Suite de notre série d’entretiens sur la place décrochée par l’Université Paris-Saclay dans l’édition 2020 du classement de Shanghai, avec celui de Jean-Louis Martin, le directeur de l’Institut d’Optique Graduate School (IOGS). L’occasion pour nous de revenir aussi sur le chemin parcouru par cette école depuis le précédent entretien qu’il nous avait accordé – c’était en juillet 2013.
– Vous nous aviez accordé un premier entretien en juillet 2013. En préambule, pouvez-vous commencer par nous dire comment va l’IOGS ?
L’IOGS va bien et même très bien, dans un contexte pourtant difficile. Qu’est-ce qui permet de le dire ? Comment se mesure la santé d’un établissement d’enseignement supérieur et de recherche, me demanderez-vous ? Eh bien, pour ce qui concerne l’enseignement, cela se mesure à la réussite et au taux d’employabilité élevé de nos étudiants, à la capacité de nos enseignants à les amener au meilleur niveau. Parmi les changements notables, je mentionnerai l’arrivée, il y a maintenant un an et demi, d’un nouveau directeur général adjoint à l’enseignement, en la personne de Riad Haidar. Ancien de cette école, il connaît donc bien la maison. Il conserve parallèlement sa fonction de directeur scientifique à l’ONERA, situé à quelques pas de là. Cette fonction et sa vision large des enjeux en photonique lui permettent de stimuler une évolution de l’enseignement, profitable à l’ensemble de l’établissement, y compris dans ses liens avec la composante recherche.
Du point de vue de celle-ci, la santé d’un établissement se mesure à la qualité des recrutements, aux résultats des travaux menés par nos chercheurs, au nombre de publications dans des revues réputées,… Dans un cas (l’enseignement) comme dans l’autre (la recherche), les indicateurs sont au beau fixe – attractivité et qualité du recrutement des élèves ingénieurs, taux de succès aux appels d’offre ANR (Agence nationale de la recherche), ERC (European Research Council), succès à l’IUF (Institut Universitaire de France). C’est aussi ce que disent ceux en charge de nous évaluer; comme par exemple l’HCERES (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur).
Mais la santé d’un établissement se mesure aussi à sa capacité à se projeter dans l’avenir. Cette capacité, nous l’avons démontrée avec l’ouverture dès 2012 d’une antenne à Bordeaux – ouverture qui répondait à notre volonté d’ouvrir le champ de l’enseignement et de la recherche à l’interface de la physique et du numérique (systèmes photoniques numériques hybrides, réalité augmentée…). Ce déploiement ne pouvait se faire qu’en augmentant les promotions, en recrutant des enseignants-chercheurs, en créant un nouveau laboratoire de recherche et, donc, en disposant de locaux supplémentaires. Pourquoi Bordeaux me direz-vous ? Parce que nous y avons trouvé plusieurs opportunités : la présence d’équipes de recherche en physique et en mathématiques appliquées, d’un centre de recherches Inria, de l’Ecole Nationale Supérieure de Cognitique, d’industriels, du laser MégaJoule… Sans oublier une volonté politique du président de Région, Alain Rousset, et des présidents de l’Université de Bordeaux – à l’époque Alain Boudou et, aujourd’hui, Manuel Tunon de Lara.
Aujourd’hui, on peut parler de succès, tant au regard de l’enseignement que de la recherche. Le laboratoire – LP2N (pour Laboratoire Photonique, Numérique et Nanosciences) – dirigé par Philippe Bouyer depuis sa création comme une UMR avec le CNRS et l’Université de Bordeaux, jouit d’ores et déjà d’une grande visibilité au plan national et international.
– Qu’en est-il du 503 – le Centre Entrepreneurial de l’IOGS ?
Il va toujours aussi bien en termes de dynamique entrepreneuriale [il abrite la filière FIE]. L’intuition que nous avions en 2006, de l’intérêt de faire cohabiter des étudiants entrepreneurs avec des startuppers expérimentés s’est révélée payante. Une réussite qui doit beaucoup à l’investissement de François Balembois dans le développement de cette filière. En quelques années, nous avons dépassé le stade de la preuve du concept. Le 503 est même devenue une marque, déclinée sur notre site de Bordeaux, qui compte un « espace 503 ».
Aujourd’hui, le sujet de préoccupation concerne la réhabilitation du bâtiment 503, ouvert désormais à l’ensemble du périmètre de l’Université Paris-Saclay. Nous devons à nos étudiants et aux start-up un bâtiment à la mesure des ambitions du campus en matière d’innovation. Le permis de construire a été accordé. Le département de l’Essonne et la Région Ile-de-France se sont déjà engagés financièrement. Nous n’attendons plus que l’engagement de l’Etat qui doit intervenir via le CPER et le Plan de Relance.
