« Créer une start-up, c’est quelque chose de sérieux » (2).
Suite de la rencontre avec Jakob Hoydis qui revient sur le rôle de l’écosystème de Paris-Saclay dans la création de Spraed, start-up incubée encore pour quelques mois à IncubAlliance.
Pour accéder à la première partie de la rencontre avec Jakob Hoydis, cliquer ici.
– Quinze mois après sa création, comment va Spraed ?
Depuis plus de six mois, nous poursuivons les tests au travers d’un millier de Bêta-testeurs, qui nous font bénéficier de leurs feed-back pour les ultimes améliorations. Le produit est prêt. Nous allons pouvoir commencer la phase de communication. Cependant, à l’heure où je vous parle, nous avons épuisé notre première levée de fond – une levée de type friends and family, effectuée fin 2013, juste après la création de la société et qui nous a permis de disposer de 50 000 euros (au total, cinq personnes ont investi dont ma femme). Nous venons de faire le tour des sources des financements publics (BPI France, de Scientipôle initiative, etc.). Le moment est venu de solliciter les investisseurs privés.
– Que vous ont apporté les divers prix reçus à ce jour ?
Nous avons effectivement reçu des prix. François [ Mériaux ] a reçu celui du meilleur étudiant entrepreneur 2014 (prix AEF). Ensemble, nous avons reçu le 3e prix du meilleur business plan au terme du programme Challenge + d’HEC auquel nous avons participé. Malheureusement, ces prix n’ont rien de sonnant et trébuchant ! Cela étant dit, ils nous ont été très utiles pour gagner en visibilité. Ce sont aujourd’hui des atouts pour convaincre des investisseurs.
– Considérez-vous que les conditions sont réunies pour aider à l’amorçage d’une start-up, en France ?
Oui, indéniablement. Le processus de création de Spraed s’est fait naturellement : très vite, nous avons été orientés vers IncubAlliance, qui nous a ensuite mis en contact avec BPI France et Scientipôle Initiative. Challenge + nous a permis de nouer d’autres contacts précieux. Bref, nous n’avons rencontré aucun frein.
– Quel intérêt y a-t-il à entreprendre à Paris-Saclay ?
Pour nous, c’était un choix naturel : François et moi avons fait des études à Supélec et c’est dans cette école que nous avons été incités à poursuivre notre projet. Quand s’est posée la question du choix de l’incubateur, nous avons été naturellement orientés vers IncubAlliance, sans même prendre la peine de regarder ce qui se faisait ailleurs (conseiller auprès de la direction de Supélec, Jean-Michel Le Roux en avait été directeur). Cependant, avec le recul, nous devons à la vérité de dire que, pour une start-up comme la nôtre, qui développe une application mobile, c’est davantage à Paris qu’il faut être.
– Envisagez-vous en conséquence de vous « délocaliser » ?
Oui. Au terme de notre période d’incubation, nous espérons trouver des locaux ou un accélérateur à Paris. Non sans regret. Car le Plateau de Saclay et ses vallées ne manquent pas d’avantages. Ici même, à IncubAlliance, nous sommes un peu à l’écart de l’effervescence et ce n’est pas forcément un mal. Nous ne sommes pas dans un Openspace, à travailler au milieu d’autres personnes. Nous disposons de nos propres bureaux. Nous avons le temps de réfléchir tranquillement. C’est important pour des personnes qui, comme François et moi, viennent de la recherche. Et puis, nous avons gardé des liens forts avec le Laboratoire des signaux et des systèmes (L2S), l’Unité Mixte de Recherche CNRS/Supélec et Paris-Sud où nous avons fait nos thèses. Il est plus simple de s’y rendre depuis IncubAlliance que depuis Paris.
– Dans quelle mesure les conditions de transport pour se rendre à Paris ont-elles pesé dans votre décision ?
