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Des rencontres lycéennes & femmes scientifiques en mode speed dating

Le 28 février 2025

Entretien avec Sylvie Lebrun, enseignante-chercheuse, rattachée au prestigieux Laboratoire Charles Fabry, IOGS.

Le 6 février dernier, le prestigieux Institut d’Optique Graduate School avait mis les petits plats dans les grands pour accueillir… des lycéennes. Objectif : les convaincre que les femmes peuvent elles aussi faire non seulement des études scientifiques mais encore une carrière dans la recherche. Enseignante-chercheuse, rattachée au Laboratoire Charles Fabry, Sylvie Lebrun nous en dit plus entre deux séances de speed dating entre lycéennes et femmes scientifiques.

- Que se passe-t-il donc ici ? Le hall de l’IOGS est investi non par des chercheurs, des doctorants mais de jeunes filles ?

Sylvie Lebrun : [Rire]. Elles sont venues participer à la 5e édition des Rencontres des lycéennes & femmes scientifiques. Des femmes scientifiques de tous horizons : des élèves-ingénieures, des chercheuses et des enseignantes-chercheuses de l’Institut d’Optique, des startuppeuses, des cadres d’entreprises. Pour ma part, je suis enseignante-chercheuse dans cette école, rattachée au Laboratoire Charles Fabry, et par ailleurs référente pour l’égalité de genre auprès des étudiant.es de l’école, soit quelques 450 personnes.

- Quel est votre constat de la situation des jeunes femmes au regard de leur insertion dans le monde de la recherche ?

Sylvie Lebrun : Les chiffres parlent d’eux-mêmes : au Laboratoire Charles Fabry, par exemple, les femmes ne représentent que 28% des enseignants-chercheurs et enseignantes-chercheuses ; 8% des chercheurs et chercheuses CNRS. De manière générale, on manque de jeunes femmes dans les écoles d’ingénieurs et dans les sciences dites dures, comme la physique, les mathématiques ou, plus encore, en informatique et en électronique. Elles sont peu présentes dans les laboratoires de recherche. Bref, il n’y a pas photo…

- Photonique, serait-on tenté de dire…

Sylvie Lebrun : [Rire]. Vous ne croyez pas si bien dire. Le monde du photon est lui aussi peu féminisé. Toujours au Laboratoire Charles Fabry, qui je pense est assez représentatif d’un laboratoire d’optique et de photonique, les jeunes chercheuses (doctorantes et post-doctorantes) ne représentent qu’environ 20% des effectifs. Dans certains domaines, celui des fibres optiques par exemple, la proportion est encore plus faible.

- Comment interprétez-vous cette faible représentation féminine dans les laboratoires de recherche ?

Sylvie Lebrun : Par l’étroitesse du vivier de recrutement, celui des doctorantes en l’occurrence. Et quand des candidates se laissent convaincre de faire une thèse, certaines finissent par y renoncer en constatant qu’il n’y a pratiquement que des hommes dans leur laboratoire. Forcément, cela ne renvoie pas une image positive de la recherche. Et ce que je dis là n’est pas juste une hypothèse : c’est une réalité qui nous a été rapportée par des étudiantes. Même problématique pour les écoles d’ingénieur.e.s : le vivier féminin des classes préparatoires est lui-même en diminution, la proportion de lycéennes qui optent pour un bac scientifique étant également en diminution. La réforme du bac a interrompu durant plusieurs années la progression des filles dans les filières scientifiques. C’est d’autant plus regrettable que leur niveau n’est pas en cause : elles ont de bonnes notes, même souvent meilleures que celles des garçons. C’est après que les choses se compliquent : les filles s’autocensurent ; la société ne les encouragent pas que ce soit au niveau de l’école, des familles ou de l’entourage. On continue à penser que les filières scientifiques et le métier d’ingénieur, c’est pour les garçons. Prenez n’importe quel livre de science, ce sont des hommes que l’on donne le plus souvent à voir. Certes, il y a Marie Curie, mais c’est l’exception qui confirme la règle. Heureusement, cela change, mais on est encore loin du compte.

- Le diagnostic que vous faites s’applique-t-il à l’écosystème Paris-Saclay dans lequel est inscrit l’IOGS ? Dans quelle mesure vous paraît-il plus favorable à l’insertion des filles dans les filières scientifiques et les métiers d’ingénieur ?

Sylvie Lebrun : J’aimerais vous répondre qu’il l’est en effet, mais mon sentiment est qu’il y a encore des progrès à faire. Pour m’en tenir à SupOptique [IOGS], le bilan est plus que mitigé : quand j’y suis arrivée, il y a de cela plus d’une vingtaine d’années, 30% des élèves étaient des filles. Une proportion exceptionnelle à l’époque. Mais depuis, elle n’a pas bougé. Pour le laboratoire, les chiffres sont petits si bien que quelques recrutements suffisent à obtenir une forte progression en pourcentage, mais en valeur absolue, les effectifs féminins restent très faibles.
Cela étant dit, au vu des générations qui arrivent, j’ai bon espoir. Je constate qu’ici et là, ça bouge. Il y a une prise de conscience de ce qu’on perd à empêcher les filles de faire des études scientifiques.
Un autre cheval de bataille est cependant à mener : l’amélioration du sentiment de sécurité chez les jeunes filles. Nous nous y sommes employé.e.s à travers un plan de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Manifestement les résultats sont là : les filles disent se sentir plus en sécurité à l’IOGS. Or, c’est une condition indispensable à la réussite de leurs études et, donc, à leur intégration dans le monde de la recherche ou des ingénieurs.

- Percevez-vous déjà un effet de vos rencontres lycéennes & femmes scientifiques ? Avez-vous bon espoir que dans quelques années, de jeunes filles intègrent l’Institut d’Optique après avoir été convaincues de le faire par l’une de vos journées ?

Sylvie Lebrun : Voici une anecdote en guise de réponse. C’était à un salon étudiant auquel je participais en tant que responsable du recrutement universitaire de SupOtique.
Il y a avait une foule incroyable. Tout un coup, une fille s’en est extraite et est venue me dire : « Je vous connais ! J’ai participé aux Rencontres que vous aviez organisées l’année dernière et cela m’a donné envie de faire des sciences. » Un micro-événement qui a suffi à éclairer ma journée. Si cette édition avait permis de susciter la vocation ne serait-ce que de cette lycéenne, elle valait la peine d’être organisée.

- Je ne résiste pas à l’envie de clore cet entretien par un constat paradoxal : la personne qui m’a informé de ces rencontres n’est pas une femme ni une fille, mais un jeune homme en la personne de Dorian Mendes, élève-ingénieur de la FIE… Cela ne dit-il pas quelque chose de l’état d’esprit des nouvelles générations ?

Sylvie Lebrun : Si, et c’est une bonne nouvelle. Malgré la polarisation entre les sexes à laquelle on assiste dans le monde actuel, de plus en plus de garçons sont conscients de la nécessité d’encourager les filles à faire des études scientifiques. Mais sans doute faudrait-il d’autres Dorian Mendes : il est toujours le premier à répondre présent quand il s’agit de donner du temps à la communauté comme d’assurer des visites de laboratoires lors de ces journées. Et j’en profite pour le remercier chaleureusement et l’encourager à poursuivre dans cette voie !

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