– Puissiez vous être entendu, car c’est à mon sens un des lieux les plus emblématiques de l’esprit Paris-Saclay !
Je rappelle que ce bâtiment était avec l’antenne de Saint-Etienne (ouverte en 2003), le seul dont nous disposions au moment de ma prise de fonction, en 2006. Depuis, l’OIGS est déployé sur trois sites en France (Palaiseay/Orsay, Saint-Etienne et Bordeaux, donc). Malgré la charge de travail et le nécessaire changement culturel qui en a résulté, nous avons réussi ce pari grâce à l’investissement de tout le personnel enseignants-chercheurs, enseignants et fonctions supports. L’Etat nous a accompagnés en nous donnant la capacité de recruter de nouveaux enseignants-chercheurs, PRAG, chercheurs, ingénieurs et personnels administratifs. Un soutien qui devrait, comme nous l’espérons, être renforcé dans le cadre du prochain contrat quinquennal. Aujourd’hui, le choix d’une localisation dans un seul et même site n’est plus un sujet. L’essentiel de nos efforts se concentre sur la création de synergies dans un écosystème plus large.
– Comment faites-vous cependant pour créer une culture commune entre les étudiants de vos différents sites ?
Tous les élèves suivent ici, sur le site de Palaiseau, leur première année. Au final, ils auront le même diplôme, la même employabilité au sortir de l’école, qu’ils aient poursuivi leurs études à Bordeaux, à Saint-Etienne ou à Palaiseau. Les synergies sont déjà à l’œuvre avec, par exemple, dans le cadre de la FIE, des projets de création d’entreprises réalisés en intersite. De ce point de vue, l’IOGS ne se différencie guère d’autres grandes écoles d’ingénieurs disposant de plusieurs antennes ou sites. C’est le cas de CentraleSupélec pour ne prendre que cet exemple.
– Comment votre école multi-sites a-t-elle vécu la crise sanitaire ?
Nous y étions finalement plus préparés qu’on ne pouvait le penser grâce à notre expérience des visioconférences. Nos enseignants-chercheurs et enseignants appuyés par la DSI (Direction des Services Informatique) ont par ailleurs fait un travail remarquable qui a permis de poursuivre les enseignements et les activités de recherche, malgré les contraintes supplémentaires imposées par cette crise sanitaire. Il n’est pas jusqu’aux TP qui ont pu être organisés à distance. Nous avons juste craint un moment que les réseaux ne résistent pas à l’ampleur des flux de données ! Finalement, ils auront tenu le choc. Bref, le confinement aura aussi permis d’éprouver l’expérience acquise dans les interactions à distance, entre les trois sites, tout en les améliorant.
– Venons-en à l’Université Paris-Saclay dont l’IOGS est partie prenante depuis le début. Dans quelle mesure la bonne santé de votre établissement doit-elle à son inscription dans la dynamique de celle-ci ?
Cette inscription y contribue assurément. Nous n’avions aucun doute à ce sujet. L’IOGS a non seulement participé au projet dès le début, mais encore avec enthousiasme. Je rappelle que quand il avait été présenté à notre conseil d’administration, le vote en sa faveur a été unanime. Il n’y eut ni suspicion ni inquiétude. Et depuis lors, la position n’a jamais changé.
– Comment expliquez-vous cette forte adhésion ?
Un établissement comme le nôtre avait une inclination naturelle à participer à un tel projet, du fait des liens étroits qu’il a entretenus avec le monde académique, depuis sa création, il y a plus de cent ans. Cette alliance est d’ailleurs une particularité de notre école comparée à la plupart des écoles d’ingénieurs. C’est pourquoi, d’ailleurs, à mon arrivée à la direction de l’Institut d’Optique, j’ai acté le rajout de la mention Graduate School et ce, en référence explicite au système d’enseignement supérieur anglo-saxon, qui intrique fortement formation aux métiers de l’ingénieur et recherche académique. Notez que cette référence se retrouve désormais dans l’organisation de l’Université Paris-Saclay autour de Graduate Schools.
– Que vous inspire la création officielle de cette dernière ?
Cette création est le fruit d’un long processus, jalonné de bien d’autres projets (comme la création du PRES puis d’une COMUE), lesquels relevaient d’une logique institutionnelle, certes nécessaire, mais qui n’était pas à même de susciter l’adhésion des acteurs extérieurs au monde académique.
