaient, sous l’Occupation, transformé en dépôt de munition avant de la raser. De l’ancienne ne reste plus que deux bâtiments. La nouvelle ne manque pas de charme avec, ici, son mélange de briques et charpentes, là ses murs en meulières. « Tout est sain, hormis une partie de la toiture.»

Une proposition non blackboulée

Il se trouve que le réseau cherchait de son côté un site national. Actuellement ses permanents sont répartis entre Besançon, où tout a commencé et la rue du Val-de-Grâce dans le Ve arrondissement de Paris. « Un arrondissement agréable, mais pas le plus approprié quand on est dans le maraîchage et le social !»

L’accord définitif est intervenu après que les sœurs eurent soumis  la proposition de Jean-Guy Henckel … au vote, au moyen de boules blanches et de boules noires comme c’est l’usage dans les institutions religieuses. Par chance, la proposition ne sera pas « blackboulée » au sens originel du terme (recueillir une majorité de boules noires, synonymes de refus). Mieux, elle a été acceptée à l’unanimité : 31 boules blanches, une première depuis 25 ans.

Ne restait plus qu’à mener à bien ce projet surdimensionné par rapport aux moyens du réseau. Jean-Guy Henckel demande un à deux ans de patience, le temps de mener à bien des études de faisabilité et de convaincre des partenaires financiers.

L’apparent isolement du site ne l’inquiète pas. « Nous avons l’habitude d’être dans des territoires excentrés. Les personnes qui viendront en formation pourront venir des quatre coins de France via la gare de Massy TGV. » Et les derniers km pour y parvenir ?  « Nous avons obtenu de la mairie de Vauhallan, que le bus qui dessert Polytechnique, s’arrête devant la ferme. » Une logistique est par ailleurs prévue pour l’acheminement des stagiaires. Last but not least, GrDF, partenaire des Jardins de Cocagne (comme des Jardins familiaux et sociaux) a mis à disposition un véhicule. Quant aux visiteurs, ils pourront venir en voiture. Pas question pour autant de transformer la cour en un vaste parking. Les voitures pourront stationner mais dans un emplacement situé à l’arrière.

Au-delà de la ferme, Jean-Guy Henckel est conquis par le Plateau de Saclay, propice à des rencontres fortuites, comme avec ce directeur d’une importante entreprise. « C’était après les vœux de la CAPS. J’attendais le bus à un arrêt perdu au milieu des champs. Nous étions en plein hiver, il pleuvait. Un homme arrive. Moi : “ Vous savez s’il y a des bus qui passent encore par ici. » Lui : “ Ne vous inquiétez pas. Je le prends régulièrement.” Nous entamons la discussion. C’était le directeur de Thales ! A priori, l’antithèse des Jardins de Cocagne.» Les deux hommes font plus ample connaissance sur le chemin du retour. Depuis, le directeur a fait le lien avec d’autres entreprises susceptibles d’êtres intéressées.

Autre rencontre fortuite : celle avec le paysagiste Gilles Clément. « La CAPS nous avait signalé sa venue pour une conférence. Je m’y suis rendu et l’ai attendu à la fin. Par chance, il connaissait les Jardins de Cocagne ! Il s’est rendu à la ferme. Trois jours après, il adressait un projet paysager qui reçut, si je puis dire, la bénédiction des Architectes des Bâtiments de France. » Partant du principe que les Jardins de Cocagne ont vocation à produire, le célèbre «  jardinier » a considéré que les aménagements paysagers de la cour devaient être dédiés à la production. Y seront donc plantés des arbres fruitiers et aménagés des carrés d’herbes aromatiques.

Au milieu de la cour trône en attendant le tracteur arrivé quelques jours plus tôt, un Lamborghini, acheté d’occasion dans le Pays Basque. « On n’attend plus que des roues taille 13, plus adaptées au maraîchage » explique en connaisseur Jean-Guy Henckel.

Divers événements égayent ainsi le quotidien de la ferme. Parmi les plus importants : l’arrivée de la première personne en insertion… Le Jardin de Cocagne du Limon doit démarrer dès septembre de cette année. Les premières cultures viennent d’être réalisées. Les travaux d’aménagement du centre, des logements et du restaurant, sont prévus, eux, en 2013, pour une ouverture début 2014.

A moyen terme, la ferme devrait accueillir 25 personnes en insertion auxquelles s’ajouteront une douzaine d’autres pour la restauration et la gestion des salles, plus une vingtaine de permanents du réseau et les encadrants. Soit une soixantaine de personnes pour la phase de démarrage. Bien plus encore si le succès du projet dépassait les espérances.

Jean-Guy Henckel est confiant. Le projet est fédérateur. De la commune de Vauhallan à la Région en passant par la Caps et le département, les collectivités l’ont accueilli  les bras ouverts. Le courant passe visiblement bien avec les industriels présents sur le Plateau, avec qui les contacts ont été pris. Il est vrai qu’un jardin de Cocagne sur le Plateau constitue un symbole fort. « Cela revient à dire que l’avenir ne sera pas que technologique, mais social, solidaire et écologique. » Et Jean-Guy Henckel de poursuivre : « Nous sommes a priori l’antithèse des projets qui se montent ici. Nous ne venons pas révolutionner quoi que ce soit. Mais on fait le lien avec les pouvoirs publics, les entreprises… » Et tous les midis, déjà une trentaine de personnes viennent déjeuner ici : des financeurs, des dirigeants ou cadres d’entreprises, des visiteurs…

Et les agriculteurs du Plateau, comment perçoivent-ils l’arrivée du Jardin ? Les premiers échos laissent percevoir un certain scepticisme. « Concurrence déloyale » lâchent certains. « Pourtant, de la direction de l’agriculture à la chambre d’agriculture en passant par les agriculteurs que nous avons rencontrés, tous ont bien accueilli le projet. Seul l’un d’eux a manifesté son opposition lors d’une réunion publique. Il devrait considérer notre voisinage comme une opportunité pour d’éventuels prêts de matériel et des coups de mains. »

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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