Directeur de CentraleSupélec depuis 2018, Romain Soubeyran nous donne des nouvelles de cette grande école qui en est à sa quatrième rentrée sur son campus du quartier de Moulon. Non sans revenir sur la place obtenue par l’Université Paris-Saclay dans l’édition 2020 du classement de Shanghai et le contexte lié à la pandémie. Précisons à ce propos que l’entretien a été réalisé quelques jours avant l’annonce du second confinement…
– Pour commencer, pouvez-vous nous donner des nouvelles de CentraleSupélec ?
Malgré le contexte que vous savez, CentraleSupélec se porte bien. Au moment où nous réalisons cet entretien, nous n’avons enregistré qu’une cinquantaine de cas de Covid-19 cumulés parmi nos élèves depuis la rentrée fin août, ce qui est relativement peu à l’échelle des promotions (950 élèves en 1ère année) et comparé à d’autres établissements d’enseignement supérieur. Du côté du personnel, nous avons enregistré à ce jour trois cas. Nous mettons tout en œuvre pour que la situation ne s’aggrave pas. Cela étant dit, peut-être devrons-nous dans les jours qui viennent fermer le campus parce qu’un cluster sera apparu. Comme tout le monde, nous ne savons pas de quoi l’avenir immédiat sera fait et gérons donc la situation au jour le jour.
Nous avons fait tout ce qui était en notre possible pour favoriser les cours en présentiel, lesquels ont notre préférence, prioritairement pour les élèves de première année. Nous considérons en effet que le distanciel est un mode dégradé de fonctionnement pour les enseignements et a fortiori pour les TP (même si nous avons commencé à tester avec succès quelques TP de physique à distance). Force est d’admettre que rien ne remplace le présentiel. Mais, encore une fois, peut-être que dans les jours qui viennent, l’Agence régionale de santé (ARS) et la Préfecture interdiront l’accès des élèves au campus. Dans cette éventualité, nous nous en remettrons, donc, au distanciel total.
– Néanmoins, face au risque que ce type de pandémie ne se reproduise, ne cherchez-vous pas à capitaliser sur l’expérience somme toute acquise en matière de fonctionnement en distanciel ?
Il est encore trop tôt pour tirer tous les enseignements et, donc, envisager une institutionnalisation de ce fonctionnement. Une chose est d’ores et déjà acquise : tous les cours assurés en présentiel le sont aussi en distanciel et ce, pour trois catégories de personnes en particulier : les élèves internationaux qui n’ont pas pu se rendre sur leur campus d’affectation (de Gif-sur-Yvette, de Rennes ou de Metz) ; les élèves dans l’attente des résultats d’un dépistage ; enfin, les élèves ayant une fragilité particulière et qui ne peuvent donc se permettre d’être exposés à la Covid-19.
Cela étant dit, nous nous efforçons de maintenir sur le campus une vie aussi normale que possible. Les élèves ont eux-mêmes maintenu la quinzaine d’intégration, destinée aux « première année » arrivés les 29 et 30 août, sur deux jours donc, pour mieux gérer les flux.
Traditionnellement, trois grandes soirées à Gif ponctuent cette quinzaine, outre le WEI (le week-end d’intégration), programmé au milieu et qui, cette année, se tenait près de Perpignan. Pour chacune de ces soirées, l’association en charge de leur organisation a dû attendre pratiquement jusqu’à la dernière minute l’autorisation des préfectures concernées (celles de l’Essonne et des Pyrénées-Orientales). A chaque fois, elle a été accordée au vu d’un dossier très complet spécifiant les modalités d’organisation permettant de respecter un protocole sanitaire strict.
Finalement, l’ensemble de la quinzaine a pu se dérouler sans écueil, comme l’ont constaté les gendarmes venus faire des inspections régulières. Les autorités préfectorales des Pyrénées-Orientales ont d’ailleurs demandé à nos élèves un retour d’expérience pour établir un référentiel qui pourrait servir à d’autres événements de ce genre. Ce sens des responsabilités a été très apprécié des élèves eux-mêmes, à commencer par ceux de première année, qui étaient naturellement désireux de pouvoir vivre leur WEI. Manifestement, celui-ci, comme les autres événements de la quinzaine d’intégration, a contribué à banaliser les gestes barrière chez nos élèves.