Aujourd’hui, le résultat est là : l’Université Paris-Saclay a réussi cette hybridation entre de grandes écoles (outre l’IOGS, CentraleSupélec, l’ENS Paris-Saclay, AgroParisTech…), des universités (Paris-Sud, Versailles Saint-Quentin et Evry), qu’on attendait tant. Elle est en cela un exemple quasiment unique, en tout cas par son ampleur, dans le paysage d’enseignement supérieur et de recherche français. Certes, cela n’a pas été simple, mais nous y sommes parvenus ! L’Université Paris-Saclay avait il est vrai pour elle d’impliquer une université à dominante scientifique (Paris-Sud) à même de s’associer à des écoles d’ingénieurs.
– Quand avez-vous pris personnellement part au projet ?
Dès 2007. Cette année-là, je participais à une réunion organisée à l’occasion de la venue de Nicolas Sarkozy sur le plateau de Saclay – à l’époque, il était ministre de l’Intérieur et venait visiter le Synchrotron dans l’idée de lancer le projet d’un cluster – relancer devrais-je dire, car ce projet avait été évoqué à plusieurs reprises par le passé, mais sans voir le jour. Si je rappelle cela, c’est pour souligner combien le projet n’aurait pu réussir sans une volonté politique forte. Mais encore fallait-il une continuité dans l’action, par delà les échéances électorales. Et précisément, cette continuité a bien eu lieu dans l’action de l’Etat. Non seulement Nicolas Sarkozy, une fois devenu Président, et Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, avaient impulsé avec énergie le projet, mais, les présidents de la République suivant l’ont également soutenu. Tous sont d’ailleurs venu au moins une fois sur le plateau de Saclay. De même que tous les Premiers ministres. Pas plus tard que ce matin, nous avons eu la visite de l’actuel, Monsieur Castex, qui, dans un aparté a confié avoir été impliqué dans ce dossier il y a 7-8 ans. Une autre illustration de cette continuité de l’action de l’Etat. Certes, nous avons perdu du temps, mais les atermoiements ont davantage été dus aux circonstances qu’à des doutes quant à l’intérêt du projet.
Ce qui ne veut pas dire que des doutes n’ont pas été exprimés sur la pertinence du projet tout au long de ces années. Rien ne garantissait que les choses seraient irréversibles. A la merci d’un changement de politique, d’une alternance ou d’une crise, et malgré les sommes déjà investies (plusieurs milliards d’euros), le projet pouvait être remis en cause. De manière plus ou moins consciente, cette incertitude a pu entretenir la crainte qu’il puisse finalement s’arrêter.
– Qu’en a-t-il été du côté des établissements censés participer au projet ?
Schématiquement, on peut distinguer jusqu’à trois séquences au regard de leur degré d’adhésion au projet. La première fut marquée par l’expression d’une utopie politique. Lors des discussions autour de la constitution du PRES, d’aucuns rêvaient de constituer la « banane du sud de Paris » en désignant par là l’arc constitué par les pôles universitaires devant participer à l’Université Paris-Saclay : Créteil, Evry, Paris-Sud, Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines.
Puis, il y eut le temps de la suspicion, entre les universités et les grandes écoles, sur l’intérêt même de fédérer autant d’établissements d’enseignement supérieur et de recherche. Beaucoup ont pu craindre que la nouvelle université ne soit impossible à gouverner. Heureusement, l’Etat n’a jamais renoncé au principe d’un établissement mêlant universités et grandes écoles. Je peux en témoigner pour avoir participé à de très nombreuses réunions interministérielles. Manifestement, il y eut une prise de conscience à tous les étages de l’Etat et du monde de l’enseignement supérieur et de la recherche, de la nécessité de mener à bien ce rapprochement entre universités et grandes écoles. De fait, il est dans l’intérêt du pays.
Certes, nous nous heurterons probablement encore à d’autres difficultés et d’autres atermoiements, mais rien de susceptible de remettre en cause la dynamique.
– Avec le recul, comment appréhendez-vous la scission entre les deux pôles ?
Sur ce point, ma position n’a guère changé. Le fait que Polytechnique se soit retirée du projet pour constituer un autre pôle, n’a jamais été un sujet pour moi. Je dirai même que cela aura permis de clarifier la situation, sans exclure le maintien de coopérations entre les deux pôles. Accessoirement, cela aura aussi permis de réduire le nombre de réunions… Depuis le début de ce projet, il y a treize ans, j’y ai consacré plus de 5 000 heures !
