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Diagnostic du cancer cutané : les promesses d’ITAE Medical Research.

Le 13 février 2020

L’imagerie radar mène à tout, y compris dans le domaine médical. Illustration avec Élise Colin Koeniguer, ingénieure de l’ONERA, qui, dans ce nouvel entretien qu’elle nous accorde, nous présente une solution développée dans le cadre d’une start-up, ITAE Medical Research, et qui devrait permettre de faire de grands pas dans le diagnostic du cancer de la peau et, probablement, de bien d’autres maladies.

– Si vous deviez, pour commencer, par pitcher l’objet de votre start-up ?

Il s’agit d’un appareil qui devrait permettre de grandes avancées dans le diagnostic du cancer de la peau, notamment le mélanome cutané, l’un des plus meurtriers et en recrudescence dans la plupart des pays développés, et le carcinome. Aujourd’hui, la technique de détection repose encore sur l’observation visuelle de tâches suspectes. Son efficacité n’est pas totalement satisfaisante – elle enregistre un taux d’échec de l’ordre de 20% (soit une chance sur cinq de se tromper). Or, la détection précoce est essentielle pour la réussite du suivi thérapeutique, car plus on détecte tôt le cancer, plus on a de probabilités de le guérir. C’est particulièrement vrai pour le mélanome : une fois que la tumeur est installée, elle métastase rapidement.
Notre appareil consiste à observer non plus directement le signal présent sur la peau, mais à imager les micro-mouvements symptomatiques d’un risque de tumeur, en l’occurrence les microvascularisations provoquées par les cellules cancéreuses pour puiser davantage de nutriments dans le sang et compenser ainsi un métabolisme moins performant que celui des cellules saines. D’un diagnostic direct, visuel, nous passons ainsi à un diagnostic indirect.

EliseKoeniguerAppareil1Paysage– Vu l’enjeu, comment expliquer que cette méthode n’a-t-elle pas été mise au jour plus tôt ? Quels verrous technologiques vous a-t-il fallu lever ?

Une technique d’imagerie existe pour imager les microvascularisations et elle est relativement ancienne : mise au point dans les années 80, elle est connue sous le nom de speckle dynamique. Le speckle fait référence aux petites tâches qu’on perçoit en éclairant une surface au moyen d’un laser cohérent ; il est dynamique au sens où on l’observe évoluer dans la durée. Mais jusqu’à présent, cette technique n’a jamais donné de résultats probants en termes de résolution. Elle est surtout limitée au regard de la profondeur à laquelle on observe le phénomène, la surface de la peau limitant la pénétration de la lumière. Notre solution a consisté pour commencer par utiliser la polarisation de l’onde lumineuse en réception…

– ?!

(Sourire) Je m’explique, quitte à paraître un peu technique… Pour commencer, il faut savoir que, quand l’onde se réfléchit sur la peau, une partie va être rétrodiffusée par la surface tandis que l’autre va pénétrer, nous permettant ainsi de « voir » en dessous, en volume et en profondeur dans les tissus biologiques. Nous utilisons notre connaissance de l’orientation de l’onde lumineuse pour neutraliser la réponse de la surface et mieux, voir ce qu’il y a au-dessous en diffusion volumique à l’intérieur. Voilà pour l’un des premiers verrous technologiques que nous sommes parvenus à lever.

– Comment ?

Tout a commencé dans le cadre d’une thèse dirigée à l’ONERA par mon associé, Xavier Orlik, en collaboration avec un laboratoire CNRS de Toulouse (IPBS). La solution a été depuis développée et brevetée il y a deux ans, par lui et les laboratoires partenaires avec lesquels il a travaillé. Nous avons été depuis rejoint par Aurélien Plyer, un autre collègue de l’ONERA.

– Dans le précédent entretien que vous m’avez accordé [pour y accéder, cliquer ici], vous m’aviez présenté vos travaux au croisement des imageries radar et satellitaire, appliquées à l’observation de la surface terrestre. On devine votre apport dans le développement de cette solution qui touche aussi à de l’imagerie, mais nous ne sommes plus dans le même champ d’application…