Ce n’est pas le principal motif. Il se trouve que François et moi habitons Paris. Pour ma part, j’habite dans le XIVe arrondissement, à deux pas de la station Denfert-Rochereau de la ligne B du RER. Cela me prend à peine plus de trois quarts d’heure pour me rendre à IncubAlliance, de porte à porte. Personnellement, cela ne me pose pas de problème, au contraire. N’ayant pas de correspondance, c’est l’un des rares moments où je peux lire, de surcroît en étant assis. Après 30 minutes de RER, il ne me reste plus qu’une quinzaine de minutes de marche, ce qui me permet d’arriver dans un bon état d’esprit. François habite plus loin. Les trajets lui prennent donc plus de temps. D’ailleurs, lui comme moi ne nous rendons en moyenne que trois à quatre fois par semaine à IncubAlliance. C’est autant de temps en moins de perdu dans les transports en commun !
– Le transfert sur Paris ne signifierait donc pas tourner la page de Paris-Saclay ?
Non et ce d’autant moins que nous y avons désormais beaucoup d’amis. Et puis, il y a des lieux que j’apprécie énormément. Je pense en particulier au PROTO204.
– En quoi est-il intéressant ?
En ce moment, on sent beaucoup d’énergie sur le Plateau de Saclay, mais qu’on n’arrive pas encore à canaliser. On ne compte plus les séances de pitchs, les conférences et autres manifestations organisées ici et là sur la création de start-up. Tout cela gagnerait à être un peu plus structuré. J’ai l’impression que le PROTO204 s’impose justement comme le lieu de connexion entre les gens qui veulent avancer ensemble, mutualiser les ressources plutôt que de continuer à travailler dans leur coin. Naturellement, nous comptons nous-mêmes continuer à nous y rendre. Il n’est qu’à une dizaine de minutes à pied de la station Orsay-Ville de la ligne B du RER. Nous ne demandons qu’à contribuer au succès du Plateau de Saclay. Après tout, nous en sommes un peu les « enfants » !
– Sans oublier tous les bêta-testeurs du Plateau de Saclay, qui participent déjà à la communauté Spraed…
Oui et sans compter non plus la communauté des chercheurs que notre application pourrait aussi intéresser.
– Encore un mot sur votre profil à vous comme à François, un profil hybride s’il en est : vous êtes tout à la fois des ingénieurs, des chercheurs et des entrepreneurs… Ne vous différencie-t-il pas des startuppers habituels du monde du web ?
On touche là un autre atout de Paris-Saclay : François et moi, nous nous sommes rendus compte que la plupart des startuppers que nous croisions dans le monde du web ont effectivement un tout autre profil que le nôtre. Pour la plupart, ils viennent d’écoles de commerce (HEC, notamment) et sont orientés très business et marketing. Pour eux, la technologie semble secondaire. Au contraire de nous. C’est en ce sens que le Campus Paris-Saclay est important : il va contribuer si ce n’est déjà fait à concilier ces deux mondes. Nul doute qu’en sortiront des success stories.
– Vous-mêmes, François et vous, avez dû vous former au business…
Oui, bien sûr. François et moi sommes de purs scientifiques, sans compétences spécifiques en matière entrepreneuriale. C’est d’ailleurs pourquoi nous avons rejoint Challenge + pour parfaire notre apprentissage, en plus de ce que nous apporte IncubAlliance. Avec le recul, force est d’admettre que nous avons commis beaucoup d’erreurs et qu’il peut y avoir un risque à créer une start-up avec une équipe composée uniquement d’ingénieurs. François et moi, nous sommes des geeks, nous aimons la techno pour la techno. Au début, nous avons eu tendance à nous laisser absorber par le volet technique et pas assez l’enjeu commercial.
– Au-delà du couple techno-commercial, qu’en est-il du couple franco-allemand ? Est-ce facile de travailler avec un ingénieur de culture française ? Qu’en est-il des stéréotypes ?
