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Des nouvelles de l’Institut Villebon – Georges Charpak.

Le 28 septembre 2016

Permettre à de jeunes bacheliers aux dossiers scolaires parfois fragiles, de poursuivre des études scientifiques au-delà d’un Bac + 2, telle est la vocation de l’Institut Villebon – Georges Charpak, qui, chaque année, depuis sa création en 2013, accueille des promotions d’un peu plus d’une trentaine d’étudiants dans le cadre d’une licence fondée sur une démarche pédagogique innovante, inspirée de celle conçue par le Prix Nobel de Chimie pour de jeunes publics. Respectivement directrice de l’Institut et directrice de la formation, Bénédicte Humbert et Isabelle Demeure nous en disent plus.

– Si vous deviez « pitcher » l’Institut Villebon – Georges Charpak ?

Bénédicte Humbert : C’est un établissement de formation post-bac qui propose un hébergement et un accompagnement personnalisé à des jeunes qui n’ont pas forcément pu exprimer tout leur potentiel au lycée, pour de multiples raisons (autocensure, accident de la vie, handicap,…). Nous confortons leurs bases scientifiques pour les amener à un niveau de licence généraliste, de façon à ce qu’ils puissent poursuivre jusqu’en master ou en école d’ingénieurs, avec toutes les chances de réussite de leur côté. Précisons que plus de 70% de nos étudiants sont boursiers. C’est l’objectif que nous nous fixons et atteignons chaque année, au nom de notre vocation, qui est aussi sociale.

– Sur quelle pédagogie vous fondez-vous ?

Isabelle Demeure : Nous partons du principe que si les étudiants que nous recrutons n’ont pas aussi bien réussi qu’ils le souhaitaient au cours de leur scolarité, malgré leur potentiel, c’est qu’il fallait peut-être s’y prendre autrement au plan pédagogique. D’où l’importance particulière accordée à cette dimension. De ce point de vue, la référence à Georges Charpak est tout sauf anodine : l’Institut s’inspire directement, en l’adaptant, de la pédagogie qu’il avait imaginée pour les primaires, dans le cadre de l’association « La main à pâte ». Nous nous sommes dit pourquoi ne pas tenter la même approche dans le cadre d’une licence. La formation débute en mettant l’accent sur les expérimentations avant de renforcer progressivement les apprentissages théoriques. Gardons à l’esprit qu’il s’agit de délivrer une licence de façon à permettre aux étudiants, selon leur souhait, soit de passer les concours d’entrée d’écoles d’ingénieur, par la voie de l’admission universitaire, soit d’être admis en master.

– Le tour de force étant de proposer une pédagogie novatrice dans le cadre d’un cursus qui reste académique….

Isabelle Demeure : « Tour de force », dites-vous, je crois que c’est effectivement le mot (rire). Notre licence en Sciences et Technologies a reçu l’accréditation du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Ce qui signifie que c’est une licence de plein droit. Nous devons donc suivre les règles d’examen, respecter les modalités de contrôle des connaissances, etc., tout en étant novateurs. C’est un défi.
Précisons que cette licence est portée par un GIP associant des universités (Paris-Saclay, Paris-Sud et Paris-Descartes), de grandes écoles (ParisTech) et des entreprises portées par la fondation ParisTech. Elle sera la première délivrée par Paris-Saclay, en juin prochain, ce dont nous sommes fières.

– Combien d’étudiants accueillez-vous ?

Bénédicte Humbert : Chaque année, nous en recrutons 35, titulaires d’un bac scientifique ou technologique. Soit une centaine sur l’ensemble de la licence. Nous sommes aujourd’hui limités par notre capacité d’hébergement. Nous ne devrions cependant par augmenter beaucoup le nombre d’étudiants, de façon à garder une taille humaine qui permette aux enseignants d’expérimenter aisément de nouvelles pratiques pédagogiques pour les appliquer ensuite dans d’autres programmes de formation et en faire profiter bien plus d’étudiants.

Isabelle Demeure : Nous avons d’ailleurs été lauréats de l’appel à projets « Initiatives D’Excellence en Formations Innovantes » (IDEFI), lancé par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) dans le cadre du Programme d’Investissements d’Avenir. Pour mémoire, les projets ainsi labellisés doivent « préfigurer » les formations universitaires du futur et promouvoir de nouvelles démarches de formation ainsi que de nouveaux contenus.

