Suite de notre découverte de La Fibre Entrepreneur à travers des entrepreneurs innovants qu’elle accueille avec, cette fois, Yannick Vinay, cofondateur de VitOnJob, une start-up accélérée au sein de X-Up. Son ambition : lutter contre le chômage et dynamiser le marché du travail en facilitant la connexion entre des employeurs et des personnes en quête de missions de courte durée.
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– Si vous deviez pitcher VitOnJob…
VitOnJob se propose de faciliter la vie des recruteurs en leur permettant de recruter du personnel en quelques clics pour des missions de courte durée. Il s’agit par la même occasion de permettre à tout un chacun de mettre à profit sa disponibilité pour remplir ces missions. VitOnJob fait cependant bien plus qu’assurer la connexion. Nous intégrons dans une seule et même solution, accessible par une application mobile, tout ce qui est nécessaire pour mettre en relation des personnes et gérer l’ensemble des aspects administratifs de l’embauche. Ainsi, nous rendons possible le contrat de très courte durée non sans combattre du même coup le recours au travail au noir. Notre challenge est de favoriser la création de plusieurs dizaines de milliers d’emploi dès 2016.
– Il s’agit en somme d’un site de rencontre, mais destiné à nouer une relation de travail…
Oui, d’une certaine façon. Comme sur un site de rencontre, nous mettons en relation par matching affinitaire avec, cependant, la possibilité de recueillir plus ample information sur les candidats par messagerie ou skype. Une fois que les deux parties sont d’accord sur l’objet de la mission à accomplir, le niveau de rémunération, nous adressons un contrat numérisé et signé électroniquement. Nous assurons aussi la rémunération en ligne, en récupérant l’empreinte bancaire du client (l’employeur). Chaque employé peut ainsi recueillir sur son compte bancaire, et à l’issue de chaque journée, le fruit de son travail.
– En quoi vous différenciez-vous de l’offre déjà existante ?
Nous avons pris le parti de nous positionner sur le marché des emplois à très courte durée, de moins de trois jours : un créneau où n’existe encore pour l’heure aucune offre sous format salarié, alors que les Français sont très attachés à ce statut. Les alternatives existantes se bornent à des mises en relation, de surcroît payantes. Or, la mise en relation n’est que la première étape. Nous, nous l’assurons gratuitement en ne nous rémunérant que sur la gestion des aspects administratifs. Pour l’employeur, VitOnJob représente donc un gain de temps et donc d’argent. Par exemple, une entreprise a besoin de recruter des bêta testeurs pour une après-midi ? Cela lui prendra quelques heures de démarche administrative.
– Mais comment en êtes-vous venus à cette solution ?
J’ai une vingtaine d’années d’expérience dans la gestion des ressources humaines. J’enseigne par ailleurs l’innovation sociale, à l’ESC de Clermont-Ferrand. Mais l’idée m’est venue un jour en me rendant dans un restaurant d’une grande enseigne hôtelière. Le responsable manquait de personnel. Il en était donc réduit à me faire patienter un certain temps (au risque de dégrader sa qualité de service) ou de m’envoyer dans un autre restaurant (au risque, cette fois, de ne pas faire progresser son chiffre d’affaires). Cette situation n’a pas manqué de m’interroger pour ne pas dire me choquer : malgré les millions de chômeurs que connaît le pays, cet employeur n’avait pas été en mesure de trouver quelqu’un, même pour un dépannage. Il me semblait pourtant que les conditions existaient pour géolocaliser les personnes disponibles. Si VitOnJob avait existé, il aurait eu une solution à son problème, de surcroit sans avoir, j’insiste sur ce point, à recourir au travail au noir.
J’ajoute qu’avant de créer cette start-up, j’intervenais comme consultant et missionné sur des problématiques de numérisation des processus RH. J’étais d’autant plus sensible aux perspectives offertes par le numérique et les applications mobiles. L’idée n’a cependant vraiment pris corps que lorsque j’ai rencontré mon associé, Jamal Benabbes, un vrai génie du développement applicatif, le genre à ne dormir que quelques heures par nuit.