(Sourire) Pour les besoins de ces recherches, j’étudiais déjà le specke dynamique mais, il est vrai, à une échelle qui n’a guère à voir avec celle-ci puisqu’il s’agissait de l’observation terrestre. Soit une différence d’échelle de l’ordre du million avec les phénomènes observés sous la peau… Mais, justement, depuis mes débuts à l’ONERA, que j’ai intégrée après ma thèse en 2005, je travaille sur les différences d’échelles, en comparant les phénomènes observés par satellite radar à ceux observés en optique pour le biomédical, dans le domaine de la polarimétrie. C’est d’ailleurs ainsi que j’ai rencontré Xavier : je menais ma thèse en polarimétrie radar lorsqu’il était en Postdoc à l’ONERA de Palaiseau, dans le domaine de l’optique. C’est dire, au passage, si notre start-up est le fruit d’une collaboration ancienne, qui ne fait que se poursuivre, sous des modalités nouvelles. Nos trajectoires ont beau avoir évolué indépendamment l’une de l’autre, nous continuions à travailler sur de la polarimétrie, en ayant ainsi l’occasion de renouer contact de manière sporadique, au cours de jurys de thèses ou d’autres opportunités de ce genre. Xavier m’avait notamment proposé de rapporter le sujet de thèse de son doctorant, qui a travaillé sur l’appareil et son système d’imagerie, développé depuis dans le cadre de la start-up, ITAE, donc. Il en était ainsi jusqu’à ce qu’il me propose de rejoindre ce projet.

– Qu’est-ce qui vous a prédisposée à investir le champ du médical ?

En réalité, mon intérêt pour le médical remonte lui aussi à loin. Au cours de mes études d’ingénieur, déjà, j’effectuais mes stages en milieu hospitalier, en imagerie médicale. J’ai bien connu le Service Hospitalier Frédéric Joliot (SHFJ), à Orsay, qui a depuis intégré NeuroSpin. Mon intention première était d’ailleurs de m’orienter vers l’imagerie médicale. J’avais pour cela envisagé une thèse dans ce domaine avant d’y renoncer – à l’époque, je me cherchais encore probablement. J’ai finalement bifurqué vers un autre domaine de l’imagerie (radar, donc) non sans entretenir un certain regret d’avoir renoncé au domaine médical. Je me souviens cependant des paroles du directeur du SHFJ, Denis Le Bihan, alors que je lui avais fait part de mon choix de m’orienter vers l’imagerie radar : il me voyait bien revenir dans dix-quinze ans avec une solution innovante dans le domaine de l’imagerie médicale. Il ne croyait donc pas si bien dire…

– Et ce, dans le cadre d’une démarche d’entrepreneuriat. Qu’est-ce qui vous y a prédisposée ?

Rien du tout ! (rire). D’ailleurs, c’est plutôt à reculons que je me suis engagée dans cette démarche. Ce n’est pas forcément dans mon tempérament que de prendre des risques à la manière d’un entrepreneur – ceux du chercheur ne sont pas de même nature. Ce qui m’a finalement convaincue, ce sont les arguments de mon associé, Xavier, quant à la viabilité de notre solution, qui a pu être développée en collaboration étroite avec l’Oncopole de Toulouse et l’IPBS. C’est lui qui a validé les premières mesures et nous a apporté une aide précieuse pour la phase de test. Et puis, depuis le début, nous bénéficions du soutien de l’ONERA au travers de son dispositif de valorisation, Impulsion, qui a vocation à accompagner ses ingénieurs dans la valorisation de leurs travaux de recherche dans le cadre d’un projet entrepreneurial. Xavier a ainsi obtenu une mise à disposition, qui lui permet de consacrer la moitié de son temps au développement de la start-up.

– Et vous-même, jusqu’à quel point vous impliquez-vous ?

Pour ma part, je suis encore salariée à temps plein à l’ONERA au titre d’ingénieure de recherche. Rappelons que nous sommes encore en phase d’amorçage. Les risques sont donc encore mesurés. D’autant qu’en parallèle de cet engagement, Xavier et moi avons été lauréats d’un financement de contrat du Plan Cancer, financé par l’Institut national du cancer, qui nous permet aujourd’hui de maturer encore la technologie dans un cadre contractuel avec l’ONERA. Quant à savoir si, à terme, je me consacrerai pleinement à notre start-up, c’est encore trop tôt pour le dire. C’est une perspective que Xavier et moi gardons cependant en tête, dans l’éventualité où l’activité décollerait pour atteindre un niveau d’activité qui exigerait de s’y consacrer pleinement. Il est clair que si, comme nous l’espérons, le succès est au rdv, cela obligerait à prendre de nouvelles décisions !

– Pour l’heure, en quoi consiste votre rôle dans le développement de votre start-up, en dehors de vos compétences en matière d’imagerie ?

Je participe à la R&D de façon à faire évoluer notre appareil, en mettant à profit mes compétences en traitement du signal et en modélisation des phénomènes physiques. Voilà pour l’aspect le plus scientifique de mon apport. Je prends également part à la prospection de centres hospitaliers susceptibles d’être intéressés à tester notre solution. Mes deux collègues étant basés à Toulouse, il me revient de prospecter la région parisienne. Notre objectif, pour l’année 2020, est de mettre en place un système de prêts tournants dans des hôpitaux, de l’ordre de deux mois, le temps pour eux de tester notre appareil, y compris pour d’autres pathologies que les cancers cutanés. Car si notre technique été conçue a priori pour leurs diagnostics – un « marché » déjà suffisamment porteur – nous restons attentifs à toutes les autres applications qui pourraient être adressées par notre technologie, notamment pour le diagnostic du diabète ou encore du psoriasis – des pathologies, qui se traduisent aussi par des microvascularisations particulières. Ce qui supposera de se rapprocher d’autres laboratoires et équipes médicales.
Actuellement, deux appareils sont en cours de tests dans des hôpitaux parisiens : Lariboisière et Henri Mondor. Un troisième hôpital, à Bordeaux, vient d’être livré. Deux autres appareils sont toujours en test à Toulouse, à l’Oncopole et à l’IPBS.

