Cursus de spécialité : des produits (presque) comme les autres
Entretien avec Olivier Gicquel, professeur et directeur des formations à CentraleSupélec
Suite de nos entretiens sur les diplômes de spécialité mis en place par CentraleSupélec avec, cette fois, les précisions d’Olivier Gicquel, professeur et directeur des formations.
- Pouvez-vous, pour commencer, rappeler les constats qui vous ont amenés à élaborer ces nouveaux cursus de spécialité ?
Olivier Gicquel : Deux constats nous y ont conduits. Le premier, ce sont les besoins exprimés par nos partenaires industriels, en ingénieurs non plus seulement généralistes, mais également spécialisés dans un domaine technologique et industriel. Ils ont fait le constat qu’en France les grandes écoles ne formaient pas assez d’ingénieurs ayant ce profil. Le second constat : des élèves ne trouvent plus toujours de plaisir à poursuivre un cursus généraliste. Un élève passionné d’informatique n’aura pas forcément envie de consacrer son temps à suivre des cours en physique ou en mécanique, par exemple. Les nouveaux cursus répondent à l’un et l’autre de ces constats : ils permettent d’approfondir les connaissances dans un domaine précis.
- N’empêche, je ne peux manquer de m’étonner de cette spécialisation à l’heure où l’entrée dans l’ère du numérique semble incliner à décloisonner les domaines d’expertise, à les rendre à tout le moins plus poreux… À vous entendre vous et vos collègues, je comprends cependant que, par spécialité, vous désignez une dominante qui n’exclut pas des enseignements transversaux avec les autres spécialités…
O.G. : En effet et, d’ailleurs, nos partenaires industriels continuent à être attachés au profil généraliste des ingénieurs que nous formons. Ils considèrent juste qu’ils n’ont pas toujours une connaissance approfondie d’un domaine spécifique. Il s’agit donc de leur assurer plus d’heures de cours, mais aussi de TD et de TP dans l’une ou l’autre des spécialités. Plutôt que d’allonger la durée du cursus ou de densifier le programme existant, nous avons opté pour une autre solution : soustraire des cours des disciplines trop éloignées sans sacrifier pour autant les enseignements, touchant aux soft skills (en management de projet, d’équipe, etc.) – une autre demande de nos partenaires industriels qui considèrent que de tels enseignements permettront à leurs futurs ingénieurs de se poser les bonnes questions et d’y apporter les bonnes réponses, de mener à bien un projet, de l’idée jusqu’à la mise sur le marché. Ces enseignements représentent encore 30% des heures de cours. En revanche, nous avons réduit le spectre des domaines scientifiques couverts par le cursus généraliste. Concrètement et pour ne prendre que cet exemple, les élèves de la spécialité Électronique n’auront plus de cours de mécanique. Ce qui ne les empêchera pas de se retrouver au cours de leur carrière chef de projet d’un système complexe, un radar, par exemple, qui par définition mobilise différents domaines, y compris la mécanique. Ce sont précisément l’acquisition des soft kills qui les rendra à même de piloter un tel projet.
- Ajoutons que ces spécialités ont vocation à les préparer à devoir s’adapter à des évolutions futures, qu’on ne peut anticiper…
O.G.: Tout à fait. Pour cela, ils pourront s’appuyer, d’une part, sur un socle de sciences fondamentales liées à leur domaine de spécialité et, d’autre part, sur un socle de cours à vocation plus applicative, le premier socle étant destiné à leur permettre d’appréhender les évolutions futures qu’aujourd’hui on ne connaît pas encore.
- On imagine le travail réalisé en amont pour parvenir à la construction des maquettes des six cursus de spécialité. Dans quel état d’esprit êtes-vous à quelques mois du recrutement des premières promotions ? A-t-il à voir avec celui de l’entrepreneur innovant, voire le startupper qui s’apprête à lancer son produit, son application, en appréhendant la manière dont il/elle sera accueilli.e par le marché, malgré tout le travail consenti en amont, du prototypage au Bêta test, pour s’assurer du succès ?
O.G. : [Sourire]. Nos ingénieurs, nous les formons de façon à ce qu’ils aient des compétences techniques, mais aussi, je l’ai dit, des soft kills pour piloter un projet, manager une équipe, valoriser leurs futurs produits, faire en sorte qu’ils rencontrent leur marché. Ce qui vaut pour eux vaut pour nous, mes collègues enseignants-chercheurs et moi. Pourquoi ne pas le dire ? Nous sommes très contents de nos « produits ». À en juger par les réactions de nos futurs clients qui ne sont autres que nos partenaires industriels, ils correspondent à leurs attentes. Il nous faut maintenant convaincre d’autres « clients » : les élèves qui sortent de classes préparatoires ou de licence et qui passeront les concours d’admission aux écoles d’ingénieur. Étant entendu que ce vivier de recrutement est non extensible. Il y a donc en cela une prise de risque. Nous saurons début août, à l’issue des premiers recrutements, si nous avons fait les bons choix. Donc oui, il y un peu de stress, mais comme pour tout lancement d’un nouveau produit !
- Précisons que les spécialités seront proposées dans vos campus de Rennes et de Metz. Qu’en sera-t-il néanmoins des interactions des futures promotions avec l’écosystème de Paris-Saclay et notamment votre campus de Gif-sur-Yvette ?
O.G. : Effectivement, les élèves de ces cursus seront localisés pour cinq d’entre eux, dans les campus de Rennes et de Metz, durant l’intégralité de leur durée, soit trois années, pour un cursus localisé pour la moitié du temps à Rennes et l’autre moitié sur le campus de Gif-sur-Yvette – le cursus de spécialité Électronique. Cela étant dit, nous considérons que nous formons d’abord des ingénieurs de CentraleSupélec, qu’ils soient généralistes ou de spécialité. Il y a juste plusieurs voies pour devenir ingénieur diplômé de CentraleSupélec. Tous les élèves en cursus de spécialité vivront le même week-end d’intégration. De même, le Forum, un autre temps fort de la vie étudiante de CentraleSupélec, mobilise l’ensemble de nos campus. ou encore la cérémonie de remise des diplômes. Ceux des élèves en spécialité qui voudront faire de l’entrepreneuriat bénéficieront du même accompagnement de « 21st », le programme d’entrepreneuriat de CentraleSupélec, déployé sur le campus de Gif-sur-Yvette et Station F ; ils auront accès aux mêmes enseignants-chercheurs et accompagnateurs ; ils pourront participer à la Start-Up Week, organisée dans le bâtiment Eiffel. Certes, l’idée n’est pas de les contraindre à démultiplier les déplacements, mais de leur permettre de vivre les événements les plus fédérateurs, au cœur de la formation d’ingénieurs de l’école.
- Rappelons que les campus sont connectés via la gare Massy TGV…
O.G. : Vous faites bien de le souligner. Metz et Rennes ne sont qu’à 1 h 40 – 2 h suivant le train. Précisons que la Gare TGV de Rennes est reliée au campus par le métro tandis que celui de Metz l’est par un bus en site propre. Et puis, bientôt, en 2026, nous disposerons de la ligne 18 du Grand Paris Express qui nous connectera aussi bien à Massy qu’à Paris. C’est dire si c’est à l’échelle de l’ensemble de nos campus qu’il faut raisonner en veillant à cultiver toutes les synergies possibles.
Journaliste
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