– Ajoutons que cette scission n’appauvrit pas l’écosystème, puisque l’ensemble des établissements membres de l’Institut Polytechnique de Paris se retrouveront eux-mêmes sur le plateau de Saclay…
C’est vrai, mais l’histoire du plateau de Saclay a aussi montré que la proximité géographique entre des établissements d’enseignement supérieur ne crée pas mécaniquement de synergies… On peut néanmoins parier que l’Université Paris-Saclay et l’Institut Polytechnique de Paris continueront la construction de projets en commun. La compétition dans les mondes de l’enseignement, de la recherche et de l’innovation est internationale, elle n’a pas lieu d’exister entre ces deux institutions saclaysiennes.
– A partir de quand avez-vous été assuré de l’irréversibilité du projet de Paris-Saclay ?
A l’occasion de la création officielle de l’Université Paris-Saclay ! L’incertitude est désormais levée. Et c’est tant mieux, car elle pouvait être un frein dans la tête des gens.
– La multiplication des grues, l’arrivée de plusieurs établissements d’enseignement supérieur (Centrale, ENS Paris-Saclay) et de centres de R&D (Thales, EDF Lab,…) ne vous avaient-elles pas déjà convaincu d’une certaine irréversibilité ?
Evidemment, cela y contribue significativement et c’est la première chose que j’aurais dû dire. Le fait de pouvoir rencontrer nos interlocuteurs à pied ou en vélo change la donne. Mais cela ne suffit pas. Les contrexemples existent de rapprochements sur un même périmètre géographique, n’ayant pas toujours conduit aux synergies attendues. Voyez Polytechnique transférée à quelques encablures du campus de Paris-Sud ou le campus CNRS installé à Gif-sur-Yvette pourtant desservi par la même ligne de RER B que le campus d’Orsay. Bref la proximité géographique n’est pas un gage d’interactions. Les synergies se font au demeurant aussi à distance.
– Vous me faites penser aux travaux de l’économiste André Torre, ancien président de la MSH Paris-Saclay, qui distinguent deux formes de proximité : une proximité géographique et une proximité organisationnelle, à distance en somme…
Une proximité à distance ? Je fais volontiers mienne cette notion. Sachant que bien évidemment nos chercheurs ont besoin de se voir de temps en temps… La proximité à distance ne peut vivre qu’à travers un projet et, donc, la possibilité de se voir en direct. L’homme est un animal social ainsi fait qu’il a besoin d’interagir avec d’autres humains. Certes, l’arrivée de Centrale (ajoutée à sa fusion avec Supélec), de l’ENS Paris-Saclay et, bientôt, d’AgroParisTech constitue un plus. Mais, encore une fois, il ne suffit pas de décréter que des institutions se rapprochent pour qu’elles le fassent effectivement. Encore faut-il qu’il y ait des hommes et des femmes qui en aient aussi la volonté. La chance de l’Université Paris-Saclay, c’est justement qu’il y en eut. Personnellement, je tiens à rendre hommage à plusieurs d’entre eux, à commencer par Guy Couarraze, ancien président de Paris-Sud – tout discret fût-il, il a été d’une grande efficacité. Naturellement, je pense aussi à Dominique Vernay (ancien président de la FCS Campus Paris-Saclay), à Hervé Biausser (ancien directeur de CentraleSupélec), à Sylvie Retailleau, (ancienne présidente de Paris-Sud, aujourd’hui de l’Université Paris-Saclay), à Pierre-Paul Zalio (directeur de l’ENS Paris-Saclay)… Même parmi les parties prenantes de ce qui devait devenir l’Institut Polytechnique de Paris, il s’est trouvé des personnes pour contribuer à la dynamique initiale : je pense, par exemple, à Yves Poilane alors directeur de Telecom ParisTech.
– Vous faites vous-même partie des personnes impliquées depuis le début dans le projet. Cette pérennité n’a-t-elle pas été aussi un gage de réussite ?
Si, très clairement. Il importe que des parties prenantes aient suivi la dynamique depuis le début pour en assurer la cohérence. Mais encore fallait-il installer dans leur esprit comme dans celui de leurs interlocuteurs, l’idée d’une irréversibilité – on y revient.
– Les retards pris dans la construction de la ligne 18 du Grand Paris Express ne vous ont-ils pas fait douter quant à la volonté de l’Etat ?
Je n’ai pas de doute quant au fait qu’elle verra le jour. On peut juste regretter d’avoir perdu autant de temps dans le lancement de sa construction.
