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Agriculture & Alimentation

Des terres à habiter poétiquement

Créé le 24/09/2025

Modifié le 24/09/2025

Entretien avec Marc Brémond, directeur du Jardin de Limon

Suite de notre série sur les quinze ans de la ZNPAF, désormais « Terres protégées du Plateau de Saclay », avec Marc Brémond, responsable du Jardin de Limon, membre du Réseau Cocagne. Tout en témoignant des opportunités que cette zone de protection offre, il en appelle à jeter plus de passerelles avec l’écosystème de Paris-Saclay.

- Pouvez-vous, pour commencer, présenter le Jardin de Limon, où nous réalisons cet entretien ?

Marc Brémond : Le Jardin de Limon est un chantier d’insertion de production légumière biologique, géré par l’association Paris-Cocagne : il accueille des personnes en situation d’exclusion sociale et professionnelle en leur proposant un emploi dans le domaine du maraîchage. Le fruit de leur travail est commercialisé en vente directe ou sous forme de paniers distribués à de nos adhérents via différents sites répartis à 20 km à la ronde. Précisons que le « jardin » a une superficie de 6,5 dont 7 000 m2 sous serre.

- Précisons aussi que ce Jardin jouxte le siège du Réseau Cocagne…

M.B.: En effet, le Jardin de Limon est un des Jardins de Cocagne répartis à travers la France – on en compte plus d’une centaine à ce jour, fédérés dans un réseau national qui en accompagne les salariés dans leur montée en compétence à travers des formations, chaque jardin restant cependant autonome dans son fonctionnement.

- À titre plus personnel, qu’est-ce qui vous a prédisposé à rejoindre cette aventure ?

M.B.: Avant de rejoindre le Jardin de Limon, en 2016, pour en prendre la direction, j’ai travaillé dans le marketing au sein de grands groupes. Diplômé d’une école de commerce, je n’avais pas de compétences particulières dans le maraîchage. J’avais cependant un fort intérêt pour l’agriculture bio en circuit court. J’ai donc suivi un parcours de reconversion dans le milieu agricole, qui m’a conduit à faire des stages dans différentes fermes et structures, dont ce Jardin de Limon.
La dimension collective de ce dernier m’a plu, de même que la diversité des profils qu’on peut y croiser, entre les salariés en insertion, les permanents, les bénévoles sans oublier les nombreux partenaires. De là mon choix de candidater au poste de directeur.

- Aviez-vous des attaches avec le territoire ?

M.B.: Non, pas particulièrement. Je l’ai découvert à travers le Jardin de Limon. Je trouve que c’est un territoire proprement magnifique, qui invite à habiter la terre poétiquement…

- Habiter poétiquement ? Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par cette formule ?

M.B.: Le fait d’y cultiver une relation attentive à la nature, aux gens ; une relation qui ne soit plus systématiquement utilitariste, mais plus encline à l’attention, à l’écoute, et pourquoi ne pas le dire, à la gratitude…

- Il se trouve que je reviens d’un colloque autour d’un sociologue et philosophe allemand, Hartmut Rosa, auteur notamment de…

M.B.: La Résonance, une sociologie de la relation au monde ! Quand je parle d’habiter poétiquement, c’est en référence à ce qu’il nous dit de cette relation résonante au monde ! Je suis très intéressé par les écrits de ce penseur.

- Si j’avais su qu’un entretien sur la ZNPAF nous conduirait à l’évoquer !

M.B.: Incroyable, en effet ! Ce territoire, pour y revenir, est à cet égard magnifique. Il est aussi incroyable par ce défi qu’il entend relever de maintenir des activités agricoles et maraîchères malgré l’urbanisation en cours…

- Justement, le Jardin de Limon s’inscrit dans la ZNPAF, créée justement il y a quinze ans pour protéger des activités agricoles contre les effets de cette urbanisation liée notamment à l’Opération d’Intérêt National de Paris-Saclay. Un panneau ne manque pas de le rappeler à l’entrée de votre site. Dans quelle mesure cette zone a-t-elle aidée au déploiement du Jardin de Limon ?

M.B.: Le Jardin fait effectivement partie de la ZPNAF. Pour autant, à la différence des agriculteurs et autres maraîchers, nous n’avons pas été partie prenante de la création de celle-ci : le Jardin de Limon a vu le jour quelques années plus tard, en 2012. Les effets sur le développement de notre activité n’en sont pas moins positifs. Il convient cependant de rester vigilant. Rien n’est jamais acquis. Une loi adaptée peut être abrogée. Les aménagements en cours ont rendu compliqué le travaux de nos amis agriculteurs. Quoique le Jardin de Limon a été moins directement impacté, le sort de ces derniers ne manque pas de me préoccuper. Permettez-moi donc de nuancer l’apport de la ZPNAF : si elle a effectivement permis de protéger des terres agricoles, elle n’a pas prémuni les agriculteurs des nuisances liées aux chantiers en cours.

- Précisons qu’au-delà de la protection, la ZPNAF s’est déclinée aussi en programmes d’action. Ne contribuent-ils pas à garantir la pérennité des activités agricoles et maraîchères en incitant les parties prenantes à y investir dans de nouveaux équipements et infrastructures ?

M.B.: Sans être directement impliqué dans ce programme, j’en connais les difficultés de mise en œuvre. Si celles-ci sont compréhensibles, compte tenu de leur ambition, il ne nous faut pas moins, je le répète, rester vigilants. Il importe que le programme en cours reste fidèle à l’esprit de la ZPNAF et à sa propre ambition de protéger les terres du plateau.

- Que vous inspire le nouveau nom, « Terres protégées du Plateau de Saclay » ?

M.B.: De prime à bord, ce nouveau nom résonne – pour faire encore référence à Hartmut Rosa – plus positivement que l’acronyme. Il a l’avantage de la simplicité. Veillons cependant à ne pas envisager ces terres comme coupées d’un environnement dont il s’agirait de les protéger. Ou pour le dire autrement : d’en faire une réserve d’Indiens. Dans cette nécessaire cohabitation entre les producteurs agricoles et maraîchers, et les citadins, il importe au contraire de jeter des passerelles entre la ZPNAF et l’environnement alentour. Comme les agriculteurs et les maraîchers, nous sommes, au Jardin de Limon, intéressés d’avoir des échanges avec les entreprises, les établissements d’enseignement supérieur et de recherche qui se sont installés sur le plateau de Saclay.

- Je ne résiste pas à l’envie d’évoquer les start-up qui au-delà de l’usage de termes empruntés à l’univers agricole (« jeune pousse », « incubateur », « pépinière »…) trouveraient, pour certaines d’entre elles - celles qui relèvent de l’AgriTech, notamment –, des partenaires de choix dans les exploitations agricoles ou maraîchères du plateau, ne serait-ce que pour tester des solutions innovantes.

M.B.: Je ne saurais mieux dire. Plutôt donc que chercher à « protéger» les agriculteurs et les maraîchers, que ces acteurs apprennent à les apprivoiser. Et vice versa.

PS : Marc Brémond précise que cette notion d’habitation poétique figure dans le poème « En bleu adorable » du poète allemand Höderlin.

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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