De l’agriculture raisonnée à l’insertion par le maraîchage bio.
Hugo Da Silva est le tout jeune directeur du Jardin de Cocagne qui vient de s’installer à la ferme du Limon (Vauhallan). Retour sur un parcours qui l’a progressivement converti à l’insertion par l’activité maraîchère.
Issu d’une famille d’agriculteur de l’Eure, Hugo Da Silva y a conservé de fortes attaches. Le jour de l’entretien qu’il nous a accordé, il revenait d’ailleurs d’un rapide aller-retour sur ses terres de naissance, pour donner un coup de main à un de ses oncles en début de moisson. Mais on perçoit aussi qu’il se sent déjà bien ici, sur le Plateau de Saclay où il vient d’arriver. A 28 ans, il est le tout jeune directeur du tout nouveau Jardin de Cocagne qui y a élu domicile.
Ses premières expériences professionnelles ne l’avaient pas destiné à l’insertion ni d’ailleurs au maraîchage. Après des études d’économie et un Master en développement agricole et politique économique, il effectue son premier stage chez un fournisseur de solutions informatiques et média pour des exploitations agricoles. Avant d’être ensuite embauché dans une entreprise comme directeur technique pour traiter de la problématique de… l’amiante. « Autant dire rien à voir avec le milieu agricole ! » Mais il n’a que 23 ans et ce premier emploi lui offre l’occasion d’acquérir une vraie expérience dans le management, les relations clients, la comptabilité… Autant de compétences qui ne lui seront plus aussi utiles plus tard, comme directeur d’un Jardin de Cocagne.
Mais auparavant, d’autres expériences et d’autres formations l’attendent. « Aussi enrichissante que soit cette première expérience professionnelle, je n’avais pas l’intention de rester dans ce secteur d’activité. En 2009, il quitte donc cette entreprise, pourtant en pleine croissance, pour entamer un autre Mastère spécialisé, formant, cette fois, des managers en innovation technologique, dans les secteurs des agro-activités et des bio-industries (le Masternova d’Agro-ParisTech et Reims Management School).
De l’indulgence pour les agriculteurs
« Je ne m’étais jamais détourné de l’agriculture. Si je ne m’intéressais pas encore à l’agriculture bio, j’étais en revanche sensible aux enjeux d’une agriculture raisonnée. » Le premier Master avait provoqué un premier déclic : « Parmi ceux qui suivaient cette formation, il y avait beaucoup de citadins qui avaient des idées bien arrêtées sur l’agriculture conventionnelle et qui s’opposaient entre eux. Au début, cela me paraissait bien excessif. Mes échanges avec eux étaient plutôt tendus et contradictoires sur les sujets agricoles. En fin de 2e année, on a fini par mieux se comprendre. Je dois admettre qu’ils avaient raison sur bien des aspects. Je continue juste à penser qu’ils avaient tort de stigmatiser autant les agriculteurs. Après tout, l’agriculture intensive leur a été imposée au prix de conflits avec leurs propres “ anciens “. Le plus grand nombre n’avait pas d’autre choix que d’adhérer à l’agriculture intensive. Certains ont compris très tôt les limites du système. Aujourd’hui, ils sont de plus en plus nombreux à franchir le pas vers une agriculture raisonnée à défaut d’être bio. Plutôt que de les stigmatiser, encourageons-les ! »
Pour autant, il ne s’agit pas de revenir en arrière. « Je suis convaincu qu’être moderne aujourd’hui, cela ne consiste pas à ressortir les vieux outils de nos aïeux. Il s’agit de bien s’équiper en exploitant les ressources offertes par les nouvelles technologies : le GPS, internet et même des tracteurs performants ! » Dans la cour de la ferme du Limon, trône d’ailleurs un magnifique Lamborghini, acheté d’occasion dans le Pays Basque.
Mais lui-même, Hugo Da Silva, comment s’est-il retrouvé ici ? « En 2010, à l’issue de mon Mastère spécialisé, je voulais retourner dans une petite entreprise, pour être dans une démarche de projet. C’est plus intéressant car alors on touche à tout. » C’est ainsi qu’il entre dans une toute nouvelle société spécialisée dans la fabrication de produits cosmétiques bio pour homme, 66°30… « Je m’occupais de toutes sortes de choses, des livraisons aux dossiers de subventions.» Il ajoute que cette entreprise lui a encore plus ouvert les yeux sur la nécessité d’« œuvrer à un monde meilleur ». « J’ose la formule même si elle peut paraître utopique. »
Malheureusement, la croissance n’est pas suffisante pour maintenir son poste. Histoire de valoriser son expérience acquise au cours de ces dernières années, il devient consultant. Mais cette nouvelle expérience ne lui convient pas. « Je travaillais essentiellement avec l’industrie agro-alimentaire qui avait des conceptions différentes des miennes. » L’expérience ne durera que six mois. Après avoir tenté de créer sa propre entreprise, au Maroc, pour y développer une activité agricole qui ait du sens, Hugo Da Silva repart alors à la recherche d’un emploi. Nous sommes en septembre 2011. « Jusqu’ici j’avais enchaîné les expériences. Cette fois, c’était plus difficile. Nous étions en pleine crise. »
La rencontre avec les Jardins de Cocagne
Il poursuit donc ses recherches, jusqu’à ce jour de la fin du mois de janvier où par le truchement du réseau du Master en développement agricole, il prend connaissance d’une offre du Réseau de Cocagne en quête d’un directeur pour son 121e Jardin. « J’en avais déjà entendu parler. Je connaissais par ailleurs le système des Amap. » En revanche, il n’avait aucune expérience dans l’insertion. « Et pourtant, à la lecture de l’offre, je me suis dit : “ c’est pour moi ! ” Il s’agissait de travailler dans le maraîchage, de surcroît bio. Et puis le Jardin qui était en train de se monter mettait, comme les autres, l’humain au centre de son projet. »
Les choses sont allées ensuite très vite. Trois jours après l’envoi de sa candidature, Hugo Da Silva est sollicité puis recruté dans la foulée. Le temps d’être briefé par Marie-Pierre Baccon, chef de projet, et de constituer son équipe, il est entré dans le vif du sujet. En ce jour de juillet 2012, il en est déjà à répondre aux questions de journalistes…
Il n’y a cependant pas de temps à perdre. Les premiers salariés sont arrivés, dont un chef des cultures. La semaine suivante, le Jardin doit recevoir ses premières graines qui seront semées dans la foulée. La première récolte a été, elle, programmée pour octobre. Un éventail d’une quinzaine de légumes garnirront les premiers paniers. « A terme, on aimerait en produire entre 30 et 70. » Actuellement, 4 personnes en insertion ont déjà rejoint le jardin. Elles devraient être une douzaine d’ici la fin de l’année et environ 25 à terme.
Optimiste, Hugo l’est à l’évidence. « On ressent ici une forte émulation. Les gens n’hésitent pas à s’arrêter et à demander quand ça commencera, etc. » Le lieu en lui-même semble fédérateur. Suit-il avec attention l’actualité de Paris-Saclay ? « Bien sûr ! Nous avons conscience d’être sur un territoire à forts enjeux et d’avoir la chance d’être ici, à proximité de toutes ces grandes écoles et entreprises. » Dont les chercheurs, enseignants, étudiants et autres salariés seront autant de destinataires potentiels des quelque 300 paniers que le Jardin de Cocagne compte produire à leur attention à plus ou moins longue échéance.
Journaliste
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