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Science & Culture

Des nouvelles du Design Spot.

Le 6 mars 2019

Au cours du mois de mars 2019, The Design Spot, le centre design de l’Université Paris-Saclay, organise, à compter de cette année, le Prix Design & Science de l’Université Paris-Saclay (14 mars) et inaugure un cycle de Dialogue Design & Science (21 mars). Une double actualité sur laquelle son directeur (au premier plan sur la photo) revient en détail. Comme l’occasion nous a été donné de le croiser lors de la journée organisée le 7 février par l’Institut pour la Ville en Mouvement (IVM)-VEDECOM sur le thème des « Hyperlieux mobiles », nous en avons profité pour recueillir ses impressions.

– Un mot d’abord sur ces « hyperlieux mobiles » qui ont été l’objet de toute la journée organisée par l’IVM-VEDECOM* ? Un exemple de ces activités ambulantes connectées a-t-il retenu votre attention en particulier ?

Plus qu’un exemple, c’est en réalité le foisonnement des cas, qui m’a frappé. A travers eux, c’est aussi la diversité des cultures qu’on perçoit. Sous toutes les latitudes (en Europe, en Amérique du Nord, en Chine, en Afrique…), chacun y va de ses solutions, en fonction du contexte et des usages. Preuve s’il en était besoin que l’innovation n’est pas l’apanage des pays dits développés, qu’elle n’exige pas non plus une puissante force de frappe technologique, qu’elle peut se manifester partout et se faire avec les moyens du bord.

– Et le concept même d’ « hyperlieux mobiles », dont la journée avait pour objet d’évaluer la pertinence, que vous a-t-il inspiré ?

Avant de formuler mon point de vue là-dessus, je tiens à dire combien j’ai apprécié d’entendre les intervenants et participants s’exprimer sur le sujet : des spécialistes des mobilités, venant de différents horizons professionnels, disciplinaires (il y avait des universitaires, des architectes, des urbanistes, des opérateurs de transport, etc.) et géographiques (il y avait des Européens, des Sud-Américains, des Chinois…), ce qui rendait les échanges d’autant plus riches et stimulants. Ensuite, je constate que la quasi totalité des réflexions sur ces hyperlieux mobiles (du moins ce que j’ai pu en entendre, car, malheureusement, je n’ai pu assister à toute la journée), mettait l’accent sur les nouvelles opportunités offertes par les technologies en donnant parfois le sentiment que celles-ci permettaient de tout faire. Il n’y aurait plus de freins et tout pourrait être imaginé en matière de lieux à la fois multi-échelles et mobiles. En réalité, rien n’est moins sûr. Comme le suggère bien le fameux « hype cycle »* – cette courbe en cinq phases décrivant l’évolution de l’intérêt d’une nouvelle technologie, évoquée par un intervenant – on a tendance, au lancement d’une nouvelle technologie, à beaucoup fantasmer sur sa capacité à résoudre des problèmes multiples et variés, jusqu’à ce que, confronté à la réalité, on en vienne à une vision plus pragmatique, qui fait gagner la technologie en maturité. Manifestement, nous n’en sommes qu’au début de la réflexion sur ces hyperlieux mobiles, même si de toute évidence, et comme cela a été dit, ils puisent dans des pratiques anciennes. Au vu, donc, des fantasmes sinon des idées qu’ils inspirent, il me semble utile de se poser la question : à quels besoins peuvent-ils répondre vraiment ? Bien plus : quelles envies peuvent-ils satisfaire ? Les deux questions étant différentes : on peut avoir des envies qui ne correspondent pas vraiment à des besoins et, inversement, avoir des besoins qui ne sont pas spécialement des envies. J’ajouterai que les « envies » étant très souvent prépondérantes par rapport aux besoins, il est primordial de savoir les comprendre et les détecter avant même de vouloir diffuser une nouvelle technologie ou un nouveau service. Voilà en tout cas la réflexion que je livre au débat, à travers cet entretien, à défaut, encore une fois, d’avoir pu assister à toute la journée.

– Nul doute qu’elle sera prise en considération, la journée, rappelons-le, ayant d’abord eu vocation à restituer le travail d’inventaire mené à travers le monde, non sans avoir cependant déjà ouvert la discussion sur les enjeux que soulèvent ces hyperlieux mobiles (à commencer par les risques de discrimination, d’aucuns faisant notamment remarquer que ces hyperlieux mobiles gagneraient à investir davantage les lieux reculés pour y faciliter l’accès à des services et des biens). Cela étant dit, quel peut être l’apport du design à la conception d’hyperlieux mobiles satisfaisant tout à la fois des besoins et des envies ?

