Nous l’avions interviewée le 12 mars 2020, à l’issue de la finale de Ma thèse en 180 secondes – Université Paris-Saclay, qu’elle avait animée avec brio devant une salle comble. C’était quelques jours avant que ne soit décrété le confinement… Malgré l’apparente éternité qui s’est écoulée depuis, nous reproduisons ici l’entretien non sans le faire précéder d’un autre, réalisé récemment et dans lequel Tania Louis revient sur son expérience du confinement, mais aussi les enjeux d’une pandémie au regard de la démarche de médiation scientifique.
– Pour commencer, pouvez-vous témoigner de votre expérience du confinement, les enseignements que vous en tirez personnellement ?
A titre personnel, le confinement n’a pas produit de bouleversements majeurs dans mon existence quotidienne et professionnelle : étant indépendante, j’ai l’habitude de travailler chez moi. Mon conjoint a continué à se rendre au travail. N’ayant pas d’enfant, je n’ai pas eu à gérer les contraintes de la continuité pédagogique. J’ajoute que nous habitons à la campagne où nous disposons d’un jardin. Bref, j’estime avoir vécu un confinement de luxe, si je puis dire. La seule difficulté que j’ai éprouvée, c’est celle de ne plus pouvoir voir mes proches et me livrer à mes activités de loisirs autant que je le souhaitais. Mais rien d’insupportable comparé au sort de toutes ces personnes qui ont vécu le confinement dans un appartement, en ville, de surcroît. Quant à savoir si ce confinement était indispensable… Disons qu’il l’était devenu dès lors que les autorités ont tardé à prendre la mesure de la situation. Nous étions confrontés à une crise, qui appelait des solutions d’urgence. Bref, ce fut la moins mauvaise solution parmi celles dont on disposait encore dans notre arsenal de gestion de crise. Qu’en résultera-t-il à terme ? En quoi nos comportements ont-ils durablement changé ? Il est encore trop tôt pour le dire. Des études sont cependant en cours pour évaluer l’impact du confinement sur le planpsychologique [ pour en savoir plus, cliquer ici]. A suivre donc.
– Ainsi que vous l’avez dit, le confinement n’a pas impacté votre mode de vie. Mais qu’en est-il de vos projets ?
En dehors de cette finale de Ma thèse en 180 secondes, mes prestations programmées au cours du premier semestre 2020 se prêtaient à une réalisation en format numérique. J’ai quand même eu le temps de lancer certains projets bénévoles, comme le collectif Kezacovid, réunissant des chercheurs et des médiateurs, pour produire des contenus vulgarisés sur la crise sanitaire en France. En revanche, le second semestre risque d’être un peu plus compliqué. En disant cela, je ne pense pas qu’à mon cas personnel, mais aux médiateurs scientifiques en général comme à d’autres professions, dont la vocation est d’intervenir devant des gens. Nous serons tributaires de la manière dont les institutions scientifiques, universitaires, et les collectivités territoriales qui font habituellement appel à nous conditionneront l’organisation d’événements en présence d’un public. Bref, je fais partie de ces personnes qui seront probablement plus impactées dans les mois qui viennent que dans ceux que nous venons de vivre.
– Ne pâtissez-vous pas déjà du fait de ne plus pouvoir intervenir devant un public ? Car, la première fois que je vous ai vue, c’était lors de la finale de Ma thèse en 180 secondes de l’Université Paris-Saclay que vous animiez devant une salle comble… Cela ne vous manque-t-il pas ?