– Est-ce cette vocation de laboratoire qui vous a personnellement incité à participer à l’aventure ?

Bénédicte Humbert : Non, pas exactement, car cette vocation ne s’est en réalité imposée que progressivement. Mais nul doute que, Isabelle et moi, comme le reste de l’équipe, y étions prédisposées. Nous étions dans l’état d’esprit de ceux qui créent et innovent avec juste le petit grain de folie qu’il faut ! Ce n’est pas un hasard si certains collègues nous appellent « la startup de l’enseignement supérieur » !

Isabelle Demeure : L’autre jour, alors que nous apprêtions à rédiger le rapport annuel, Bénédicte me confiait : « Te rends-tu compte de l’aventure dans laquelle nous nous sommes embarquées ! ». A quoi je n’ai pas pu m’empêcher de répondre en rappelant la citation de Mark Twain : « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait. » Il y a effectivement un peu de cela dans la création de l’Institut Villebon – Georges Charpak.

– Est-ce à dire qu’il y a eu des hauts et des bas ? Des nécessaires ajustements ?

Isabelle Demeure : Des hauts et des bas ? Je ne dirais pas cela. L’Institut Villebon – Georges Charpak est avant toute chose une aventure enthousiasmante. En revanche, des ajustements, oui, il y en a eu et il y en aura encore. Nous réfléchissons constamment à l’amélioration de la pédagogie. De plus, enseignants comme étudiants sont acteurs du projet au même titre que les autres parties prenantes. Ils nous font donc des retours sur ce qui a marché ou pas. Et, naturellement, nous les accueillons avec attention.

– Les chiffres sont là, plus qu’encourageants…

Isabelle Demeure : En effet, 87% de nos étudiants vont poursuivre leurs études au-delà de la licence alors qu’avant d’intégrer l’Institut Villebon-Georges Charpak, la plupart prévoyaient au mieux, de s’arrêter après un BTS ou un DUT. Même les 13% restants ont un projet qu’’ils vont construire sur le long terme.

– Au-delà de ces chiffres, comment les voyez-vous évoluer ?

Bénédicte Humbert : Spontanément, je pense à ce jeune qui est arrivé en septembre 2013, replié sur lui-même, caché sous sa capuche, et qui a fini par se révéler au fil des mois. Nous pourrions multiplier les exemples. L’épanouissement des étudiants est un autre des objectifs de notre pédagogie et, de ce point de vue, les résultats sont plus qu’encourageants. En plus d’acquérir des connaissances, nos étudiants gagnent en maturité. Sur les trois ans que dure notre formation, nous constatons d’indéniables transformations tant au niveau des connaissances qu’au plan strictement humain. Aussi n’est-ce pas sans un peu de regret que nous les voyons partir. Pourquoi ne pas le dire : ils vont nous manquer !

Isabelle Demeure : Cet épanouissement doit probablement beaucoup à l’accent que nous mettons sur le développement de compétences transversales comme la communication ou le travail en équipe. Les personnes qui reçoivent les étudiants, notamment à l’occasion des stages ou encore des visites d’entreprises nous le disent : ceux-ci se montrent particulièrement ouverts, attentifs et curieux.

– A propos des entreprises, quel en est le degré d’implication ?

Bénédicte Humbert : Les entreprises sont fortement impliquées. Elles participent à la gouvernance de l’Institut (au comité stratégique comme au conseil de perfectionnement de la licence) et sont présentes au moment du recrutement des candidats. Leur expérience est intéressante car notre recrutement cherche à évaluer le degré de curiosité scientifique, d’ouverture d’esprit, la motivation, autant de critères sur lesquels les entreprises ont l’habitude de s’appuyer pour recruter leur propre personnel.
Les entreprises parrainent également un ou plusieurs étudiants, pendant toute la durée de sa/leur formation ; elles participent à la définition du projet professionnel à travers des ateliers CV et lettres de motivation, la simulation d’entretien de recrutement. Elles accueillent des étudiants en stage si l’opportunité se présente, et suggèrent des sujets pour les conférences hebdomadaires proposées aux étudiants.

