Chaire Master X IT&E : de l’innovation pédagogique pour de l’entrepreneuriat innovant
En avril dernier, l’École polytechnique annonçait la création, avec plusieurs partenaires, de la Chaire Master Innovation Technologique & Entrepreneuriat. Son directeur, Bruno Martinaud, que nous avions déjà eu l’occasion d’interviewer autour de son ouvrage sur les start-up, nous en dit plus sur sa genèse et ses ambitions.
– Comment l’idée de cette Chaire s’est-elle imposée ?
En réalité, elle a été conçue dès la mise en place du Master Innovation Technologique & Entrepreneuriat auquel je me consacre depuis maintenant plusieurs années. Sa création répond à une double ambition. La première : faire évoluer le Master vers un rôle de plateforme pour attirer des élèves au sein même de l’École polytechnique, mais aussi et peut-être surtout de l’extérieur, sur le Plateau de Saclay aussi bien qu’à l’international. A cette fin, nous avons mis en place un programme de bourses, à l’attention des élèves de l’École polytechnique, mais aussi d’établissements partenaires, pour financer notamment le programme d’échanges que nous avons mis en place avec Berkeley.
La seconde ambition est de disposer des moyens de mobiliser des outils pédagogiques originaux et pour tout dire innovants, qui permettent d’explorer ce champ spécifique sur lequel le Master s’est positionné, au croisement de la technologie et de la science, d’une part, de l’entrepreneuriat et de l’innovation, d’autre part. Dit autrement, il s’agit de créer et d’enrichir en permanence le projet pédagogique du Master en se dotant de moyens adaptés, mais aussi en s’autorisant des expérimentations.
– Le projet de cette Chaire, dites-vous, était déjà inscrit dans le programme Master IT& E. Sa mise en place a-t-elle pour autant été aussi rapide que vous l’avez souhaité ? Le contexte de Paris-Saclay a-t-il été facilitateur ?
Il est clair que le programme de Master a facilité la mise en place de la Chaire. Il nous a permis de démontrer l’émergence d’une véritable dynamique entrepreneuriale au sein de l’École polytechnique. Au cours de ce programme, nous commençons à voir des projets de start-up portés par les élèves eux-mêmes, source réels d’espoirs. En 2014, nous avons compté des lauréats à la première édition du concours mondial de l’innovation, « Innovation 2030 », lancé par la Direction générale des entreprises (pour en savoir plus, cliquer ici). Tout cela confirme la validité des hypothèses sur lesquelles nous avions travaillé. A l’évidence, le Master et tout ce qui a été fait autour, au sein de l’École polytechnique a créé contexte favorable.
– Quelle est la part des facteurs endogènes et ceux plus exogènes ?
C’est difficile de répondre à cette question même si, bien sûr, l’École polytechnique bénéficie de toute cette dynamique entrepreneuriale à l’oeuvre au sein du Campus Paris-Saclay. Nous avons noué des relations privilégiées avec d’autres membres de la nouvelle Université Paris-Saclay et notre Master recrute des étudiants à l’échelle de celle-ci. Nous nous appuyons aussi sur d’autres moyens, les uns disponibles au sein de l’école, d’autres à l’extérieur, en assumant un certain opportunisme. C’est l’occasion de préciser que la Chaire a été créée conjointement par l’École polytechnique, l’ISAE-SUPAERO, Zodiac Aerospace et BNP Paribas. L’enseignement est par ailleurs adossé aux recherches de pointe effectuées dans nos laboratoires, mais aussi dans ceux de l’ISAE-SUPAERO.
– En cela, vous êtes en phase avec Pierre Veltz [ le Pdg de l’EPPS, par ailleurs spécialiste des dynamiques d’innovation territoriale ] qui considère que le cluster de Paris-Saclay n’aura de sens que s’il s’ouvre sur l’extérieur et intéragit avec d’autres clusters.
Absolument. Nous nous inscrivons pleinement dans cette vision des choses.
– D’ailleurs, vous-même avez une expérience de l’international dont la nouvelle Chaire profite directement avec l’intervention de spécialistes anglo-saxons de l’innovation…
Encore une fois, l’ouverture est quelque chose d’essentiel. La dynamique même de l’innovation est fondée sur des interactions permanentes et imprévisibles avec l’extérieur, qui font nécessairement évoluer les projets des uns et des autres. Et c’est de ces interactions permanentes et imprévisibles, dont on crée les conditions, que pourra émerger une vraie dynamique entrepreneuriale sur le Plateau de Saclay. C’est dire s’il faut amplifier les flux d’idées et de projets, encourager les allers et venues de talents, car d’un strict point de vue statistique, il ne pourra qu’en résulter l’émergence de réussites. Nul besoin que tous les étudiants entrepreneurs deviennent des Bill Gates. Il suffira de quelques success stories pour entraîner le reste de l’écosystème dans une spirale vertueuse.
– Se tourner vers l’international, est-ce dans votre esprit, pour puiser dans un modèle susceptible d’être transposé ici ?
Non. Avant toute chose, il s’agit de stimuler les étudiants, de leur insuffler de l’énergie, en les faisant interagir avec des étudiants d’autres pays. Quitte à leur faire prendre conscience du fait que les enseignements dispensés par les meilleures institutions de la Silicon Valley, ne sont au fond guère différents que ceux que nous proposons ici. En réalité, tout le petit monde de l’entrepreneuriat innovant et des start-up technologiques se nourrit des mêmes concepts et des mêmes références.
– En retour, quel regard ces spécialistes anglo-saxons avec lesquels vous échangez posent-ils sur la dynamique de Paris-Saclay ?