Nous en avons d’ailleurs eu une nouvelle démonstration avec les ROCS (les Rencontres Omnisports de CentraleSupélec), qui se sont tenues le samedi 19 septembre. Il s’agit d’une manifestation interne, à laquelle participent des alumni. Là encore les participants se sont montrés responsables en respectant scrupuleusement les consignes sanitaires.
Aujourd’hui, nos élèves mesurent leur chance de ne pas être confinés dans leur chambre et de pouvoir continuer à suivre les cours en présentiel, au contact direct de leurs enseignants. Ils savent que c’est loin d’être le cas de tous leurs camarades actuellement à l’étranger. Je pense notamment aux quelques 160 élèves de l’école qui se trouvent aux Etats-Unis : la majorité d’entre eux est confinée dans leur chambre et en est réduite à suivre pratiquement tous leurs cours en distanciel.
– Quelle a été votre propre implication dans la mise en place des consignes sanitaires ?
Nous avons accompagné l’association en charge de l’organisation de la quinzaine d’intégration depuis le printemps, et je suis personnellement intervenu tant pour la sensibilisation des élèves encadrants le WEI, que vis-à-vis des préfectures. Avec le directeur adjoint, j’ai aussi tenu à être présent au WEI. De même, j’ai ouvert les ROCS, en insistant bien dans mes propos de bienvenue sur la nécessité de respecter les consignes sanitaires, dans l’intérêt des élèves eux-mêmes. Je ne peux que me réjouir de la manière dont le message a été entendu.
– A vous entendre, on perçoit un nouveau directeur lui-même « intégré ». Or, vous n’avez pris les rênes de l’école que récemment (en 2018), sans en être issu. Qu’est-ce qui néanmoins vous a prédisposé à en prendre la direction ?
Ma carrière m’a amené à occuper des postes très différents, dans le public et dans le privé, mais qui ont cependant été toujours en lien avec la recherche et l’innovation, des milieux dans lesquels j’ai plaisir à baigner. Je suis toujours impressionné devant des chercheurs et des ingénieurs qui expliquent ce sur quoi ils travaillent.
J’ai aussi beaucoup de plaisir à être au contact des élèves. Il est vrai que ceux auxquels j’ai eu affaire sont a priori brillants, toujours plein d’idées. Je suis d’ailleurs scotché par leur capacité d’imagination, à porter des projets. Je le mesure encore ici à travers la filière entrepreneuriale, mise en place par mon prédécesseur et que j’entends bien développer. Nous venons à cette fin de recruter une très dynamique directrice de l’entrepreneuriat. C’est ce plaisir à travailler au milieu de chercheurs et d’élèves « entrepreneurs », qui a motivé ma décision de postuler à la direction de CentraleSupélec.
– Rappelons que vous aviez déjà l’expérience d’une grande école d’ingénieurs, l’Ecole nationale supérieure des mines de Paris en l’occurrence…
En effet, je l’ai dirigée de début 2012 à fin 2016, après y avoir été directeur adjoint de la recherche, entre 1995 et 1997. Ce fut tout sauf le fruit du hasard : j’ai toujours eu un tropisme fort pour le sous-sol, la géologie et la paléontologie. Ce qui m’avait d’ailleurs conduit à débuter ma carrière avec les mines de nickel de Nouvelle-Calédonie, puis chez Elf pour y faire de la géophysique appliquée à l’exploration pétrolière. Suite à la fusion avec Total, j’ai rejoint la Compagnie Générale de Géophysique (CGG). Puis, en 2004, l’opportunité d’intégrer le cabinet du ministre de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche au titre de conseiller technique m’a permis d’avoir une vue d’ensemble du paysage de l’enseignement supérieur et de la recherche. Lorsque la direction de la recherche, dont j’étais numéro 2 depuis 2005, a fusionné avec la direction de la technologie pour former la DGRI, la Direction générale de la Recherche et de l’Innovation, j’en ai été nommé numéro 2 par le nouveau directeur général, Gilles Bloch…
– Lequel était appelé ensuite à présider la Fondation de coopération scientifique du Campus Paris-Saclay…
En effet. J’ignorais alors que je prendrais à mon tour le chemin du plateau de Saclay. Entretemps, la CGG m’a proposé de revenir – elle venait de fusionner début 2007 avec une entreprise américaine, Veritas, à ne pas confondre avec le bureau du même nom (il s’agit ici d’une société de géophysique pétrolière fortement implantée dans le continent américain alors que la CGG était davantage présente en Europe, en Afrique et en Asie). En septembre 2007, me voilà donc à Houston, dans les locaux de Veritas, avec deux autres Français au milieu de 800 Américains pour accompagner le rapprochement des deux entreprises au plan technologique. Après deux ans et demi, je suis revenu en France, au siège de la CGG, au titre de directeur scientifique. Seulement, à partir de 2011, le marché de la géophysique a pâti du développement du pétrole de schiste (qui a moins besoin d’y recourir), avant de s’effondrer depuis. C’est dans ce contexte que j’ai appris l’ouverture du poste de directeur de l’Ecole des mines. Ma nomination est intervenue le 1er février 2012. Par un de ces chassés-croisés comme la vie professionnelle peut en réserver, j’ai succédé à Benoît Legait, que j’avais accueilli quelques années plus tôt comme directeur de la recherche. J’ai assuré la direction de l’école près de cinq ans, une expérience particulièrement remplie et stimulante.