– Venons-en à une autre particularité de votre formation, qui, tout en étant tournée vers les sciences dites exactes, est aussi ouverte sur les sciences sociales et humaines…

Isabelle Demeure : En effet. Nous avons pris le parti d’élargir les enseignements à ces sciences. Cela nous a paru indispensable dès lors que notre vocation est de former des étudiants ouverts sur le monde, à même d’en interpréter les enjeux contemporains, à même aussi de prendre la mesure de l’impact des sciences sur la société. Par exemple, durant une semaine, nos étudiants sont amenés à réfléchir sur les grands enjeux sociétaux en lien avec les enjeux et défis scientifiques.

– Qu’en est-il de l’entrepreneuriat ? Votre formation prépare-t-elle vos étudiants à cette perspective ?

Bénédicte Humbert : Oui. Outre une session de découverte de l’entreprise, à travers un apprentissage ludique et néanmoins sérieux, il y a la possibilité de mener un projet de création d’entreprise en fin de cursus.

– En quoi l’écosystème de Paris-Saclay a-t-il été favorable à la réussite de l’Institut ?

Isabelle Demeure : Favorable, le contexte l’est indéniablement. Il y a ici une dynamique qui porte et dans laquelle nous nous sentons enrôlés. L’innovation pédagogique est un des axes privilégiés par l’Université Paris-Saclay. Plusieurs groupes de travail autour de cet enjeu ont été mis en place et nous y sommes naturellement conviés et actifs.

– De fait, comme Paris-Saclay, vous fédérez des universités et des grandes écoles…

Isabelle Demeure : Oui, et c’est dans doute une autre originalité de notre établissement. La confrontation de ces deux cultures se révèle très profitable à tous, propice à susciter des méthodes pédagogiques nouvelles. De ce point de vue, le fait d’être géographiquement sur le campus de Paris-Saclay joue comme un effet levier.

– Que faisiez-vous avant de vous engager dans cette « aventure » ?

Bénédicte Humbert : J’étais en charge des questions de diversité au sein de ParisTech. Même si j’ai pris part à l’aventure dès l’origine, le mérite du projet revient à Gabriel de Nomazy, ancien directeur général de l’École polytechnique. Au sein du groupe « diversité » des écoles de ParisTech, nous nous étions interrogés sur la manière de faire évoluer le profil des étudiants ingénieurs de ces écoles, la plupart venant de classes préparatoires ou de licences moyennant un très bon dossier scolaire.

Isabelle Demeure : Pour ma part, j’étais professeur à Télécom ParisTech. J’ai été déléguée à l’enseignement de mon département, qui comptait environ 80 enseignants-chercheurs. J’ai eu la chance de croiser le chemin de Bénédicte, qui m’a parlé de ce projet. Un collègue y était déjà impliqué. J’ai aussitôt candidaté.

– Aujourd’hui, quels effectifs mobilise l’Institut ?

Bénédicte Humbert : L’équipe permanente compte une dizaine de personnes (sept en équivalent temps plein). L’équipe pédagogique mobilise, elle, pas moins de 80 enseignants relevant des établissements partenaires, qui interviennent sur des périodes plus ou moins longues.

– Quels sont leurs retours sur le fait d’enseigner ici ?

Bénédicte Humbert : Les enseignants qui ont goûté à l’aventure ne demandent qu’à continuer à y participer ! C’est ce qu’ils nous disent en substance lors des évaluations annuelles. De fait, le turn over est très faible. Il y a ici un vrai esprit d’équipe. De quelque discipline qu’ils soient, les enseignants échangent entre eux.

Isabelle Demeure : Nous sommes actuellement dans la salle pédagogique. C’est là que se rencontrent nos enseignants pour co-construire les programmes. Ils le font dans une vraie logique de pluridisciplinarité. Une pratique pas si courante que cela. D’ordinaire, les enseignants ont tendance à travailler entre collègues d’une même discipline. Les nôtres, c’est un point important à souligner, sont demandeurs d’échanges pluridisciplinaires.

– Un mot sur les locaux. De l’extérieur, le bâtiment 490 est un peu austère, à l’image de la plupart des bâtiments du campus de Paris-Sud. En revanche, l’intérieur est particulièrement soigné. Est-ce que cela participe de votre démarche pédagogique ?

