Suite de nos découvertes des start-up d’IncubAlliance, avec, cette fois, Stilla Technologies, dont nous avons déjà eu l’occasion de parler sur le site Média Paris Saclay. Il est vrai que son concept de diagnostic génétique lui a d’ores et déjà valu plusieurs prix et récompenses. Témoignages de ses cofondateurs : Rémi Dangla et Clément Gay.
Un outil d’analyse génétique de haute sensibilité et haute précision, qui répond au besoin de diagnostics très performants imposés par la médecine de demain. C’est en ces termes que Rémi Dangla, le tout jeune président de la start-up Stilla Technologies en présente le concept. Une image valant mieux qu’un long discours, son associé Clément Gay use de celle-ci : « Dans un millilitre de sang, il y a autant de molécules d’ADN qu’il y a d’arbres dans la forêt amazonienne. C’est dire la difficulté à analyser des échantillons biologiques pour y détecter les traces génétiques d’un pathogène.» Or, explique Rémi, « dans de nombreuses applications cliniques en développement comme le suivi du cancer à partir de simples prises de sang, il est nécessaire de détecter et de quantifier précisément ses traces génétiques. La technologie que nous avons mise au point permet de le faire, très simplement et pour un coût acceptable par le patient. »
Démonstration à l’appui, au moyen d’une puce en plastique d’à peine 10 cm de long et 3 de large, se composant de quatre chambres qui accueillent chacune un échantillon biologique à analyser. Clément : « Pour réaliser l’analyse, il suffit d’injecter l’échantillon à analyser dans la puce. Les micro-canaux qui y sont gravés, sont à peine visibles à l’œil nu, mais vont permettre de diviser l’échantillon en dizaines de milliers de micro-gouttes. En quelques minutes, on obtient dans chaque chambre un tableau de 30 000 gouttes. Dans chacune d’elles, on révèle ensuite la présence de brins d’ADN d’intérêt par une réaction chimique. Il n’y a finalement plus qu’à dénombrer les gouttes selon leur coloration pour quantifier les traces génétiques des pathogènes recherchés. » Parmi les principales applications : le suivi thérapeutique destiné à vérifier l’efficacité d’un traitement et le diagnostic prénatal non-invasif.
Des cursus complémentaires
Telle est donc l’innovation proposée par Stilla Technologies, au croisement de l’ingénierie instrumentale et de la biologie. La start-up a été créée à l’initiative de Rémi avec le concours de cinq autres associés, dont Clément. Il y a encore deux ans, l’un et l’autre ne se connaissaient pas. Le premier a fait des études d’ingénieur à Polytechnique, durant les années 2005-09, prolongées par une thèse, au sein du laboratoire de mécanique des fluides de la même école.
Clément a, lui, poursuivi des études à HEC par un master en entrepreneuriat. « C’est à cette occasion que j’ai rencontré Rémi qui avait exposé son projet devant des élèves de l’école. » Six semaines durant, il l’accompagne pour la rédaction de son business plan. « Puis j’ai continué à échanger avec lui au point de finir par intégrer la société, à temps partiel, puis depuis avril 2013, à temps complet, en prenant en charge les aspects financiers. » Jusqu’alors il a consacré l’essentiel de son temps à montrer les dossiers de demande de subventions publiques. Aujourd’hui, il s’emploie à faire le tour des investisseurs privés dans la perspective de la première levée de fonds.
Créer son entreprise, Clément y songeait depuis plusieurs années déjà, sans qu’il n’y ait le moindre déterminisme familial dans cette inclination (ses parents ne sont pas entrepreneurs). Il mettra d’ailleurs à profit son année de césure, prévue dans le cadre de ses études à HEC, pour faire deux stages l’un, dans une start-up, l’autre, dans une société en pleine croissance. Une double expérience qui achèvera de le convaincre à faire son Master HEC-Entrepreneurs.
De son côté, Rémi reconnaît ne pas avoir eu de vocation particulière. « Pour tout dire, je n’ai jamais eu en tête de cursus tout tracé ni de plan de carrière. Pas plus que je n’avais prévu de créer une entreprise, je n’avais pensé faire une thèse de doctorat après mon cursus d’ingénieur. »
Un contexte favorable
Le contexte est cependant favorable à l’éclosion de vocation, même tardive. Universités et écoles s’ouvrent à l’entrepreneuriat. Surtout, la crise du marché de l’emploi fait évoluer les mentalités. Rémi : « Il y a dix ans, tout Polytechnicien qui entrait sur le marché du travail était assuré de trouver un beau poste dans une grande entreprise ou l’administration. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. La création d’une start-up est une manière de créer son propre emploi. »
Dans son cas, l’idée d’en créer une s’est imposée au cours de sa thèse. « J’avais développé une solution innovante pour créer et déplacer des micro-gouttes, ce qui avait donné lieu au dépôt de pas moins de quatre brevets. » Naturellement, la question s’est posée de savoir comment les valoriser. C’est ainsi qu’est né le projet de Stilla Diagnostic devenue ensuite Stilla Technologies.