– Rappelons que l’Ecole des mines devait être transférée sur le plateau de Saclay…
En effet. En 2009, son déménagement avait été annoncé par le Président Sarkozy lui-même pour intégrer la future Université de Paris-Saclay. Mais trois mois avant mon arrivée, le Conseil d’Administration de l’Ecole des mines a décidé de la retirer de ce projet. Seulement, dans le contexte de transformation du système d’enseignement supérieur, il paraissait difficile pour cette école de rester isolée. Ma première mission a donc été d’identifier la ComUE que nous pourrions rejoindre. Pour cela, j’ai fait le tour des grands groupements parisiens en cours de constitution. J’ai notamment rencontré Monique Canto-Sperber, qui présidait alors Paris Sciences et Lettres (PSL). Un projet que je trouvais prometteur au sens où il alliait au meilleur niveau les sciences dites dures, les sciences humaines et sociales, et la création artistique. J’ai donc proposé à mon CA de postuler pour rejoindre PSL d’abord comme membre associé puis, fin 2013, au titre de membre « fondateur » (quand bien même PSL existât déjà – ce fut même le premier IDEX labellisé en Ile-de-France). La suite devait confirmer que ce fut une belle opportunité pour notre école. Suite au départ de la présidente, l’ensemble des partenaires de PSL m’a sollicité pour en prendre, deux mois durant, la présidence par intérim avant l’arrivée d’un nouveau président, en la personne de Thierry Coulhon (qui rejoindra ensuite l’Elysée comme conseiller). Si je rappelle cet épisode, c’est qu’il témoigne de l’implication tardive mais forte de l’Ecole des Mines dans la construction de PSL.
– J’ai bien noté que vous avez pris la direction de cette dernière après que la décision a été prise de ne pas rejoindre l’Université Paris-Saclay. Qu’en pensiez-vous vous-même ? Aviez-vous regretté cette décision ?
A l’époque, je considérais que le choix était le moins mauvais qu’on eût pu faire. Avec le recul, je continue à le penser. Il aurait été difficile d’intégrer dans le même IdEx des écoles ayant d’aussi fortes identités que l’Ecole des mines, Polytechnique et CentraleSupélec. Certes, elles investissent un même domaine de recherche et d’enseignement (l’ingénierie), mais force est d’admettre qu’elles sont le produit d’histoires différentes, ayant engendré des cultures spécifiques. Cela aurait entraîné des conflits de leadership stérilisants dans l’ingénierie. Au final, et même si ce fut laborieux d’y parvenir, le résultat est satisfaisant : les trois écoles se retrouvent à animer le pôle ingénierie au sein des ensembles dont elles font désormais partie. Ce point de sortie, que personne n’avait imaginé à l’origine, me paraît finalement une bonne solution.
Certes, les trois établissements restent en situation de compétition au niveau du recrutement, tous recrutant majoritairement à partir des mêmes concours de prépa. Mais s’arrêter à cette concurrence via les concours de classes prépa appartient à un autre âge, et me paraît marginal par rapport aux grands enjeux que nous avons en face de nous. La compétition est désormais mondiale et c’est à elle que nous devons consacrer notre énergie. Entre Polytechnique, l’Ecole des mines et CentraleSupélec, je parlerai davantage d’une émulation qui nous aide à nous améliorer.