– Drôle de couple entre l’innovateur social et l’innovateur technologique…
Vous ne croyez pas si bien dire ! Il y a eu une vraie rencontre professionnelle, telle que nous aimons dire que nous nous sommes pacsés ! Depuis un an, je crois d’ailleurs voir mon associé plus souvent que mon épouse.
– Où en êtes-vous aujourd’hui ?
Le développement du concept n’a effectivement débuté qu’en septembre 2015. Mais en à peine six mois, nous avons pu mettre au point une solution. A la fin du mois de mai, nous aurons levé 1 million d’euros au total auprès de Business Angels, mais aussi d’un partenaire industriel et grâce aux aides à l’innovation. Nous préparons une autre levée de fonds d’un montant de 4 millions d’euros. Notre équipe a beaucoup grandi. Nous sommes aujourd’hui une dizaine.
– Que dites-vous à ceux qui considèrent que la relation professionnelle ne peut reposer sur quelques clics, mais sur une connaissance interpersonnelle ?
Qu’ils ont bien évidemment raison. Nous nous inscrivons d’ailleurs nous-mêmes dans l’économie dite du partage. Au fil du temps, employeurs et employés pourrons construire leurs réputations respectives, à travers des ratings, étant entendu que nous n’afficheront que les notes positives : nous ne sommes pas là pour dénigrer qui que ce soit, mais, au contraire, faire grandir ensemble employeurs et employés.
Mes quelque 20 années d’expérience dans la gestion des ressources humaines m’ont convaincu qu’il n’y avait rien de moins sûr qu’un recrutement : un candidat peut s’être entraîné préalablement, mais sans avoir le potentiel qu’on pensait avoir décelé en lui. Plus efficace est une évaluation répétée des employés au fil des missions. Nous faisons le pari que les employeurs feront plus confiance à un pair qu’à un cabinet de recrutement, qui aura évalué les candidats sur la base de tests aux résultats hypothétiques. Rien n’empêchant de mettre en relation directe un employeur avec ceux ayant déjà eu recours à des employés pressentis. Evidemment, VitOnJob offre les mêmes possibilités à ces derniers d’évaluer les employeurs et d’échanger entre eux.
Au final, tout le monde est gagnant : les employeurs auxquels nous permettons d’accéder aux personnes dont ils ont besoin ; les employés, auxquels nous offrons la possibilité de remplir des missions adaptées à leurs compétences et disponibilités, et, plus globalement, à leurs choix de vie.
– Ce faisant, vous retrouvez-vous dans la notion d’empowerment ?
Oui, tout à fait, pour ce qui concerne l’employé du moins, qui, avec notre solution, retrouve un peu de son pouvoir de maîtriser son activité. Dans le modèle du CDI, le pouvoir est davantage du côté du patron qui dispose de la possibilité de choisir qui il veut. Dans le modèle du contrat court de travail et la situation d’urgence à laquelle il correspond, l’employeur est plus tributaire de la disponibilité des employés. Ce sont eux, en effet, qui spécifient préalablement quels jours ils sont prêts à travailler, à quel horaire et pour combien d’euros. J’ajoute qu’à terme, en analysant les évaluations des missions précédentes, nous pourrons favoriser des rencontres basées sur un maching affinitaire, grâce au recours aux algorithmes innovants que nous développons, et au machine learning.
– Dans quelle mesure avez-vous été inspirés par Uber ?
Certains nous qualifient parfois d’Uber sinon de Blablacar ou de Tinder de l’emploi. Nous ne récusons aucune influence. De l’application Tinder, par exemple, nous avons emprunté le principe du swap. Nous avons beaucoup benchmarké de façon à être ne serait-ce qu’au standard des applications. Rien que de plus naturel.