La société voit effectivement le jour en septembre 2013 avec deux autres associés, d’horizons disciplinaires différents : Magali, qui a effectué une thèse en biologie moléculaire à l’Université de Warwick, et Charles, professeur à l’Ecole Polytechnique et diplômé du MIT, qui occupe un poste de conseiller scientifique. Depuis, en avril 2014, ils ont été rejoints par un cinquième associé : Etienne, ingénieur de Centrale Paris. Une équipe pluridisciplinaire, comme on le voit. Rémi : « C’était indispensable, compte tenu de la nature de notre innovation. »
Le choix d’IncubAlliance
Suite à quoi, les choses sont allées très vite. Stilla Technologies s’est vu décerner plusieurs prix : le prix Oseo Emergence, le prix de l’Innovation de Polytechnique, le prix de la Fondation Zodiac Aerospace Jean-Louis Gérondeau. Plus récemment, il a emporté le Concours Mondial de l’Innovation, organisé par le gouvernement français suite aux recommandations de la « Commission innovation 2030 » présidée par Anne Lauvergeon. Autant de prix qui contribuent au développement, de par la visibilité qu’ils confèrent mais aussi les récompenses sonnantes et trébuchantes auxquelles ils donnent lieu. Rémi : « De quoi financer la preuve de concept. »
Malgré cette reconnaissance et la formation de Clément, le besoin d’un incubateur s’est fait sentir. Rémi : « Au moment de créer la société, j’étais encore en thèse, sans la moindre notion en matière de gestion d’entreprise. » Lui et Charles font donc le tour des incubateurs existant en Ile de France. Le choix d’IncubAlliance s’impose très vite. Rémi : « Outre la proximité géographique avec mon laboratoire, il propose des formations continues et transverses. » Stilla Technologies l’intègre en 2012. Bénéficiant déjà de locaux au sein du Laboratoire de Mécanique des Fluides, ils n’envisagent pas de post-incubation. Naturellement, ils envisagent de rompre aussi le cordon ombilical avec celui-ci.
Voient-ils pour autant leur avenir à Paris-Saclay ? « En partie, seulement » tranche Rémi. « Je reconnais que ce territoire offre de vraies opportunités, de par le niveau de la recherche, les possibilités de rencontres… Ici, nous disposons de l’ingénierie dont nous avons besoin. Et puis d’ailleurs, c’est là que j’ai pu rencontrer Clément et bénéficier de ses compétences. » Mais, ajoute-t-il, « la santé et la biologie ne sont pas les points forts de Paris-Saclay. On y compte peu de CHU. » Or, en septembre, Stilla Technologies débute la collaboration avec des clients pilotes. « Il nous faudra donc nous rapprocher d’utilisateurs potentiels. C’est pourquoi, nous songeons nous rapprocher de l’Institut Gustave Roussy à Villejuif. »
Mais tout dépend de ce qu’on entend par Paris-Saclay… Dans l’esprit de nos deux start-uper, ce territoire se limiterait au plateau. En réalité, il est connecté à d’autres pôles dont le Genopole. Institut Gustave Roussy est d’ailleurs membre fondateur extra-territorial de Paris-Saclay !
Un contexte favorable, mais…
Et l’avenir de Stilla technologies, comment le voient-ils ? Rémi : « A défaut de calculer mon propre plan de carrière, je veille à inscrire l’entreprise dans une trajectoire de croissance. » Non sans se montrer confiant. Pour l’heure, Stilla Technologies a franchi sans encombre l’étape de pré-industrialisation avec la preuve du concept, aidée en cela par un contexte favorable à l’innovation, sur lequel nos deux entrepreneurs ne tarissent pas d’éloge. Avec néanmoins un bémol. « La France est généreuse en subventions pour les porteurs de projets innovants. Mais s’il est désormais facile de valoriser les résultats de la recherche et d’aller de l’idée au stade du prototype, les étapes suivantes, celles de l’industrialisation et de commercialisation restent difficiles à franchir, en tout cas plus que ce que nous avions pensé. » Passé ce stade, les subventions publiques se tarissent. Il n’y a alors plus d’autres solutions que de procéder à des levées de fonds. Dans le cas de Stilla Technologies, les besoins pour parvenir à la phase d’industrialisation et de commercialisation (programmée à la fin 2015) sont estimés à 2,5 millions d’euros, soit quatre fois plus que les subventions publiques obtenues à ce jour et les apports personnels. Or, en matière de levée de fonds, la France est encore en retard par rapport aux Etats-Unis. » A quoi s’ajoute cette défiance à l’égard de la jeunesse que l’on considère encore comme un handicap. Clément : « Combien de fois ne nous a ton pas dit : revenez plus tard, vous êtes encore un peu jeunes… »
Il en a manifestement fallu plus pour décourager nos deux start-upers qui se sont d’ores et déjà appliqués à cibler les centres de références et autres membres de réseaux prescripteurs et ce, à l’échelle européenne, en attendant de constituer leurs forces de vente.
Et s’ils devaient à leur tour donner des conseils à de futurs porteurs de projets ? Rémi avance celui-ci, pour commencer : « avoir un projet pertinent et ambitieux, à fort contenu technologique et répondant à de vrais enjeux de société. Ne pas hésiter à voir grand, à porter des projets apparemment irréalistes dans l’immédiat mais qui peuvent l’être moyennant un effort en R&D. »
Et Rémi d’en ajouter un autre : « Il ne faut pas hésiter à être actif voire agressif… Et c’est un ancien doctorant qui vous le dit. Dans le milieu de la recherche, on a l’habitude d’attendre que les financements soient versés sur le compte du laboratoire avant de mener ses travaux de recherche. Quand on monte une société, ce doit être l’inverse : il faut déjà investir et s’investir, quitte à prendre des risques. Le financement n’intervient qu’après, comme pour récompenser cette prise de risques. » Laquelle est… calculée. « Au sein d’une start-up, vous n’êtes pas seuls. Si je décide de prendre des risques, encore faut-il que je trouve les arguments pour convaincre mes associés d’en faire autant. »
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