– Comment vos anciens collègues de l’Ecole des Mines ont-ils néanmoins perçu votre départ pour CentraleSupélec ?
(Sourire). Certains ont considéré, non sans humour, que j’étais parti à la concurrence ! Une chose est sûre : on ne quitte pas une école comme celle des mines de Paris le cœur léger. Cela étant dit, avant de rejoindre CentraleSupélec, il y eut, je tiens à le rappeler, une autre étape, celle de l’INPI, qui a correspondu à une expérience également enrichissante. Cette institution rencontrait alors de grandes difficultés internes. J’ai donc passé deux années intensives pour la remettre d’aplomb et ce, sur fond d’élaboration de la loi Pacte, qui comportait un volet important sur la propriété industrielle L’INPI s’y est beaucoup investi. Nous avons ainsi pu introduire un certain nombre de dispositions, mises en œuvre par mon successeur, et qui se traduisent par les changements les plus importants que l’institution ait connus depuis sa création, en 1951.
Pour en venir à CentraleSupélec, tout a commencé avec la parution en janvier 2018 de l’annonce de la vacance du poste de directeur…
– Vous étiez-vous aussitôt porté candidat ?
Pas tout à fait. Comme je le disais, j’avais déjà fort à faire avec l’INPI. Mais j’ai été contacté par plusieurs personnes, qui m’ont incité à me présenter en mettant en avant le fait que c’était une très belle maison, qu’il y avait encore beaucoup à faire dans la perspective de la création de l’Université Paris-Saclay. J’ai donc fini par me laisser tenter.
– En candidatant pour CentraleSupélec, vous projetiez-vous dans le projet de l’Université Paris-Saclay ?
Oui, bien sûr et ce fut une autre source de motivation. Le moins qu’on puisse dire est qu’il s’agissait là à mes yeux d’un projet particulièrement séduisant, surtout après avoir contribué à PSL. Certes, les choses sont compliquées. Nous avons beau avoir franchi des étapes, un long chemin nous reste à parcourir. Il n’en reste pas moins évident que c’est un projet d’avenir.
– Comment avez-vous vécu la scission entre deux pôles, l’Université Paris-Saclay et l’Institut Polytechnique de Paris ?
Cette scission avait été actée en octobre 2017, à l’occasion de la visite du Président Macron sur le plateau de Saclay. Soit avant mon arrivée. L’Ecole des mines étant une des écoles d’application de Polytechnique, je n’en avais pas moins suivi les débats relatifs au projet de l’Université Paris-Saclay. Personnellement, j’ai toujours considéré que loin d’hypothéquer les chances de réussite de ce dernier, cette décision lui permettait au contraire de repartir sur de nouvelles bases, de sortir des problèmes structurels que des divergences entre acteurs ne faisaient qu’exprimer.
Aujourd’hui encore, en vivant cette fois le projet de l’intérieur, je considère que ce fut la bonne décision. Dans le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche, il peut être très contreproductif d’imposer des décisions d’en haut à des communautés existantes, chargées d’histoire. Force a été en l’occurrence de constater que le projet initial conduisait à dissiper l’énergie dans des querelles intestines. A mon sens, il y a place pour deux ensembles majeurs sur le plateau dans une perspective mondialisée. Indépendamment du succès de l’Université Paris-Saclay, je souhaite donc sincèrement celui de l’Institut Polytechnique de Paris. La présence de deux grands pôles à rayonnement mondial, dans un même écosystème, peut engendrer de précieuses synergies, dont les effets ne manqueront pas de rejaillir bien-au-delà, de profiter à d’autres.