Il est précisément de contribuer à répondre à cette double question que je formulais, avec, bien sûr, le concours d’autres « experts » – je pense en particulier aux sociologues. Les designers peuvent en effet être utiles à la définition des besoins et plus encore des envies. C’est dire si leur apport est essentiel, car il ne servirait à rien de mobiliser des technologies les plus sophistiquées pour, au final, ne pas répondre à des besoins ni à des envies. J’irai même plus loin en parlant de désirs. Cela étant dit, j’ai bien noté que le design n’était pas absent des préoccupations des intervenants. Je pense en particulier à Pierre Musseau [conseiller urbanisme, ville intelligente et durable, à la mairie de Paris], qui a évoqué le fait d’avoir fait travailler des élèves en écoles de design. Une initiative que j’applaudis des deux mains. Rien de tel, en effet, quand est dans la toute première phase ascensionnelle du hype cycle que j’évoquais, que de travailler avec des étudiants : cela fait gagner en créativité et en capacité prospective. Mais une fois passée la phase descendante du hype cycle (soit le temps des désillusions, consécutif à la confrontation avec la réalité) et qu’on entre dans les phases de maturation et d’acceptabilité sociale des propositions technologiques, il importe de solliciter des professionnels, quitte à devoir se montrer moins enchanteur et plus pragmatique dans les propositions.

PrixDesignetScience– Gageons qu’il y aura d’autres occasions de poursuivre cet échange sur cette thématique prometteuse. En attendant, venons-en à votre double actualité, en commençant par le Prix Design & Science*, remis le 14 mars prochain, au Palais de la Découverte, à Paris. Si vous deviez le pitcher…

C’est un prix qui a été créé en 2011** et dont l’organisation et le financement sont depuis cette année assurés par The Design Spot, au nom de l’Université Paris-Saclay, avec le concours de Strate École de Design (qui en était chargée jusqu’alors). Cette année, ce prix aura mobilisé jusqu’à dix groupes composés chacun de trois-quatre élèves-ingénieurs et étudiants designers, chaque groupe devant se réunir chaque jeudi, cinq mois durant, pour mener un projet aussi innovant et créatif que possible, autour d’un thème donné, en l’occurrence, cette année, l’intelligence artificielle. Le 14 mars, les résultats de leur collaboration seront donc présentés devant un jury présidé par Laurence Devillers [ professeure en informatique appliquée aux sciences sociales en poste à l’Université Paris-Sorbonne 4 ]. Très impliquée dans les enjeux de l’IA, elle est l’auteure de nombreuses conférences et publications sur ce thème [ citons Des robots et des hommes : mythes, fantasmes et réalité, aux éditions Plon, 2017 ].
Au total, pas moins de trois prix sont décernés cette année : outre le Prix Design & Science de l’Université Paris-Saclay, le Prix Laval Virtual et le Prix de la Région Ile-de-France, dont la remise vient juste de m’être confirmée. Précisons encore que le Prix Laval Virtual vaudra à l’équipe lauréate une exposition de son travail durant toute la semaine du salon Laval Virtual, sachant que les neuf autres projets seront également exposés pendant le premier week-end. A l’initiative de la Région Ile-de-France, l’ensemble des projets seront également exposés le 28 mars, au Lycée Paul Valéry (Paris XIIe), un établissement qui souhaite centrer l’intelligence artificielle autour d’un certain nombre de ses actions.

PrixDesignetScienceLancement_Prix-Design-Science_Universite-Paris-Saclay-4– Si on comprend l’intérêt d’organiser la remise des prix au Palais de la Découverte et l’opportunité que représente l’exposition des travaux dans ce lycée parisien, on ne peut s’empêcher de se demander pourquoi n’avoir rien envisagé à Paris-Saclay…

(Rire). Je conçois que la question se pose. Reconnaissons cependant que le Palais de la Découverte est un lieu extraordinaire – et symbolique de la rencontre entre sciences et société – et qu’on ne peut que se réjouir de pouvoir y organiser la cérémonie de remise des prix. Merci d’ailleurs à notre partenaire Universcience qui nous permet de disposer de l’auditorium du Palais. Lequel, je le souligne aussi, a le mérite d’être facilement accessible, un critère que nous nous devions de prendre en considération dans l’intérêt du public et des étudiants qui concourent aux prix. Quant au Lycée Paul Valéry, c’est une opportunité qui s’est présentée à nous. Compte tenu du thème de cette année, il aurait été dommage de ne pas saisir cette proposition, qui a, elle, le mérite de nous permettre de toucher un public lycéen, celui-là même que nous retrouverons peut-être demain – c’est en tout cas ce que nous lui souhaitons – dans les bancs des écoles d’ingénieurs et de design de Paris-Saclay. Bref, je compte saisir l’opportunité de l’exposition dans ce lycée pour prêcher la bonne parole jusque dans Paris intra-muros ! [ en illustration : la présentation de l’édition 2019 du Prix Design & Science ].

– Etant entendu que rien n’empêche de saisir des opportunités d’exposition des travaux des lauréats dans l’écosystème même de Paris-Saclay…

Bien sûr. Et naturellement, The Design Spot pourrait être un lieu tout recommandé !

