Rencontre avec Ninon Gréau, chargée de mission VivAgriLab à Terre et Cité
Le 12 décembre dernier, Terre et Cité avait donné rendez-vous à l’INRAE de Versailles pour sa Journée annuelle de rencontre chercheurs/acteurs locaux autour du VivAgriLab – un living lab dédié à la mise en œuvre de projets contribuant à la transition (agro)écologique sur le territoire de Paris-Saclay. Témoignage de Ninon Gréau, chargée de mission ayant contribué à l’organisation de cette journée.
- Pouvez-vous, pour commencer, rappeler l’enjeu de cette journée autour du VivAgriLab et, par là même, la vocation de celui-ci ?
Ninon Gréau : VivAgriLab est un living lab, né de la volonté exprimée dès 2013 de rapprocher les organismes de recherche et d’enseignement supérieur de l’écosystème Paris-Saclay – AgroParisTech, INRAE, l’Université Paris-Saclay – des autres acteurs du territoire – collectivités territoriales, associations, chambre d’agriculture, sans oublier l’EPA Paris-Saclay –, de façon à faire émerger des projets de recherche appliquée en faveur de la transition (agro)écologique. Son animation est assurée par Terre et Cité.
- Comment procédez-vous ?
N.G. : Les projets de recherche sont co-construits par les académiques et les acteurs locaux, en partant du retour de terrain de ces derniers, des problématiques qu’ils rencontrent au quotidien. Les chercheurs peuvent aussi formuler des propositions. Notre rôle consiste à les mettre en relation, à faciliter la recherche de données, de façon à faire émerger des projets puis à les accompagner jusqu’à la restitution des résultats.
Chaque année, nous organisons une journée de rencontre à travers des ateliers de co-construction, pendant lesquels une personne propose une thématique, qui est mise en débat. Cette personne pouvant être, ainsi que je l’ai dit, aussi bien un académique ayant une idée de projet et qui souhaite s’assurer de sa pertinence en le soumettant à l’avis des acteurs du territoire – collectivités, producteurs,… – qu’un de ces acteurs confronté à une problématique précise comme par exemple, cette année [2023], la gestion des biodéchets, dans la perspective de la loi Agec [anti-gaspillage pour une économie circulaire] de 2020, qui généralise le tri sélectif des biodéchets aux ménages et qui devait entrer en vigueur le 1er janvier 2024.
- Disposez-vous d’un lieu dédié ?
N.G. : Le VivAgriLab est un laboratoire virtuel au sens où il n’est pas implanté dans un lieu en particulier. Aussi, nous avons à cœur de permettre aux chercheurs et aux acteurs de se rencontrer « en présentiel » mais aussi aux premiers, les chercheurs, de croiser leurs approches disciplinaires : nos journées réunissent aussi bien des agronomes, des écologues, des pédologues ou des hydrologues que des chercheurs en sciences humaines et sociales – économistes, sociologues,…. Bien sûr, des unités de recherche œuvrent déjà depuis longtemps au croisement disciplinaire et thématique. Disons que le VivAgriLab offre un autre espace pour le faire, en confrontant ses méthodes, mais aussi en partageant ses connaissances du territoire.
- Dans quel périmètre territorial intervenez-vous précisément ?
N.G. : Le VivAgriLab a vocation à intervenir dans le sud-ouest francilien, depuis le Plateau de Saclay jusqu’à la Plaine de Versailles et le Triangle vert. Ce qui implique les trois communautés d’agglomération couvrant le Plateau : Versailles Grand Parc, Saint-Quentin-en-Yvelines et Paris-Saclay.
- Le 12 décembre dernier, vous organisiez donc une journée. Un mot sur le choix du lieu, l’INRAE de Versailles ?
N.G. : Chaque année, nous changeons de lieu, dans cette idée de permettre aux chercheurs comme aux acteurs, de (re)découvrir le territoire dans sa diversité.
