L’architecte Gilles Delalex revient sur la genèse du Lieu de Vie qui doit ouvrir à la rentrée 2014 et sa vocation : créer de l’urbanité à travers des services de restauration et des activités sportives. Et au-delà, permettre à la foule virtuelle des chercheurs et étudiants de « s’incarner » en se donnant à voir.
Malgré des cheveux grisonnants, l’architecte Gilles Delalex (39 ans) a gardé des faux airs d’étudiant. Il est vrai qu’étudiant, il l’est resté de longues années, le temps de mener une thèse et de la soutenir à l’université d’Helsinski en art et design en codirection avec l’urbaniste François Ascher de l’Institut français d’urbanisme (IFU). Entre photographie et théorie, elle portait sur les infrastructures au regard des expériences quotidiennes de mobilité. A travers ses études, Gille Delalex a de surcroît fréquenté de nombreux campus européens et nord américains : outre celui de l’université finnoise, ceux de la Mc Gill University de Montréal ; de l’Ecole d’Architecture de Grenoble ; de l’université Libre de Bruxelles, de l’université de Tilburg (Pays-Bas) ou encore de la Manchester Metropolitan University !
Avant même sa soutenance, fort de l’expérience acquise dans des agences françaises (Ibos & Vitart, et Dominique Perrault), il a formé avec le franco-britannique Thomas Wessel-Cessieux et le belgo-hollandais Yves Moreau une première équipe pour mener une étude urbaine. Lauréat en 2003 du concours Europan à Villeurbanne, le trio décide de poursuivre cette collaboration en créant sa propre agence la même année. Muoto ? Un mot finnois qui signifie forme…
Le tout jeune studio débute en répondant à de petites commandes privées. Quelques années plus tard, il prend enfin son envol en engrangeant des commandes d’équipements publics et de logements plus ambitieux. Signe ce cet apparent succès : Muoto a quitté son local de quelques mètres carrés pour aménager dans un loft du Xe arrondissement.
Parmi les projets les plus emblématiques de cette agence qui n’a pas encore dix ans : la réhabilitation d’un bâtiment du XIXe siècle pour la délégation régionale du CNRS, abritant un auditorium. Situé à Meudon-Bellevue, avec vue imprenable sur Paris, il avait accueilli les ateliers d’Isadora Duncan. L’intervention de l’équipe s’est voulue « minimaliste et quasi artisanale » avec le souci de redonner au lieu son lustre d’antan par un travail sur les matériaux : plafonds en staff, parquet en bois de chêne, mosaïques, luminaires fabriqués sur mesure,… « Si nous avons fait de la concertation, c’est en somme, s’amuse Gilles Delalex, avec le lieu lui-même.»
Parmi les projets en cours : un bâtiment commandé par la Régie Immobilière de la Ville de Paris (RIVP) pour accueillir des logements, un centre d’hébergement et une crèche, un groupe scolaire à Clichy-la-Garenne et des bureaux en Seine et Marne.
Gilles Delalex a bien voulu répondre à nos questions relatives à l’autre projet qui concerne directement Paris Saclay : le Lieu de Vie qui doit voir le jour à la rentrée 2014.
– Comment a émergé cette proposition de Lieu de Vie hybridant restauration et activités sportives ?
Elle est née du programme lui-même ! Car, au final, en imbriquant de la restauration avec des activités sportives, c’est un nouveau type d’équipement que l’EPPS nous a demandé de concevoir. On peut imaginer qu’il y en aura d’autres. Mais pour l’heure, il n’y en a pas d’équivalents, hormis, peut-être, le basket bar d’Utrecht, et encore. Quant aux student centers – comme le Rolex Learning Center de Sejima, à Lausanne ou le McCornick center d’OMA, à Chicago, auxquels il peut éventuellement faire penser, ils n’accueillent pas d’activités sportives.
En outre, le Lieu de Vie est censé accueillir aussi bien des étudiants que des personnes extérieures qui travaillent ou vivent aux alentours, y compris pour la restauration, en proposant par conséquent un mixte entre le restaurant Crous et le restaurant d’entreprise.
– Aviez-vous somme toute procédé à un benchmarking ?
Le concours s’étant déroulé durant l’été 2011, j’ai profité de séjours à l’étranger à Chicago et à Lausanne (où je passais mes vacances !), pour visiter les bâtiments que je viens d’évoquer. L’un comme l’autre se déploient comme de grands paysages intérieurs : ce sont des bâtiments très horizontaux où l’on peut naviguer, de manière fluide, d’une activité à l’autre.
Seulement, cette conception horizontale n’était pas envisageable sur notre site, dans la mesure où le projet devait engager une densification du quartier, dans le souci de préserver les espaces ruraux. Dès lors, nous devions travailler sur la verticalité en superposant les activités. Le défi a été de parvenir à une circulation verticale aussi fluide que dans les réalisations horizontales.
– Comment avez-vous procédé ?
Nous avons réfléchi à rendre aussi naturel que possible le rapport entre les différents plateaux superposés, en disposant les activités comme sur des étagères, de façon à ce qu’elles soient visibles à distance, ces activités animant ainsi les façades du bâtiment. L’usager potentiel pourra les repérer de l’extérieur, comme il repère un livre sur une étagère. Il pourra s’y rendre au choix, en anticipant son cheminement, comme lorsque, pour gravir une montagne, on projette son chemin la face sud ou la face nord.
– Combien de temps a-t-il nécessaire à la gestation du projet ?