Ils partagent le même avis ! Ils peuvent aussi le constater à travers les Polytechniciens que nous envoyons à Berkeley dans le cadre du semestre d’échange. Tous le disent : nos élèves sont particulièrement brillants ; ils comprennent très vite, tout en ayant déjà un esprit entrepreneurial. Preuve s’il en était besoin que notre système d’enseignement supérieur, malgré toutes ses rigidités et ses archaïsmes, n’empêche pas l’émergence de talents et de profils d’entrepreneurs à fort potentiel, dans le domaine technologique.
– Comment peut-on concevoir une Chaire sur une thématique aussi évolutive qu’est l’innovation. En quoi la vôtre innove-t-elle justement comparée à d’autres chaires ?
A la différence de la plupart des chaires, nous n’avons pas prévu de plan d’actions en faveur de la recherche autour de l’entrepreneuriat. En plus de transformer le programme de Master en plateforme d’accueil d’étudiants de haut niveau, de différents pays, la nôtre privilégie les expérimentations pédagogiques. Lesquelles peuvent très bien susciter des idées qui pourront se transformer au fil du temps en projets de start-up.
– Pourriez-vous donner un exemple d’expérimentation pédagogique ?
Cette année, nous avons mis en place un module en FabLab dans lequel nous demandons aux étudiants de créer un prototype fonctionnel en moins de trois mois, en travaillant éventuellement sur des technologies sorties tout droit des laboratoires des établissements partenaires. C’est déjà en soi une expérience pédagogique intéressante, qui nous permet de commencer à sensibiliser les étudiants à d’autres aspects de l’innovation comme, par exemple, le design thinking. Depuis un an, un groupe d’étudiants travaille sur un projet de start-up, à partir d’une idée qu’ils ont eu lors de la première itération du module.
Une telle expérimentation pédagogique n’aurait pas été possible sans la Chaire et les moyens qu’elle met à disposition. Cette année, nous acquérons des robots pour élargir encore un peu plus le champ des expérimentations pédagogiques. Toujours dans le cadre de ce module FabLab, j’aimerais aussi lancer dès l’année prochaine un challenge entrepreneuriat social, sur le modèle de l’ « Institute For Extreme Affordability » de Stanford. Des groupes d’étudiants seraient invités à designer un produit aussi peu coûteux que possible, pour répondre à des enjeux sociétaux dans les pays en voie de développement.
Comme vous le voyez, la Chaire autorise une certaine audace, certes dans les limites du raisonnable, mais susceptible de déboucher sur d’autres expérimentations, sans préjuger de ce qu’il en résultera, avec juste l’intuition que cela peut en valoir la peine.
– Un mot sur le FabLab, localisé à ICI Montreuil, avec lequel vous travaillez. Pourquoi vous êtes vous tourné vers un partenaire aussi éloigné ?
Pour des raisons de calendrier, nous n’avons pu utiliser le FabLab de l’Ecole polytechnique, ni non plus utiliser celui d’Inria. Mais ce sera désormais le cas dès l’année prochaine. L’ICI Montreuil a cependant été bien plus qu’une solution de rechange. Son FabLab a la particularité de n’être pas exclusivement tourné vers l’électronique et l’informatique. Il accueille aussi des artisans – des relieurs, des spécialistes du textile, etc. La proximité et les interactions avec des savoir-faire artisanaux traditionnels créent un contexte également fécond y compris pour nos élèves appelés à travailler sur des projets technologiques. D’ailleurs, nous ne renoncerons pas à travailler avec ICI Montreuil, qui peut nous apporter encore beaucoup dans la résolution des problématiques de design, auxquels les étudiants sont confrontés. Un relieur ou un menuisier peuvent les aborder dans une toute autre perspective, qui n’en sera pas moins intéressante.
– Une dernière question : vous avez été entrepreneur, créateur de start-up. Est-ce dans cette expérience que vous puisez « l’audace », pour reprendre votre mot, d’expérimenter des innovations pédagogiques et d’assumer cette prise de risque dans des expérimentations dans lesquelles vous emmener étudiants tout en vous laissant vous-même entraîner vers des développements que vous n’aviez pas prévus ?
Vous avez sans doute raison. Ce qui m’a motivé dans la constitution de la Chaire, c’est la possibilité de créer un format pédagogique différent. Un vrai challenge s’il en est. D’autant que l’École polytechnique n’était pas en avance dans le développement d’un programme pédagogique en entrepreneuriat. Plutôt que de chercher à rattraper cet apparent retard, nous nous sommes demandé comment le transformer en une avancée en termes d’innovation pédagogique. Nous avons cherché à apprendre, comme le ferait tout entrepreneur, qui, explorant un autre champ d’innovation, va d’abord tester à petite échelle, expérimenter en tâchant de se différencier de l’offre existante, sans perdre de vue une ambition world class. Ce qui nous motive est en effet de faire un programme différent, et en même temps suffisamment comparable pour nous permettre de discuter avec nos homologues des grandes universités américaines.
Mais tout aussi importante que soit mon expérience entrepreneuriale, je me suis découvert une autre vocation : pour la pédagogie et pour l’enseignement, à partir d’une approche qui m’enrichit autant qu’elle enrichit, comme je l’espère, nos élèves.
Pour accéder au précédent entretien avec Bruno Martinaud, cliquer ici.
Pour accéder à la chronique de son livre, Start-up. Anti-bible à l’usage des fous et futurs entrepreneurs (Pearson, 2013), cliquer ici.
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