– Etant entendu que les parties engagées dans l’autre pôle, l’Institut Polytechnique de Paris, seront toutes présentes sur le plateau de Saclay et, donc, en proximité avec des établissements d’enseignement supérieur et de recherche participant à l’Université Paris-Saclay. Tant et si bien qu’on peut tabler sur un effet géographique…
Absolument. J’entends parfois dire qu’il serait malheureux que deux pôles vivent ainsi l’un à côté de l’autre, sans chercher à ne faire plus qu’un. C’est oublier que d’autres écosystèmes se portent très bien, malgré la présence en leur sein de pôles distincts. Voyez Boston, où coexistent le MIT, Harvard et une quinzaine d’autres établissements d’enseignement supérieur. Il ne viendrait à l’idée de personne de les fusionner. Chacun a ses spécificités, sa culture, son histoire. Cette coexistence crée une émulation et une attractivité dont profite l’ensemble de l’écosystème. Cet exemple illustre donc le fait que disposer de deux grands pôles à rayonnement international n’est pas une ambition déraisonnable, dès lors, encore une fois, que chacun trouve sa place. Cela n’exclut pas des coopérations entre les deux, au contraire. Elles existent d’ailleurs déjà ne serait-ce qu’au travers de celles nouées de longue date entre les établissements qui en font partie.
Bref, et c’est davantage le citoyen qui parle que le directeur d’une grande école, je n’ai pas de regret à ce que l’X soit sortie du regroupement de l’Université Paris-Saclay. On voyait bien que le projet initial tournait en rond. Depuis l’officialisation de ce retrait, le projet a pu se relancer et aboutir à la création officielle, le 1er janvier 2020, de l’Université Paris-Saclay.
– Création qui s’est traduite récemment par une visibilité instantanée au plan mondial au travers de l’édition 2020 du classement de Shanghai, qui l’a placée d’emblée au 14e rang… Elle ne pouvait pas commencer sous de meilleurs auspices. Comment avez-vous vécu ce résultat ?
Cette 14e place a été une très heureuse surprise. Certes, nous savions que l’Université Paris-Saclay était promise à un bon classement , mais pas aussi vite et aussi bien. Comme Sylvie Retailleau a eu l’occasion de le rappeler, les classements ne sont pas une fin en soi, mais ils confortent une dynamique. Pourquoi s’en cacher ? Une telle place dans un tel classement ne peut que procurer un sentiment de fierté et renforcer l’adhésion au projet.
Cela étant dit, si cette 14e place nous met en pleine lumière, cette lumière ne doit pas nous aveugler. Les critères de ce classement sont contestables et certainement pas représentatifs de l’ensemble des activités d’une université. En fait, ce classement ne fait que refléter la puissance scientifique des établissements partenaires qui se sont réunis au sein de la nouvelle université. Dit autrement, il traduit plus la situation passée ou présente, qu’il n’augure de l’avenir. Notre défi est donc de montrer que notre université, qui n’a encore rien pu prouver en tant que telle, puisqu’elle vient d’être créée, va être bien plus que la somme des parties. Ce que le classement de Shanghai dit, c’est que nous jouissons d’un héritage exceptionnel, qui nous donne une responsabilité supplémentaire pour porter encore plus haut l’excellence de l’université, transcender les parties prenantes sans nier pour autant leur singularité.
– Qu’envisagez-vous pour faire en sorte justement que l’ensemble soit supérieur à la somme des parties ?
Outre la structuration par Graduate Schools, piliers de son organisation, l’Université Paris-Saclay porte de nombreuses initiatives fédératrices des forces qui la composent dans des domaines très variés tels que, par exemple, la relation avec les organismes de recherche, les infrastructures communes, la pédagogie, l’entrepreneuriat, etc. Au niveau de CentraleSupélec, nous coordonnons la Graduate School « Sciences de l’Ingénierie et des Systèmes ». En ce qui concerne la formation d’ingénieur, nous envisageons d’hybrider davantage les cours et les cursus en tirant notamment profit de la constitution des autres Graduate Schools. Je pense en particulier à celle dédiée à la santé, un champ qui correspond à une forte demande de nos élèves dans le choix de leur cursus et de leur avenir professionnel – en sens inverse, le secteur de la santé est demandeur de plus en plus d’ingénieurs que ce soit en traitement de signal, en robotique opératoire, en imagerie, en intelligence artificielle ou encore en séquençage d’ADN. Dès 2018, nous avons d’ailleurs signé un partenariat avec l’Institut Gustave Roussy, qui donne déjà de bons résultats (une cinquantaine de nos élèves y poursuivent actuellement un stage). Pendant la période du confinement, deux projets de recherche ont été lancés pour améliorer le diagnostic et la prise en charge médicale des patients atteints de Covid-19, chacun associant l’institut, un hôpital (Bicêtre et Cochin), ainsi que CentraleSupélec, qui apportait son expertise en intelligence artificielle. Voilà des exemples de coopération que nous pourrions développer, à la faveur de notre participation à l’Université Paris-Saclay.