– J’ai bien entendu que vous vous projetiez à l’échelle des agglomérations toulousaine et parisienne, quel regard posez-vous néanmoins sur l’écosystème Paris-Saclay ? Revêt-il une importance particulière pour vous ?

Naturellement, nous espérons bien pouvoir travailler avec les hôpitaux qui y sont présents, à commencer par celui d’Orsay, que je connais bien pour y avoir fait deux stages. Et nous ne manquerons pas de suivre de près le projet du futur hôpital, qui doit y être construit [dans le quartier de Corbeville].
Et puis, cet écosystème revêt une importance particulière : c’est en son sein, sur le site ONERA de Palaiseau, que tout a commencé. Très tôt, en mai 2018, un contact a été noué par Xavier avec la SATT Paris-Saclay par le truchement du dispositif Impulsion. Grâce à quoi une pré-étude de marché a pu être réalisée par la SATT elle-même, qui a contacté plusieurs spécialistes médicaux du domaine, potentiellement intéressées. Elle nous a également mis en relation avec un expert en certification. Lequel, travaillant à Lariboisière en microvascularisation, a souhaité tester directement notre appareil. Pour nous, Paris-Saclay a d’autant plus de sens que plusieurs laboratoires poursuivent des recherches dans des domaines similaires ou connexes au nôtre.

EliseKoniguer2020Paysage– Avec le recul, comment vivez-vous cette aventure entrepreneuriale ?

Aventure est bien le mot ! Une aventure avant tout humaine, et c’est précisément en cela qu’elle est passionnante. Je doute que je m’y serais embarquée avec d’autres personnes que mes deux collègues. Le trio que nous formons fonctionne à merveille : ainsi que je l’ai dit, je connais Xavier [au centre sur la photo] depuis très longtemps et le courant est très bien passé avec le second collègue, Aurélien Plyer, qui a commencé sur le site de Palaiseau avant d’être détaché sur celui de Toulouse où il a fait connaissance avec Xavier. Tous les trois sommes de l’ONERA et partageons donc une culture commune. De par nos compétences et nos personnalités, nous sommes complémentaires. Nous avons pris le temps de nous assurer que nous nous accordions sur des valeurs communes et sur ce que nous attendions de notre projet. Et c’est bien le cas : il s’agit non pas tant de devenir riche, que de servir une cause, celle du progrès médical.

– Comment vivez-vous le fait de travailler à distance sur ce projet entrepreneurial ? Confirmez-vous ce que mettent bien en évidence les travaux de l’Ecole dite de la Proximité, promue notamment par André Torre (ex-directeur de la Maisons des Sciences de l’Homme de Paris-Saclay), qui montrent les formes multiples de proximité, entre la proximité physique et celle qu’on peut éprouver même à distance, du fait d’appartenir à une même organisation ou de partager la même culture, etc. ?

De fait, comme je le disais, Xavier, Aurélien et moi sommes rattachés à l’ONERA et partageons une même culture d’organisation. J’ai commencé par collaborer avec chacun d’entre eux au même endroit (le site de Palaiseau) avant qu’ils ne se retrouvent successivement à Toulouse. Nous nous connaissons désormais suffisamment pour pouvoir travailler à distance. Autrement, je doute que nous nous serions embarqués dans une aventure entrepreneuriale. Avec Xavier, nous co-encadrons une thèse d’un étudiant qui a passé un an à Toulouse et qui poursuit désormais à Palaiseau. Nous échangeons donc régulièrement par téléphone. Comme indiqué, nous participons à un contrat ONERA, ce qui justifie d’autres temps d’échanges et de réunions. Nous coordonnons nos déplacements. Tantôt c’est moi qui vais à Toulouse, tantôt, c’est lui qui vient à Palaiseau. Pour des raisons écologiques, nous privilégions le train sur l’avion. Nous mettons à profit la durée du trajet (cinq heures…), pour travailler, et nous passons une nuit sur place. Ce peut paraître lourd en termes de temps, mais notre projet nous porte !

Pour en savoir plus : www.itae.fr

A voir aussi : une vidéo disponible sur YouTube avec des images donnant à voir les flux sanguins en temps réel, à partir de la lumière (pour y accéder, cliquer ici).

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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