Se définissant comme un « serial entrepreneur », Bruno Martinaud enseigne la création d’entreprise et l’innovation à l’Ecole polytechnique dont il dirige le master entrepreneuriat. Il vient de publier un ouvrage passionnant, à l’attention des porteurs de projet de start-up, en n’hésitant pas à emprunter ses références… au cinéma, à la philosophie ou encore à la physique quantique…
« Que la force soit avec toi ! » Les fans de la saga de la Guerre des étoiles auront reconnu la formule assénée par le vieil Obiwan Kenobi au jeune Luc Skywalker. C’est également l’encouragement que prodigue l’auteur de Start-up. Anti-bible à l’usage des fous et futurs entrepreneurs (éditions Pearson, 2013), qui enseigne on ne peut plus sérieusement la création d’entreprise et l’innovation dans la prestigieuse Ecole polytechnique, à ceux qui rêvent de créer leur start-up.
C’est que de la force, il va leur en falloir pour assumer des risques, surmonter les échecs, affronter l’incertitude inhérente à toute création d’entreprise innovante, convaincre des investisseurs très sollicités, déjouer la terrible probabilité qui veut que sur des milliers de créateurs, seule une poignée deviendront des Bill Gates et autres Steve Jobs.
L’auteur sait manifestement de quoi il parle : en plus d’enseigner la création d’entreprise et l’innovation, il se définit non sans humour comme « serial entrepreneur ». Et manifestement, à le lire, le goût pour l’entrepreneuriat ne l’a pas quitté.
Et le lecteur lui-même, porteur ou pas d’un projet de start-up, se surprend à se trouver de la passion pour cet entrepreneuriat tourné vers l’innovation, que l’auteur fait découvrir sous un autre jour. D’ordinaire, qui dit création d’entreprise, pense investissements, fiscalité, sans oublier business plan. Il en est question dans ce livre. Mais là n’est pas l’essentiel (même si tout un chapitre est consacré à ce dernier et à l’art et la manière de le présenter devant un parterre d’investisseurs potentiels, mais pressés). L’important, pour entreprendre, c’est de savoir faire des pas de côté, poser un regard différent sur le monde, observer, être à l’écoute.
« Pour avoir pratiqué puis enseigné l’entrepreneuriat, explique-t-il, il me semble, à la lumière de cette expérience, que l’entrepreneur a surtout besoin, plus que d’une méthode générique en dix étapes sur la bonne façon de créer son entreprise, qu’on l’aide à regarder sous différents angles une réalité complexe, floue, impalpable et par nature contextuelle, afin de se déterminer, sans jamais oublier la dynamique exploratoire et profondément itérative du processus entrepreneurial. »
De là le parti pris de cette « anti-bible », proposant un regard nouveau « entre avancer au hasard, et suivre pas à pas la recette ultime de la start-up innovante. » Dès lors, l’entrepreneur innovateur, tient davantage de l’explorateur (il prend des risques), du voyageur (il parcourt plusieurs étapes) voire du surfeur. « Il cherche une vague semblable à celles qui ont porté Google, Facebook et plus tôt Apple, Cisco, Business Object, et par conséquent, il passe l’essentiel de son temps dans l’eau à ramer, attendant le moment exceptionnel. Il doit donc savoir laisser passer les petites vagues, ignorer les plus grosses sans potentiel, pour choisir celle sur laquelle il pourra s’exprimer, à l’exclusion de toutes les autres. »
Comme d’autres, Bruno Martinaud fait sienne cette notion répandue dans les pays anglo-saxons, mais qui commence à faire florès en France, à savoir la « sérendipité », cet art de trouver ce qu’on n’a pas cherché mais qu’on était cependant disposé à découvrir, moyennant justement un sens de l’observation.
Certes, il n’y a que quelques élus pour des milliers de tentatives, mais les entrepreneurs, qu’ils réussissent ou qu’ils échouent (provisoirement), participent d’un même écosystème. « Google n’aurait jamais existé sans les 99 999 entreprises qui ont, au même moment, échoué ou moins réussi.» Gare donc à ne pas trop stigmatiser l’échec (un conseil qui s’adresse autant aux candidats à la création d’entreprise qu’aux pouvoirs publics) et, surtout, à ne pas le ressasser. Citant Tina Seelig, la directrice du Stanford Technology Venture Program, Bruno Martinaud recommande de « savoir échouer vite et fréquemment, à moindre coût et toujours avec élégance »…
Au final, il aborde peu les aspects techniques et opérationnels de l’entrepreneuriat et puise à peine dans la littérature managériale. Ses références et citations, il les emprunte au cinéma, comme on l’a vu, mais aussi à la philosophie, voire… à la physique quantique dont le père fondateur, le physicien autrichien Werner Heisenberg, rappelle-t-il, considérait que « regarder le monde différemment, c’est déjà changé le monde ». Quel rapport avec la création d’une start-up ? Aucun en apparence. Mais en apparence seulement. Car s’il y a un conseil à retenir, ce pourrait bien être celui-ci.
Cependant, l’auteur ponctue son propos de nombreux exemples concrets. Et histoire sans doute de rappeler que dans le monde merveilleux des start-up, rien n’est décidément acquis, il clôt chacun de ses chapitres par des « anti-exemples » : des cas de start-up et d’entrepreneurs qui ont réussi en prenant l’exact contre-pied des conseils qu’il vient justement de prodiguer dans les pages qui précèdent.
Le lecteur l’aura compris : à défaut de créer une start-up, nous ne saurions trop lui conseiller d’entreprendre… la lecture de ce livre.
Journaliste
En savoir plus