– Revenons-en à vous, dont le parcours témoigne d’une expérience et connaissance fine du monde de la recherche et de la grande entreprise, public et privé, du contexte français et de l’international, et dont les centres d’intérêts vont de la géophysique à la santé ! On se dit qu’aux yeux de vos élèves, vous devriez être bien plus qu’un directeur, avec toute l’autorité qu’il est censé incarner, mais une personne auprès de laquelle ils pourraient prendre directement conseil… Pour le dire autrement, y a-t-il quelque chose de l’ordre de la transmission, dans votre manière d’interagir avec eux ? La question peut paraître curieuse ou décalée, mais permettez-moi de l’assumer…
C’est aux élèves de répondre à votre interrogation, quant à la manière dont ils me perçoivent ! Cela étant dit, et comme vous l’imaginez, mon agenda ne me laisse pas tout le temps que je souhaiterais pour interagir avec eux. J’essaie cependant d’être le plus présent possible, notamment en rencontrant régulièrement les responsables des principales associations. Je me suis personnellement impliqué en amont de la préparation de leur quinzaine d’intégration. Comme je le disais, j’ai participé aux deux jours du WEI, avec le directeur adjoint, pour donner une légitimité supplémentaire à l’association qui l’organisait et mettait en œuvre les mesures sanitaires, et relayer les messages qu’elle adressait aux participants. De même, j’ai répondu à leur invitation à ouvrir les ROCS. Bref, j’essaie de répondre à leurs sollicitations car bien évidemment il est valorisant de voir leur directeur manifester un intérêt pour leurs initiatives, les projets qu’ils portent. Après, quand ils me sollicitent pour des conseils, j’essaie dans la mesure du possible de les aider, non sans les inciter à en solliciter d’autres personnes car, bien évidemment, c’est en croisant les points de vue qu’on parvient à construire le sien propre.
– Un mot sur votre bureau où se déroule l’entretien : un bureau avec trois baies vitrées qui donnent sur le hall du bâtiment Gustave Eiffel. Est-ce pour remplir une fonction panoptique ou pour vous immerger dans l’ambiance du campus ? Pour ma part, c’est bien une sensation d’immersion que je perçois. On se dirait comme au cœur de la vie des élèves…
C’est un bureau dont j’ai hérité, en succédant à Hervé Biausser. A l’évidence, il a été conçu pour donner cette sensation d’être au cœur du campus, pour être visible de tous, incarner la présence du directeur.
– Pourriez-vous pour conclure me dire un mot sur les fossiles au nombre de quatre qu’on aperçoit dans une vitrine…
Volontiers ! Le premier, sur la gauche, est un poisson dit agnathe, ce qui signifie sans mâchoire. Il fait partie des tout premiers poissons à être apparus. Très primitifs, ils étaient cependant dotés d’une cuirasse suffisamment dure pour qu’elle se fossilise dans de bonnes conditions. Le deuxième poisson est plus évolué : bien que lui aussi primitif avec sa carapace dure, il est doté de mâchoires, une évolution majeure. Le troisième poisson est un peu plus récent (relativement du moins) : il s’inscrit dans la lignée des poissons qui allaient commencer à sortir de l’eau. La structure de ses nageoires préfigure les membres des futurs vertébrés terrestres. Enfin, le quatrième est un paléo-amphibien, capable de se déplacer avec aisance sur terre.
Naturellement, les uns et les autres ne s’inscrivent pas dans une généalogie directe, mais les quatre ainsi réunis donnent une idée de ce qu’étaient nos lointains ancêtres et de la façon dont ils ont évolué au cours de millions d’années, depuis les premiers poissons jusqu’aux vertébrés terrestres…
– Et on imagine qu’ils vous permettent de relativiser la portée des tracas que réserve l’actualité…
Cela aide effectivement à relativiser bien des choses, tout en montrant aussi jusqu’à quelles transformations on peut parvenir quand on s’inscrit dans le temps long…
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