De même, nous n’hésitons pas à nous inspirer des applications existantes, au regard de leur modèle économique. Y compris Uber que je me garderai de diaboliser a priori. En France, il a sans doute paru trop sûr de son fait pour ne pas paraître arrogant. Probablement aurait-il dû commencer par les villes de province où il aurait pu faire la démonstration de sa capacité à répondre à un vrai besoin plutôt que de s’attaquer frontalement à une situation de rente comme celle qui existe dans les grandes villes.
– Vous-mêmes ne concurrencez-vous pas des institutions comme Pôle emploi ou les agences d’Intérim ?
Non, dans la mesure où les personnes qui nous solliciteraient pour trouver un contrat de plus de trois jours seront basculées vers ces acteurs du marché de l’emploi. Nous avons pris le temps de rencontrer ces derniers, en mettant en avant notre souhait de jouer la carte de la complémentarité, y compris avec Pôle emploi.
– Comment réagit ce dernier en particulier ?
Très positivement. D’autant plus que, comme le relève son directeur régional, 30% des inscrits à Pôle emploi disent ne pas être en quête d’un CDI à temps plein, mais plutôt d’un contrat de courte durée. Les résultats d’une enquête récente allaient dans le même sens en révélant que les CDD trouvaient plus facilement preneurs que les CDI.
J’ajoute que Pôle emploi est un interlocuteur plus qu’intéressant en matière d’innovation numérique. Sous la houlette de Renald Chapuis, son directeur de l’innovation, il s’est doté d’une structure – Le Lab de Pôle Emploi – tournée vers la recherche de solutions innovantes pour le marché de l’emploi. Reste que Pôle emploi est une institution publique et ne peut donc avoir des liens privilégiés avec des start-up comme la nôtre, quand bien même partageons-nous les mêmes valeurs. Comme je l’ai déjà rappelé, des solutions, que je ne citerai pas, se font rémunérer aussi bien auprès des employeurs que des personnes en quête d’emploi. Ce que je ne conçois pas. Chez VitOnJob, seul l’employeur finance le service. Pas l’employé.
– Est-ce le promoteur d’une innovation sociale qui parle ?
Oui. Avec l’ambition de réconcilier le progrès social et la performance économique. Un docteur en informatique vient de rejoindre notre équipe avec pour mission d’intégrer dans notre application des algorithmes gagnant-gagnant. C’est pour nous la garantie de l’acceptabilité sociale de notre solution.
Nous avons la conviction que VitOnJob préfigure le modèle économique du travail qui s’imposera d’ici les toutes prochaines années. Il y a déjà 4,5 millions de pluriactifs en France et ce chiffre augmente chaque année. Certes, les bases de notre système et notamment les conditions d’octroi de prêts bancaires imposent encore d’avoir un CDI à temps plein. Cela constitue encore le Graal dans l’esprit des acteurs politiques et syndicaux. Notre solution permet pourtant aux salariés d’augmenter de 10 à 30% de leur pouvoir d’achat.
– Comment avez-vous découvert La Fibre Entrepreneur ?
C’est Serge Chanchole, ancien directeur de l’X-Tech, qui nous l’a fait connaître. Il sait repérer les start-up à potentiel. Nous avions une relation en commun.
– En quoi votre intégration au sein de La Fibre Entrepreneur contribue-t-elle à « accélérer » effectivement le développement de votre start-up ?
La Fibre Entrepreneur représente tout ce qui nous manquait mais sans que nous le sachions. D’abord, les conditions financières sont parfaitement adaptées : La Fibre Entrepreneur ne se rémunère qu’en prenant une part du capital (7%). Nous n’avons rien à débourser. En investissant dans le capital, l’X témoigne de sa confiance. Ce qui est un gage de crédibilité aux yeux de nos interlocuteurs financiers et investisseurs, mais aussi des interlocuteurs publics. La Fibre Entrepreneur nous ouvre des portes, y compris auprès d’acteurs publics comme ceux que j’ai cités. Nous bénéficions par ailleurs d’un vrai accompagnement. Il y a une véritable volonté de nous conduire à l’excellence.