Si bien sûr. En tant que médiatrice scientifique, j’interviens régulièrement devant un public et j’aime ça. Cela dit, si les institutions avec lesquelles j’ai l’habitude de travailler ont arrêté d’accueillir du public, les gens n’en ont pas moins répondu présent, et plus qu’à l’ordinaire. Et pour cause : étant chez eux, ils ont été plus disponibles, même si beaucoup télétravaillaient. Internet s’est révélé un puissant moyen d’interaction. Naturellement, je n’ai pas découvert cet outil à l’occasion du confinement. J’avais déjà créé une chaîne YouTube et ouvert mon compte Twitter en 2015. Mais c’est la première fois que j’ai constaté une demande aussi forte d’information. Les gens voulaient en savoir plus sur le virus et la pandémie, et se sont donc rués sur internet. Des institutions ont cherché à y répondre en adaptant leur façon de faire, en mettant en place des conférences en direct (des Webinars) et non plus de simples rediffusions. Des associations ont conçu des lives via la plateforme Twitch, qui permettent d’avoir plu d’interactivité avec le public – pour ceux que cela intéresse, ils sont en grande partie recensés sur cette plateforme [pour y accéder, cliquer ici]. Certes, nous sommes loin de la qualité des échanges qu’on peut avoir en face à face, mais, justement, des tests ont été faits pour créer des conditions d’interactions qui s’en rapprochent.
– Et la pandémie, comment l’avez-vous appréhendée ? Quel défi représente-t-elle pour une démarche de médiation scientifique ?
Il se trouve que je suis virologue de formation – j’ai fait une thèse en virologie fondamentale. Le SARS-CoV-2, à l’origine de la pandémie, étant un virus émergent, forcément, il ne pouvait qu’attiser ma curiosité. Dès le mois de janvier, j’en ai suivi l’évolution. Au début, cela paraissait un problème lointain, affectant les pays d’Asie, puis il y a eu ce basculement que nous avons tous vécu : ce virus était entré dans notre quotidien. Le défi a été d’y faire face, d’en mesurer la dangerosité tout en restant rationnel, en se fondant sur les informations scientifiques alors disponibles. Aujourd’hui, les questions restent nombreuses. Le déconfinement ne signifie pas que nous soyons sortis de la crise. Le virus n’a pas disparu. De nouveaux clusters se déclarent encore en France et la situation est très compliquée dans d’autres pays. Il nous faut rester vigilants.
– Qui d’entre la virologue et la médiatrice a été la plus sollicitée ?
Au premier stade de l’épidémie, les questions qui se posaient étaient des questions de virologie – quelles sont les propriétés du virus ? Quelle en est l’origine ? Quelle est sa persistance sur les surfaces ? Etc. Puis, très vite, les questions qui intéressaient le plus les gens se sont mises à relever davantage de l’épidémiologie – comment le virus se propage ? Comment se transmet-il ? Etc. Aujourd’hui, elles portent sur les traitements, les vaccins, la recherche biomédicale. Ce qui relève encore d’autres domaines. Tant et si bien que, après avoir répondu aux sollicitations en tant que virologue, je suis davantage intervenue en tant que médiatrice scientifique. Si, à ce propos, j’ai un regret à formuler, c’est par rapport à la manière dont la communication autour de cette crise sanitaire a été gérée. Je trouve que les instituts de recherche ne se sont pas assez appuyés sur les Centres de culture scientifique, technique et industrielle (CCSTI) et autres structures de ce genre, qui ont les compétences pour mettre les savoirs scientifiques à la portée de chacun. J’ajoute que si, eux, ont le réflexe de se tourner vers des chercheurs, pour ne serait-ce que vérifier leurs informations, l’inverse n’est pas toujours vrai : les institutions de recherche n’ont pas aussi souvent celui de solliciter des professionnels de la culture scientifique. Certes, elles ont l’habitude de s’adresser directement au grand public, mais en en restant le plus souvent sur un registre de communication. Or, dans un contexte de crise sanitaire comme celui que nous connaissons, nous ne pouvons pas nous en tenir à cela. Il y a un vrai travail de vulgarisation à entreprendre. Certains chercheurs ont développé individuellement ce savoir-faire. De même que des médecins. Plusieurs ont d’ailleurs gagné en visibilité au cours de la crise. Mais, globalement, la communication aurait gagné à s’appuyer sur les compétences des professionnels de la vulgarisation.
