Suite de nos échos au vernissage de l’exposition des œuvres des étudiants des Masters « Interaction » et « Human Computer Interaction » de l’Université Paris-Sud/Paris-Saclay, à travers, cette fois, le témoignage de trois d’entre eux – Ayoub, Ifthihar et Abdelkrim – dont l’installation nous met dans la peau d’une personne dans une situation problématique et ô combien courante…
Ils s’appellent Ayoub, Ifthihar et Abdelkrim. Ils sont inscrits en Master 2 Human Computer Interaction (HCI) de l’Université Paris-Sud/Paris-Saclay. Un choix tout sauf fortuit. Trois ans avant de s’y inscrire, Ifthihar (à droite sur la photo) dit même n’avoir eu que ce Master en tête. Comme les autres étudiants de leur promotion, ils ont dû se constituer en équipe pour les besoins de l’ « œuvre » à réaliser. Rien de plus facile pour eux : ils se connaissaient déjà. Depuis leur bac, ils ont poursuivi les mêmes études : en IUT, d’abord, puis en Licence et Master à Paris-Sud. Tous trois se sont intéressés très tôt aux interactions Homme-Machine. Ayoub (à gauche) va jusqu’à parler d’un rêve : « Depuis longtemps, je souhaitais me former aux différents outils permettant de créer des interfaces ». Dès la première année de DUT, lui et ses deux comparses ont donc systématiquement choisi les options proposées dans ce domaine des Interactions Homme Machine.
En anglais…
Le 23 janvier dernier, ils exposaient leur installation au PROTO204, au milieu de celles de leurs camarades de promo. La leur était bien dans l’esprit du Master : le visiteur était invité à cliquer sur des cases en y positionnant un curseur à distance, avec le bras puis en prononçant le mot OK, fût-ce quand même avec un peu d’assistance humaine, celle de nos trois étudiants-concepteurs, prêts à parer à tout dysfonctionnement ou à orienter le visiteur en cas d’hésitation.
Pour ce dernier, il s’agissait de répondre à des questions successives en un laps de temps donné. D’abord, en faisant correspondre une couleur avec une case qui en porte le nom (seul piège à éviter : son fond est, lui, d’une autre couleur…). Puis en évaluant le prix de différents articles (maillot de footballeur, baskets, voiture,…).
… puis en arabe
Jusque-là tout va bien. Puis tout d’un coup, un premier mot apparaît en arabe… Nos trois étudiants sourient à voir notre réaction, mais nous guide avec bienveillance en attirant notre attention sur des indices susceptibles de nous aider (en l’occurrence, les représentations d’un retour chariot et d’une souris, qu’on peut distinguer au milieu d’indications en arabe). Les choses n’en vont pas moins en se compliquant : comme précédemment, il s’agit d’évaluer le prix de biens, mais, cette fois, en chiffres arabes… Le laps de temps s’est écoulé avant que nous soyons parvenu au terme de l’exercice. On se console en constatant que c’est le cas de la plupart des personnes nous ayant précédé (13 contre 4 ainsi qu’indiqué sur les post-it arborés par Yaoub et Ifthihar).
On se console aussi en découvrant le fin mot de l’histoire : tout cela n’avait pas d’autre intention que de nous faire éprouver les difficultés d’un migrant arabophone qui se retrouverait dans un pays étranger sans en maîtriser la langue. De fait, nous pouvons en témoigner : au moment du passage de l’anglais à l’arabe, on se sent comme perdu, sans plus de repères. L’effet de surprise est plus grand que ce à quoi s‘attendaient nos trois étudiants. Yacoub : « Malgré notre assistance, les utilisateurs peinent à trouver une voie de sortie. Une fois que l’on passe à l’arabe, ils cliquent au petit bonheur la chance » (un peu comme nous, reconnaissons-le).
Dans la peau du migrant
Le sujet tenait manifestement à cœur nos trois étudiants. Et pas seulement parce qu’ils ont été touchés par le sort des migrants, mais parce que c’est aussi un peu leur histoire : tous trois sont issus de l’immigration et gardent, pour certains, le souvenir de grands-parents arrivés en France sans maîtriser totalement le français.
Leur installation, ils l’ont cependant aussi conçue comme un moyen de montrer l’utilité du numérique et de ses outils pour sensibiliser à un enjeu sociétal. En cela encore, elle est bien dans l’esprit du Master, tel que nous l’a rappelé une de ses responsables, Sarah Fdili Alaoui, dans l’entretien qu’elle nous a accordé (pour y accéder, cliquer ici).
Nous ne pouvons nous empêcher d’imaginer une suite, la transformation de cette installation en forme de prototype en un dispositif qu’on placerait en divers lieux, auprès des enfants, mais aussi des adultes. Non sans exclure non plus de s’appuyer sur le cas extrême du migrant pour améliorer le sort d’autres catégories de populations. Un peu dans l’esprit de ces Ateliers de mobilité que la RATP avait expérimentés dans les années 2000 pour aider justement des personnes en situation de fragilité au plan de la mobilité (illettrées, malvoyantes ou touristes non francophones,…) à se repérer dans la signalétique du métro.
Nous n’avons donc pu nous empêcher d’encourager nos trois concepteurs à développer leur installation… Sauf que ce n’est pas dans leur intention. Ifthihar : « Nous sommes les premiers surpris à être allés aussi loin ». Lui et ses comparses se disent déjà satisfaits du petit effet qu’elle a produit et espèrent que ceux des visiteurs qui l’ont testée prendront mieux conscience des difficultés à se mouvoir et, donc, à s’intégrer dans un pays dont on ne maîtrise pas la langue. Ils espère aussi que ces mêmes visiteurs en parleront autour d’eux. Nous nous y engageons. En commençant par cet humble témoignage en forme d’article.
A lire aussi l’entretien avec Clarisse Lawson, qui, avec deux camarades de promotion, a conçu une installation à base de réalité virtuelle et augmentée pour partager le récit de migrants syriens… (pour y accéder, cliquer ici).
Journaliste
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