Entre la sélection et le rendu du concours, nous disposions de deux mois et demi. C’est à la fois peu et suffisant. Pas moins d’une quinzaine de maquettes ont été réalisées pour explorer les différentes formes d’agencement en strates. Parmi les idées, nous avions pensé à un club house sur le toit. Nous avions aussi comme référence le parvis de Beaubourg et son escalier extérieur qui mène à la terrasse. Finalement, nous nous sommes dit que c’est le bâtiment lui-même qui devait devenir l’escalier. Depuis, le projet a continué à évoluer, ne serait-ce que pour prendre en compte les recommandations de l’EPPS et du futur gestionnaire.
– Dans quelle mesure avez-vous projeté les envies de l’étudiant que vous avez été ?
Personnellement, j’ai été étudiant très longtemps. J’ai connu plusieurs campus, ceux de Grenoble, de McGill à Montréal, de l’université libre de Bruxelles, de la Metropolitan Manchester University, de l’université de Tilburg (Pays-Bas), de l’université d’art et design d’Helsinki, enfin, de l’université du Québec à Montréal.
C’est à cette dernière que j’ai souvent repensé. Elle est conçue dans le style dit « brutaliste » de nombreuses universités anglaises et américaines au sens où elles sont conçues à partir de matériaux bruts, des briques et du béton. La structure prime sur le reste : rien de superflu, pas de faux-plafond, ni de cloison. Les espaces intérieurs dégagent une force, qui semble pouvoir résister au temps. Surtout, ils favorisent la circulation. Ils sont connectés directement au métro, et chaque endroit est potentiellement un lieu de rencontre.
– Dans quelle mesure retrouve-t-on cet esprit dans le Lieux de vie qui semble au contraire jouer sur la légèreté ?
Dans ce souci de fluidité verticale entre les plateaux superposés, à travers un escalier extérieure qui se déploie à l’intérieur du bâtiment (naturellement un ascenseur est prévu pour les personnes à mobilité réduite). On peut y entrer tout en ayant l’impression de rester dehors. Le Lieu de Vie se donne complètement. Il ne cache rien de son intériorité. Il n’a pas de graisse, que ses os ! Sa chair, ce sont les gens et les activités auxquelles ils s’adonneront.
– Comment les activités elles-mêmes ont déterminé vos choix ?
De ce point de vue, le Lieu de Vie a été pensé comme un lieu ouvert 24/24h, un corner shop si vous voulez, ouvert de nuit comme de jour, du moins pour certaines activités. Le jour où il ouvrira, plus personne n’imaginera qu’il n’ait pas pu exister avant !
– N’est-ce pas présomptueux que de vous avancer ainsi ?
En disant cela, je pense juste à ce qu’on dirait d’une cafétéria ! Le jour même où on a pris l’habitude de s’y rendre, on n’imagine pas qu’elle n’ait pas existé avant !
– Travaillez-vous en amont avec le futur gestionnaire du lieu ?
Nous ne le connaissions pas au moment du concours. Nous sommes désormais en discussion. Au préalable, nous avions fait un scénario d’usage sur 24 heures pour imaginer ce qui devait rester ouvert, accessible, simultanément ou pas. C’est ainsi que nous en sommes venus à supprimer le principe d’un hall d’entrée. La présentation du programme nous l’a permis en suggérant de joindre une note sur les modifications que nous proposerions. Ce qui est peu courant.
Ainsi donc, le Lieu de Vie offrira plusieurs accès possibles, les plateaux devant être accessibles indépendamment des uns des autres. A travers notre scénario, la cafétéria est cependant apparue comme le lieu clé. Par son éclairage et son activité, elle constituera un point de repère lumineux.
– Dans quelle mesure le Lieu de Vie peut-il jouer un rôle moteur à la dynamique de cluster ?
Le Lieu de Vie reste un bâtiment de taille modeste (2 000 m2), mais il peut contribuer à créer de l’urbanité sur un territoire qui n’est a priori pas une ville. Avec les activités de sport et de restauration, ses hauteurs sous plafond, etc. il créera une ambiance urbaine qu’on ne retrouve pas d’ordinaire à la campagne ni même d’ailleurs dans tous les campus, loin de là.
– Comment concevoir une urbanité sans densité ?
L’urbanité d’un campus, comme d’ailleurs d’une ville, n’est pas forcément liée à sa densité physique. Elle peut se manifester d’une autre manière, à travers la foule par exemple. Beaucoup de villes compensent d’ailleurs leur faible densité par la capacité à drainer des foules à l’occasion d’événements ou de marchés réguliers. C’est particulièrement le cas de villes peu structurées, comme les villes africaines. Le Lieu de Vie est précisément une architecture de la foule. Même s’il sera vide à certains moments, on saura qu’il peut être plein à d’autres, qu’on peut y rencontrer des gens, de jour comme de nuit.
– Comment faire venir cette foule en l’état actuel des choses ? Cela n’implique-t-il pas des transports, des parcs de stationnement ?
Ces questions sont peut-être plus du ressort des urbanistes que du nôtre. Cela dit, le Lieu de Vie peut être aussi conçu comme un moyen de révéler cette foule, qui existe déjà, mais qui ne se donne pas à voir, faute de lieu justement favorisant les rencontres. La problématique de Paris Saclay est d’ailleurs peut-être celle-là : il y existe une foule virtuelle de chercheurs et d’étudiants, mais qui ne dispose pas de lieu pour se croiser. Peut-être que le Lieu de Vie permettra à cette communauté virtuelle de s’incarner, à travers les temps de restauration et d’activités sportives. De là sans doute notre souci de ne pas « capoter » le bâtiment ou de le couvrir d’un signe ou d’une d’enseigne. Ce qui fera signe, ce sont les activités qu’on pourra voir de l’intérieur comme de l’extérieur.
Journaliste
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