– Depuis 2007, plus d’une douzaine d’années se sont écoulées. Cela peut paraître beaucoup, mais à l’échelle d’un tel projet, au final, n’est-ce pas peu, quand bien même n’est-il pas encore achevé ?
Vous faites bien de le rappeler, car une douzaine d’années pour un projet d’une telle envergure, ce n’est pas si long, en effet. L’enjeu est tout de même de constituer un écosystème mêlant enseignement, recherche et innovation. Soit un projet en rupture avec le paradigme qui dominait jusqu’alors, marqué par la différence culturelle entre grandes écoles et universités ou encore entre enseignement et recherche – alors que ces deux activités gagnent à être intriquées. Certes, les organismes de recherche continuent à jouer un rôle majeur dans le développement de la recherche en France. Pour le CNRS ou l’Inserm, ce sont les UMRs qui permettent le développement conjoint d’une recherche académique entre universités et grandes écoles. Mais cela n’a pas gommé la singularité des universités françaises. Singularité dont l’Université Paris-Saclay doit contribuer à nous faire sortir.
– Venons-en à la place décrochée dans l’édition 2020 du classement de Shanghai…
Les classements par thématiques laissaient prévoir un bon résultat dans le classement global (l’université Paris-Saclay est classée première en mathématiques, 9e en physique…). Mais reconnaissons que cette 14e place a été une heureuse surprise.
Certes, selon les pays et les personnes interrogées, les classements sont perçus de façon très contrastée. Dans les pays abritant des universités constamment classées dans le top 20 (Etats-Unis, Grande-Bretagne), ce n’est pas un sujet. Ailleurs, les étudiants, les enseignants et les chercheurs – particulièrement ceux d’Asie – les examinent avec attention. Pour la France, qui n’avait aucune université dans le top 20, ce classement est donc important. Pour l’Université Paris-Saclay, il permet de jouir d’emblée d’une visibilité internationale et de construire une « marque », tout en donnant des motifs de fierté. Il mesure aussi la réalité et la crédibilité du projet d’université dans lequel nous sommes engagés. Désormais, il existe aux yeux des autres, de Shanghai à Harvard ou Berkeley. C’est à mon sens le plus important.
Cependant, le succès de l’Université Paris-Saclay ne sera entier que quand nous aurons collectivement construit une stratégie enseignement-recherche et que nous serons capables d’attirer et de stabiliser les meilleurs talents sans attendre qu’ils viennent à nous. Car ce qui fait la richesse d’une université, ce sont d’abord ses enseignants-chercheurs, ses étudiants et ses personnels.
– Dans le précédent entretien, vous faisiez état de votre expérience en Californie et à Boston. A vous entendre, il s’agit pour l’Université Paris-Saclay de se rapprocher des conditions de recrutement des universités américaines…
Il faut rester prudent quand on se compare à ces dernières tant les moyens financiers dont elles disposent sont considérables. Cependant, nus pourrions cependant nous inspirer de leurs processus de recrutement et de leur capacité à faire rapidement des offres attractives (en termes de salaires et de moyens mis à disposition) pour attirer de jeunes professeurs. Au début de ma carrière, j’ai pu mesurer l’efficacité du système américain, les efforts consentis jusque dans les conditions d’accueil des familles des personnes recrutées. Dans le processus de recrutement, outre les connaissances et compétences pédagogiques du candidat sélectionné, on évalue son aptitude à socialiser avec les autres enseignants-chercheurs. En plus d’une conférence devant ses pairs, une autre devant des élèves, il est convié à des moments de convivialité avec ses futurs collègues. Bref, on prend le temps, de l’ordre d’une semaine, de le recruter.
– En évoquant la prise en compte du cadre de vie et de travail, ne soulignez-vous pas la nécessité de valoriser l’environnement dans lequel s’inscrit le campus de Paris-Saclay ?
Si, absolument. C’est d’ailleurs une autre caractéristique des campus américains que d’avoir su soigner la qualité architecturale de leurs bâtiments et du cadre de vie. De ce point de vue, Paris-Saclay a des atouts avec ses constructions récentes, son patrimoine, ses espaces naturels, agricoles et forestiers. Il reste cependant encore beaucoup à faire pour asseoir le sentiment d’être dans un campus international. Les étudiants sont plus que jamais mobiles et le resteront malgré la pandémie que nous connaissons. Ils vont là où ils pensent pouvoir poursuivre leurs études avec des enseignants de qualité, et dans un cadre où ils pourront se sentir bien.
En illustration : une source laser femtoseconde infrarouge par amplification paramétrique optique. Crédit photo : G Jargot, LCF, Institut d’Optique Graduate School.
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