Bénédicte Humbert : Oui. Nous y tenions. La pédagogie active nécessite beaucoup de travail en petits groupes. Nous disposons donc d’espaces aussi modulables que possible, avec du mobilier sur roulettes et des cloisons mobiles. Nos salles peuvent se reconfigurer en permanence en fonction des besoins. L’inconvénient c’est qu’elles paraissent toujours en désordre, mais au moins y règne-t-il une vraie effervescence !

– Une configuration qui pourrait intéresser des établissements d’enseignement supérieur…

Isabelle Demeure : Oui, même si l’environnement a été pensé en fonction des besoins de notre pédagogie, nous partageons notre retour d’expérience avec nos collègues des établissements partenaires de Paris-Saclay. A commencer par ceux appelés à travailler dans les bâtiments en cours de construction ou à venir. Si on veut imaginer d’autres façons d’enseigner, il faut penser des aménagements différents très en amont.

– Comment avez-vous appréhendé la question de l’accessibilité du site par les étudiants ? Est-il facile pour eux de s’y rendre ?

Bénédicte Humbert : Les étudiants qui rejoignent l’Institut sont hébergés dans une résidence étudiante à proximité du campus universitaire d’Orsay. A terme, ils seront installés dans une résidence en cours de construction à Villebon/Yvette. Ils pourront donc se rendre facilement jusqu’au bâtiment 490, en transport en commun, à vélo ou même à pied pour les plus courageux.

– Quelle est la suite pour l’Institut Villebon Georges Charpak ? Envisagez-vous de le décliner dans d’autres campus ?

Bénédicte Humbert : C’est ce qui avait été imaginé au début. Aujourd’hui, avec le recul, nous ne considérons plus cela comme une fin en soi. Comme nous le disions précédemment, chemin faisant, l’Institut devient plutôt un laboratoire d’innovation pédagogique dans lequel chaque enseignant peut venir prototyper et tester ses idées avant de les intégrer à plus grande échelle. Les innovations doivent s’adapter aux étudiants locaux. Plus que les résultats, c’est la démarche qui peut facilement se dupliquer d’un campus à l’autre.

Isabelle Demeure : A priori, notre maquette de licence serait transposable telle quelle ailleurs. Mais, comme vous l’avez compris, l’Institut, c’est aussi de nouvelles pratiques d’accompagnement, qui concourent à l’épanouissement des étudiants et à leur insertion professionnelle, qui nous tiennent à cœur et que nous souhaiterions aussi voir essaimer.

– Si cela se trouve, votre pédagogie essaime déjà par le truchement des enseignants qui participent à votre projet ?

Isabelle Demeure : Nous l’espérons bien ! Cela participerait d’un échange de bons procédés : nos enseignants nous font profiter de leurs propres innovations, en les testant au sein de l’Institut. Il est naturel qu’ils transposent des innovations conçues ici, dans les autres établissements d’enseignement supérieur où ils enseignent.

– Un mot sur Georges Charpak (décédé en 2010). L’aviez-vous rencontré ? Ou avez-vous eu loisir de découvrir plus amplement cette personnalité en vous investissant dans ce projet ?

Bénédicte Humbert : Malheureusement, je n’ai pas eu la chance de le rencontrer. En revanche, Gabriel de Nomazy, que nous évoquions tout à l’heure, l’a bien connu : il faisait partie de son conseil d’administration. Il nous a dit combien il avait été impressionné par sa vision de la pédagogie en étant très vite convaincu que des leçons pouvaient en être tirées pour l’enseignement supérieur. La famille a ensuite donné son accord pour que son nom soit associé à l’Institut.

Isabelle Demeure : Nous avons eu la visite de membres de l’association La main à la pâte. L’un des fondateurs, l’astrophysicien Pierre Léna, interviendra prochainement à l’Institut pour une conférence. Bref, Georges Charpak est bien présent.

Bénédicte Humbert : D’ailleurs, quand nous sommes devant une cause désespérée, nous nous surprenons parfois à lancer un « Georges, fait quelque chose !»

L’interview se termine dans un éclat de rire général !

Un grand merci à Marie Ros-Guézet d’avoir attiré notre attention sur l’actualité de l’Institut Villebon – Georges Charpak.

Pour en savoir plus sur l’Institut Villebon – Georges Charpak, cliquer ici.

Pour accéder au premier article que nous lui avions consacré, à l’occasion de son ouverture, cliquer ici.

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Journaliste

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