– Deux fois six mois vous paraissent-ils suffisants ?
Oui, en tout cas pour ce qui nous concerne. Notre période d’accélération se termine par un pitch devant des fonds de Venture Capital. Avant cela, nous devons être prêts sur notre solution, le business model, le busines plan, notre plan marketing… Le mot accélérateur n’est donc pas ici un vain mot : six mois nous aurons déjà permis de gagner un temps précieux. Nous avons choisi de prolonger de six mois supplémentaires pour accompagner notre déploiement en France et intégrer dans VitOnJob des innovations technologiques, qui devraient changer la donne dans le domaine de la Gestion des Ressources Humaines.
– Qu’en est-il de l’effet cafét’ ?
Il commence à se faire sentir. Jamal et moi avons déjà une longue expérience professionnelle et nous nous efforçons donc d’en faire profiter les jeunes pousses ici présentes, en n’hésitant pas à aller à leur rencontre. Mais le coaching fonctionne en sens inverse. Les autres startuppers nous aident beaucoup à progresser.
– Anticipez-vous déjà votre départ ? Si oui, est-ce avec le projet de rester dans l’écosystème Paris-Saclay ?
Oui et non. Nous avons aussi besoin d’être présents sur notre territoire de lancement, le Grand Roissy, la plus grande zone de développement économique en France, après Paris. De là notre parti pris d’installer notre siège à Roissypôle. C’est un territoire que j’ai appris à connaître. Nous allons aménager dans 200 mètres carrés sur le Dôme, dans l’enceinte de l’aéroport. Cela nous permettra de construire une solution au plus près des besoins des clients potentiels du territoire. Mais nous n’en restons pas moins une entreprise innovante : pour les besoins du développement technologique, nous souhaitons donc rester au plus près de laboratoires de recherche. Nous maintiendrons les liens avec le Plateau de Saclay en intégrant prochainement un docteur en convention Cifre, sans exclure d’y conserver un bureau. Ce peut être en effet préférable dans la perspective du recrutement des personnes qualifiées dont nous aurons besoin : a priori, elles préfèreront, elles, évoluer dans l’écosystème du Plateau de Saclay plutôt qu’à Roissy.
– Comment appréhendez-vous les conditions de travail au sein de votre propre société ?
D’ores et déjà, je veille à ce que les espaces de travail soient les plus mobiles possibles pour que notre modèle agile perdure dans les esprits ! Le jour où nous commencerons à installer des cadres de photos personnelles sur nos bureaux et que nous aurons des fauteuils de ministre, c’est que nous ne serons peut-être déjà plus dans l’esprit start-up ! Un minimum d’instabilité permet d’entretenir l’agilité intellectuelle. Je me souviens du drame que pouvait représenter dans les grands groupes où j’ai été amené à travailler, le simple fait de passer de bureaux individuels à un open space. Nous avons besoins d’experts, mais qui communiquent entre eux autant que possible.
– Quelle différence majeure percevez-vous entre la GRH d’une start-up et celle d’une entreprise classique ?
Dans une entreprise classique, on recrute en principe des personnes pour les amener à plus ou moins longue échéance vers un niveau de compétence supérieur. Tout simplement, parce que c’est l’ambition de la grande entreprise que de faire grandir des gens dans un monde sécurisé, selon des trajectoires professionnelles prédéfinies. Au sein d’une start-up, c’est l’inverse : il s’agit de convaincre des personnes meilleures que soi à vous rejoindre. Jamal, par exemple, c’est moi qui ai dû le séduire pour le décider à s’associer au projet ! Au fil des recrutements, l’addition d’atouts complémentaires permet de construire des objectifs toujours plus ambitieux, de relever les défis auxquels nous sommes confrontés chaque jour et de grandir ensemble.
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