– Je note cependant que tel un caméléon, vous avez su passer d’un statut (virologue de formation) à un autre (médiatrice scientifique) avec toute la modestie que cela suppose, car c’est le savoir d’autres spécialistes que vous vous êtes employée à rendre accessible…
En effet, il y a quelque chose de l’ordre du caméléon… Mais c’est comme tout : ça s’apprend.
– Qu’en est-il du modèle économique d’une médiation scientifique par temps de pandémie ? Du côté des artistes, des voix se sont élevées pour mettre en garde contre le risque de généraliser la gratuité des interventions sur le net. Qu’en est-il pour les médiateurs scientifiques ?
C’est une vraie question, dont je ne cache pas qu’elle me préoccupe pas mal. Non que la crise sanitaire ait créé de nouveaux problèmes – je pense qu’elle n’a fait qu’exacerber ceux qui existaient déjà, notamment au regard du financement de la culture scientifique. En France, celle-ci fonctionne encore beaucoup sur la base du bénévolat. Lors de la Fête de la Science, pour ne prendre que cet exemple, la grande majorité des intervenants sont des chercheurs qui ne demandent qu’à partager leur passion de la science, à titre gracieux. Certes, certaines structures comptent des salariés, mais elles sont peu nombreuses, loin de représenter le modèle standard par rapport à l’ensemble du contenu produit. Les vidéastes culturels qui ont créé, comme moi, leur propre chaîne YouTube, en tirent peu de revenus. D’après l’enquête que j’avais menée en 2018 auprès de 190 d’entre eux, la moitié y perdent même de l’argent. Or, une chaîne YouTube, c’est beaucoup de travail en plus d’impliquer des investissements dans du matériel. Certes, le confinement a été propice à l’éclosion de nombreuses initiatives empreintes de beaucoup de créativité, mais désormais se pose la question de leur pérennité. Ce qui a été mis en place pour composer avec les contraintes du confinement mérite-t-il d’être maintenu par rapport à ce qui se faisait avant ? La question se pose aussi pour moi. Depuis que les laboratoires ont rouvert, les chercheurs, qui ont participé au collectif Kezacovid sont moins disponibles, ce que je peux comprendre. Pourtant, la démarche reste pertinente. Comment la pérenniser? Pour l’heure, je n’ai pas encore de début de réponse à cette question. Le ministère de la Culture a certes lancé un appel à projets, mais on voit les limites de ce genre de dispositif. Non seulement cela reste ponctuel, mais pour y candidater, il faut débloquer au moins 50% de son budget ailleurs et avoir un projet d’envergure nationale. Pas évident à mettre en place pour une petite structure, surtout quand les délais de candidature sont courts. Globalement, dans l’hypothèse où ces initiatives mises en place pendant le confinement se maintiendraient, la question se posera de savoir comment les intégrer dans un modèle économique viable – on en revient à votre question – et avec quelles autres compétences et éventuellement, quel matériel supplémentaire, si on veut progresser au plan technique. Là encore, je n’ai pas de réponse. C’est un chantier qui s’ouvre devant nous, et qu’il me semble valoir la peine de suivre de près.
– En attendant, quel est le prochain rendez-vous que vous nous proposez ?
Pour vous renseigner sur les initiatives et les questionnements des acteurs de la culture scientifique pendant le confinement, les rencontres professionnelles confinées mises en place par l’Ecole de la médiation sont une vraie mine d’or [pour y accéder, cliquer ici]. Sur un plan plus personnel, ma principale occupation ces derniers mois a été de travailler à l’écriture d’un livre sur les virus, dont je n’avais pas anticipé qu’il puisse autant coller à l’actualité… même si le propos de cet ouvrage sera justement de parler de tout ce qui concerne les virus, sauf des maladies qu’ils peuvent causer. J’entre dans la dernière phase de travail du texte et je vous donne rendez-vous à l’automne pour sa sortie !
Pour accéder à l’entretien que Tania Louis nous avait accordé à l’issue de la finale de Ma thèse en 180 secondes – Université Paris-Saclay, cliquer ici.
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