Cette année, ce fut donc l’INRAE Versailles, un des hauts lieux de la recherche agronomique en Île-de-France. L’année précédente, nous avions été au siège de la Communauté Paris-Saclay. Cette fois-ci, c’était donc les académiques qui étaient allés à la rencontre des acteurs locaux.
Tout au long de l’année, nous profitons également des réunions de nos comités techniques ou de pilotage pour faire des visites de terrain, dans des fermes, des exploitations agricoles. L’occasion pour les agriculteurs de témoigner de leurs problématiques, mais aussi de leurs projets. Cette année, nous sommes allés visiter les parcelles expérimentales de l’Unité Mixte de Recherche [UMR] Génétique Quantitative – Le Moulon pour, cette fois, sensibiliser à la recherche agronomique, ses méthodes et ses enjeux.
- Je ne résiste pas à l’envie de préciser que saisissez l’occasion de ces réunions pour mettre en valeur les productions alimentaires locales, ce qui ajoute une touche de convivialité. De nouveau, les participants à votre journée ont pu se restaurer en se délectant du pain, de la charcuterie, de légumes, de gâteaux, etc., produits par des producteurs locaux. Preuve au passage que ces derniers se mobilisent déjà pour élargir l’offre de produits locaux dans une logique de circuit court…
N.G. : On touche là à l’ADN de Terre et Cité ! La mise en valeur de produits issus du Plateau de Saclay, nous y veillons, sans même plus nous poser la question. D’autant que nous connaissons bien celles et ceux qui les produisent. Ils participent au VivAgriLab sinon aux autres projets de Terre et Cité. L’intérêt de VivAgriLab est de nous ouvrir à d’autres producteurs, ceux de la Plaine de Versailles et du Triangle Vert, en l’occurrence, non sans mettre en relation tous ces producteurs qui ne se connaissent pas forcément.
- La journée ayant été riche, est-il trop top pour tirer un premier bilan, de premiers enseignements ?
N.G. : Ce que je peux en dire pour commencer, c’est qu’elle a été inédite en ce sens que pour première fois nous avions organisé une séquence de restitution de travaux de recherche – le programme de la matinée. Cela répondait à la volonté de nos partenaires de donner à voir ce qui est produit concrètement dans le cadre du VivAgriLab. Nous avons donc consacré la matinée à la restitution d’un projet en particulier, Flux Local, le premier projet subventionné dans le cadre du VivAgriLab et qui se clôturait cette année. Il avait pour ambition d’améliorer la durabilité du territoire, en favorisant la production et la consommation de produits locaux, et l’utilisation des déchets organiques produits localement. Résolument interdisciplinaire, il a mobilisé par moins de sept chercheurs et donné lieu à des stages encadrés par des chercheurs et des acteurs locaux. Pour en présenter les résultats, nous avons souhaité combiner des modalités classiques de restitution de la recherche académique – la séance plénière – et d’autres inspirées des pratiques des acteurs locaux, en l’occurrence un forum des projets, plus adapté à des échanges informels et conviviaux, chaque participant ayant la possibilité de butiner d’une table à l’autre. Manifestement ce double dispositif a plu : les retours ont été très positifs.
- Un mot sur les ateliers de co-construction proposés au cours de l’après-midi ?
N.G. : Ils étaient destinés à présenter l’ensemble des thématiques traitées dans le cadre de nos projets. Nous les avons répartis entre trois sessions de près d’une heure chacune, les participants ayant le choix entre trois ou quatre ateliers de co-construction, qui ont couvert des thématiques aussi variées que la valorisation de la filière des légumineuses, le contexte européen des living labs, la gestion et la qualité de l’eau, la valorisation des urines humaines, la visualisation et l’adaptation au changement climatique, etc.
- Qu’en est-il du nombre de participants ?
N. G. : C’est un autre motif de satisfaction puisqu’une centaine de personnes ont été présentes tout au long de la journée ; les échanges ont été par ailleurs nourris. Preuve que VivAgriLab est bien devenu cet espace où chercheurs et acteurs du territoire ont plaisir à se rencontrer, à échanger sur leurs projets. Il est encore trop tôt pour savoir ce qui émergera de cette dynamique. Une chose est sûre : l’objectif – faire que chercheurs et acteurs continuent à faire l’effort d’aller à la rencontre de l’autre, qu’ils se parlent – a été atteint.