– Revenons-en au Prix Design & Science : dans quelle mesure s’inscrit-il dans l’esprit de la démarche du Design Spot ?

La création de ce prix a beau être antérieure à celle du Design Spot, il ne s’en inscrit pas moins dans les trois missions de celui-ci, à savoir : la sensibilisation au design ; le dialogue entre design et recherche ; enfin, l’accompagnement des acteurs de l’innovation (start-up et laboratoires de recherche scientifique).

PrixDesignetScienceAtelier– Comment cela se passe-t-il entre les participants ?

Très bien. Manifestement, les élèves-ingénieurs et les élèves designers apprécient de pouvoir travailler ensemble, dans la durée, sur des projets créatifs, et d’apprendre à se connaître au travers de leurs disciplines respectives. Tandis que les élèves-ingénieurs peuvent découvrir à quel point les élèves designers ont un regard différent du leur, et néanmoins pertinent, sur la manière de résoudre un problème, ceux-ci peuvent apprécier leurs connaissances en sciences de l’ingénieur, sans lesquelles ils ne pourraient progresser. Le fait de travailler en mode projet facilite les choses : chacun a conscience d’avoir besoin des autres.
Cela se passe si bien que, parfois, les participants ne s’arrêtent pas en si bon chemin. Dès lors qu’ils estiment que leur projet en vaut le coup, certains franchissent un pas supplémentaire en se lançant dans la création d’une start-up. L’occasion pour nous de faire valoir la 3e mission du Design Spot, que j’évoquais. D’ailleurs, je précise que le Prix Design & Science comprend aussi un accompagnement de l’équipe lauréate par InProcess, une agence d’innovation stratégique, spécialisée dans le coaching de créateurs de start-up.

– Venons-en à la 2e actualité du Design Spot : la programmation d’un cycle de Dialogue Design & Science*. Comment l’idée vous est-elle venue ?

Tout le mérite en revient à mon équipe. Pourquoi n’organiserait-on pas un cycle de rencontres entre un/e designer et un/e scientifique ?, me suis-je entendu demander. L’idée m’a paru si évidente et si pertinente, que j’ai regretté de ne pas en avoir été à l’initiative (rires) ! Toujours est-il que le principe est de faire se rencontrer un/e designer et un/e scientifique, reconnu-e-s dans leur domaine, non pour des exposés ex-cathedra, mais un vrai dialogue, à bâtons rompus, sur un thème donné, fût-ce avec l’aide d’un modérateur. Je tiens beaucoup à ce principe du dialogue, car cela permet de sortir des présentations abstraites, d’incarner le propos et d’aller au fond des choses, à la différence des tables-rondes ou les intervenants n’ont souvent pas le temps d’étayer leurs propos et d’échanger entre eux. La première séance de Dialogue Design & Science se déroulera le 21 mars, sur le thème de… l’IA. Au vu de son actualité, il s’est imposé de lui-même. Mais nous souhaitons l’aborder au regard de la créativité : « L’IA peut-elle devenir créative ? » Telle sera la question posée à nos deux premiers invités. Une question qui offre l’intérêt d’engager la réflexion sur ce que nous pensons être caractéristiques de notre humanité. Je ne doute pas qu’il puisse en résulter un dialogue fructueux au vu du profil des deux premières personnes à avoir accepté à se prêter au jeu : la designer et scénographe Constance Guisset et le mathématicien Marc Schoenauer.

– Cherchez-vous à mettre en exergue des designers et scientifiques de Paris-Saclay ?

Pas nécessairement. En l’occurrence, si Marc est Paris-Saclaysien (il est directeur de recherche à Inria), Constance est installée à Paris, sans lien direct avec l’écosystème. Mais nous espérons bien que le cycle devienne un événement couru, y compris en dehors de Paris-Saclay. Nous nous y efforcerons en tout cas en remettant si nécessaire l’ouvrage sur le métier, avec toujours cette ambition d’entrer dans l’aspect fondamental des choses. A l’intention de ceux qui n’auraient pas la possibilité d’y assister, je précise que les dialogues donneront lieu à des captations vidéo qu’ils auront tout loisir de télécharger.

* Pour en savoir plus sur…

… la journée organisée par l’IVM-VEDECOM sur les « hyperlieux mobiles », cliquer ici.

… le hype cycle, cliquer ici.

… le Prix Design & Science 2019, cliquer ici.

… le cycle de Dialogue Design & Science, cliquer ici.

** Pour mémoire, ce prix, porté à l’origine par l’universitaire américain David Edwards  s’appelait « Prix Art-Science » durant ses premières éditions. Il a été rebaptisé « Design & Science » depuis qu’il a été porté par Strate Ecole de Design. L’Université Paris-Saclay, qui en est partenaire depuis 2016, en assume désormais,  à compter de cette édition 2019, l’organisation intégrale (y compris le financement) par le truchement du Design Spot.

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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