Entretien avec Romain Soubeyran, directeur de CentraleSupélec
Répondre aux besoins de ses entreprises partenaires en ingénieurs spécialisés dans des domaines à forte dimension industrielle et technologique. Telle est l’ambition des six cursus ingénieurs de spécialité proposés à compter de la rentrée prochaine par CentraleSupélec. Précisions de son directeur, Romain Soubeyran, recueillies à l’issue de la conférence de presse qui a eu lieu sur le campus parisien de l’école, le 12 novembre dernier.
- Pour commencer, permettez-moi de profiter de cet entretien pour vous interroger sur la pose de la première pierre de votre futur campus de Paris, qui a eu lieu il y a une semaine…
Romain Soubeyran : Volontiers ! Il s’agissait en réalité de bien plus qu’une « première pierre » puisque, comme vous avez pu le constater, les travaux sont déjà très avancés – le gros œuvre est terminé. Voir ainsi sortir de terre un projet sur lequel nous travaillons depuis 2019 est un motif de satisfaction. Les choses se concrétisent et c’est réjouissant. Cela marque une avancée dans la mise en œuvre du plan stratégique de CentraleSupélec, adopté par notre conseil d’administration en mars 2023.
- Nous réalisons l’entretien dans un autre campus, celui de la rue Falguière, où vous avez convié la presse pour la présentation d’un autre volet de ce plan stratégique, à savoir la création de diplômes de spécialité, au nombre de six dans des domaines aussi variés que l’électronique, l’énergie, la cybersécurité, l’informatique, les systèmes numériques et la physique. Pouvez-vous préciser ce qui a motivé cette décision ?
R.S.: La création de ces diplômes de spécialité s’inscrit elle aussi dans notre plan stratégique qui prévoit de structurer nos activités d’enseignement et de recherche autour de trois grands axes, à savoir les transitions environnementales, la santé/qualité de vie et les souverainetés (industrielle et numérique). Pour progresser sur ce troisième axe, nous avons consulté nos entreprises partenaires de façon à voir comment répondre au mieux à leurs besoins. De nos discussions est clairement ressorti un besoin urgent d’ingénieurs de haut niveau dans les domaines industriel et technologique. Or, force est de constater que si la France peut s’enorgueillir de former de ingénieurs généralistes très appréciés des entreprises, en revanche, elle forme beaucoup trop peu d’ingénieurs de spécialité, ce qui est une particularité de notre pays comparé à d’autres. Des universités telles que le MIT, l’EPFL ou Stanford, proposent en ingénierie des cursus de spécialité, de très haut niveau de surcroît. Le constat de pénurie en ingénieurs de spécialité vaut aussi pour l’Europe, ainsi qu’il ressort du diagnostic sur sa compétitivité, dressé par le rapport Draghi sorti en octobre dernier ; il insiste sur la nécessité pour notre continent de renforcer ses capacités d’innovation technologique.
Un autre constat nous a confortés dans notre décision : les besoins de l’entrepreneuriat Deeptech. Notre école s’est particulièrement investie dans ce domaine depuis plusieurs années ; elle figure dans plusieurs classements récents en tête des écoles d’ingénieurs. Mais si nous voulons maintenir cette dynamique, il est indispensable de pouvoir disposer d’un vivier d’ingénieurs très pointus sur le plan technologique et, donc, d’en former davantage.
Ce sont ces deux motifs – les besoins exprimés par nos partenaires industriels, d’une part, notre volonté d’accélérer dans l’entrepreneuriat Deeptech – qui nous ont conduits à mettre en place des diplômes d’ingénieurs de spécialité.
- Lesquels sont donc au nombre de six. Qu’est-ce qui a présidé aux choix de ces spécialités-ci ?
R.S.: Nous aurions pu en proposer bien d’autres, mais développer un cursus, construire une nouvelle maquette pédagogique, exige beaucoup de temps et d’énergie. Tant et si bien que nous aurions pu d’ailleurs nous limiter à un ou deux cursus pour commencer. C’est en confrontant les besoins prioritaires de nos partenaires avec les pôles d’expertise dont nous disposons en interne à CentraleSupélec, que nous sommes parvenus à ces six spécialités.
- Un mot encore sur la notion même de « spécialité » qui paraît aller à rebours de la tendance au décloisonnement tant disciplinaire que sectoriel à laquelle incite la transition numérique ou même énergétique…
R.S.: Dissipons un éventuel malentendu : notre niveau d’exigence pour les cursus dits de spécialité sera le même que pour le cursus généraliste. Ils recrutent dans les mêmes viviers et dans les mêmes conditions que ce dernier. Ce qui signifie que nous y privilégierons la même approche holistique des systèmes complexes que dans le cursus généraliste. Seulement, les enseignements scientifiques, au lieu de couvrir de nombreux champs disciplinaires, sont davantage focalisés sur un domaine technologique : 55% des heures d’enseignement y sont consacrées. Par ailleurs, 50% des cours sont des enseignements « pratiques » (TP, TD, projets…) ; les étudiants auront 43 semaines de stage contre 26 dans le cursus généraliste.
Cependant, les cursus généraliste et de spécialité partargeront les mêmes enseignements communs ; ceux touchant aux enjeux environnementaux et de souveraineté sont abordés de manière transverse. Tous nos cursus sont pluridisciplinaires : ils comportent des disciplines fondamentales et des enseignements non scientifiques : en management, marketing, langues vivantes, ou encore sur les enjeux sociétaux.
Si, donc, on parle de cursus de « spécialité », c’est pour souligner le fait qu’ils permettent aux étudiants de disposer de plus d’heures de formation dans les disciplines scientifiques les plus en lien avec le domaine technologique qu’ils auront choisi.
- Quel rôle jouera le campus de Gif-sur-Yvette dans le déploiement de ces cursus ?
R.S.: Les promos de ces six spécialités, de 25 personnes chacune, seront accueillies sur nos campus de Rennes et de Metz, lesquels ont été choisis pour l’excellence de leur recherche dans les domaines concernés. Ils comptent des enseignants-chercheurs de haut niveau, qui travaillent dans des laboratoires reconnus. J’ajoute que l’une des six « spécialités », l’Électronique, se fera pour une moitié sur le campus de Rennes, pour l’autre sur le campus de Paris-Saclay où nous comptons un pôle d’expertise – concrètement, les étudiants passeront dix-huit mois à Rennes, dix-huit mois à Gif-sur-Yvette, la durée de chaque cursus de spécialité étant de trois ans.
- Rappelons que les deux campus se trouvent dans des villes desservies par le TGV, depuis la gare de Massy TGV, laquelle sera reliée au plateau de Saclay via la future ligne 18 du Grand Paris Express…
R.S.: Absolument. Par ailleurs, les élèves de nos cursus de spécialité seront pleinement intégrés dans la vie étudiante de notre école : ils participeront au week-end d’intégration de l’ensemble des élèves ingénieurs de CentraleSupélec, de même qu’aux autres événements de la vie étudiante. Nous sommes attachés à ce qu’il n’y ait qu’une seule et même promotion d’ingénieurs dont les élèves se répartissent entre les différents cursus et campus.
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