(rire). Un Français et un Allemand peuvent très bien travailler ensemble autour d’un projet de start-up. La preuve ! Cela étant dit, les stéréotypes n’en restent pas moins vrais, parfois. Une anecdote pour l’illustrer : récemment nous devions remplir un formulaire pour l’accélérateur NUMA à Paris. Une question invitait à mettre en exergue un trait surprenant, nous concernant. Je ne voyais pas ce que je pouvais dire. C’est finalement François qui en a trouvé un, du moins à ses yeux : je n’avais jamais manqué une deadline ! Et pour François, c’était quelque chose de surprenant ! Toujours est-il que, c’est vrai, j’ai toujours tenu les échéances. Même ma femme le dit. J’ai tendance à toujours boucler les choses à l’heure voire même avant. François a plus tendance à remettre les choses à la dernière minute, quitte à devoir y passer la nuit, sans avoir auparavant essayé d’obtenir un délai supplémentaire ! Faut-il mettre mon attitude sur le compte de cette « rigueur toute germanique » ? Peut-être suis-je tout simplement d’une nature plus inquiète que François. Toujours est-il que nous sommes au final très complémentaires. Des deux, François est le plus visionnaire. Moi, j’ai besoin d’avancer étape par étape selon un ordre précis.
– Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui veut se lancer dans la création d’une start-up ?
Créer une start-up exige beaucoup de temps. On parle de « startuppers » comme pour suggérer un côté ludique. Or, créer une start-up, c’est quelque chose de sérieux. On n’en crée pas une à la légère, juste pour le fun. De là aussi mon scepticisme à l’égard de toutes ces manifestations invitant des jeunes à créer une start-up le temps d’un week-end. Certes, elles ont le mérite de les sensibiliser à l’entrepreneuriat innovant. Mais il ne faudrait pas laisser croire que créer une start-up peut se faire en claquant des doigts et qu’on en récolte instantanément les fruits. Pour escompter le même confort de vie qu’un salarié dans une grande entreprise, il faut travailler beaucoup et ce durant plusieurs années. Je peux en témoigner ! Il me faudra attendre encore quelques années, avant de retrouver le niveau de sécurité que que j’avais du temps où j’étais salarié. En disant cela, je ne veux pas décourager les candidats à la création de start-up, mais juste les mettre en garde.
A trop encenser l’entrepreneuriat, il ne faudrait pas non plus dévaloriser le salariat. On peut aussi s’épanouir comme salarié. Et puis quelqu’un qui crée une start-up aura tôt ou tard besoin de recruter du personnel, en plus de s’entourer d’associés.
– Dans l’entretien qu’il nous a accordé, Frédéric Capmas, du Centre entrepreneurial de l’IOGS (pour y accéder, cliquer ici), explique justement que la majorité des élèves de la Filière Innovation-Entrepreneurs (FIE), censée les préparer à créer leur entreprise, trouvent un emploi comme salarié. Ce dont ils ne se plaignent pas sans pour autant exclure de créer un jour leur entreprise. Que vous inspirent ces propos ?
Je pense qu’on gagnerait tous à suivre une formation à l’entrepreneuriat, même sans avoir de projet de création de start-up. Elle permettrait de mieux appréhender le monde de l’entreprise. Je recommanderai même de la dispenser à des chercheurs. Trop souvent, ceux-ci sont un peu dans leur bulle. Ils poursuivent leur recherche sans toujours savoir ce qu’il en coûte à leur centre de recherche, qu’ils travaillent d’ailleurs dans le public ou le privé. Ils se préoccupent juste de savoir si le budget qui leur sera alloué leur permettra ou pas de poursuivre tels ou tels travaux de recherche.
– Au-delà, quelle différence percevez-vous entre les deux pays – France et Allemagne – au plan de la recherche et de l’innovation ?
La principale concerne le statut du chercheur : il est plus valorisé en Allemagne qu’en France. De même que le diplôme de doctorat. Une différence qui tient au primat accordé ici aux grandes écoles d’ingénieurs. Résultat : la France compte de très bons chercheurs, mais qui, en plus d’être moins bien rémunérés, en sont réduits souvent à travailler dans de moins bonnes conditions. Qu’on ne s’étonne pas de les voir répondre aux sollicitations d’entreprises privés ou de start-up. Moi-même, autant je n’ai pas eu d’hésitation à m’installer en France pour y créer la mienne, autant j’aurais exclu d’y trouver un emploi de chercheur.
Pour accéder au portrait de François Mériaux, cofondateur de Spraed, cliquer ici.
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