- Personnellement, j’ai été frappé par le caractère intergénérationnel du public : on comptait notamment plusieurs doctorants ou jeunes chercheurs au milieu de chercheurs plus âgés…
N. G. : Il importe de montrer que la recherche se fait aussi avec de jeunes chercheurs et même des étudiants stagiaires. Certes, ils sont encadrés par des enseignants chercheurs, mais ils ne s’en impliquent pas moins fortement dans la réalisation des projets. Leur présence contraste avec le profil des bénévoles, des personnes disposant de suffisamment de temps pour s’investir dans une association et, donc, majoritairement retraitées. Ce dont, bien sûr, il faut aussi se réjouir.
- Vous-même êtes intervenue pour présenter les fruits d’un projet sur la valorisation des urines humaines. Je ne résiste pas à l’envie de rappeler que je vous avais précédemment vue intervenir dans un tout autre contexte : un colloque organisé en juillet 2023 au Centre culturel international de Cerisy ; « l’Université et créativité. L’idéal et l’impératif »*. Vous y présentiez le VivAgriLab et ce colloque croisait déjà des intervenants de différents profils disciplinaires, professionnels, générationnels…
N. G. : Même si le cadre était différent [le centre de Cerisy est abrité dans un château du Cotentin, au milieu d’un parc], la finalité est la même : permettre à des personnes qui ne se seraient pas encore parlé de le faire et avec l’envie, si possible, de se revoir. Et c’est précisément ce qui s’est passé : c’est à l’occasion de ce colloque que j’ai fait la connaissance avec Pierre Guibentif, le directeur de la Maison des Sciences de l’Homme Paris-Saclay. On peut d’ailleurs sourire à l’idée qu’il ait fallu nous rendre au fin fond du Cotentin pour nous connaître. Toujours est-il que Pierre nous a fait la gentillesse d’assister à notre matinée. Si différence il y a entre notre journée et le colloque, elle tient, au-delà de la durée – le colloque de Cerisy a duré six jours – au fait que, pour ce qui nous concerne, l’ambition est de déboucher aussi sur des projets concrets et utiles au territoire.
- Une question plus personnelle pour conclure : qu’est-ce qui, dans votre cursus de formation et professionnel, vous a prédisposée à vous investir dans VivAgriLab ?
N.G. : J’ai suivi une licence en sciences expérimentales à l’Université Paris Sciences & Lettres [PSL]. J’ai donc passé beaucoup d’heures à faire de la chimie, de la biologie, des mathématiques, de l’informatique et d’autres sciences portées sur l’expérimentation. Or, moi, j’avais moins envie de faire de la recherche que de comprendre comment s’élaborent les politiques publiques dans le domaine de la science. Ce qui m’a conduite à faire un double diplôme de master en Sciences et Politiques de l’Environnement porté conjointement par Sorbonne Université et Sciences Po Paris et qui m’a permis de m’ouvrir à d’autres champs disciplinaires. Au plan professionnel, j’aspirais à travailler dans le monde associatif. C’est ainsi que j’ai rejoint Terre et Cité, au titre d’une toute première expérience professionnelle. Je ne pouvais pas mieux espérer puisqu’elle me permet d’allier la valorisation de mes connaissances en sciences expérimentales à mon aspiration à être au cœur des processus d’élaboration de la science en lien avec les problématiques d’un territoire. Je suis d’autant moins déçue que Terre et Cité foisonne de projets de sorte que, en plus de mon activité d’animatrice du réseau des acteurs locaux du VivAgriLab, je peux coordonner un projet comme celui sur la valorisation des urines, un projet d’autant plus intéressant qu’il est concret et utile.
* Pour en savoir plus sur ce colloque, cliquer ici.
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