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Agriculture & Alimentation

Ce que pourrait être un Living Lab Paris-Saclay.

Le 2 novembre 2017

Professeur d’agronomie et Directeur de la recherche et de la valorisation d’AgroParisTech, Thierry Doré (4e en partant de la droite) avait animé le 11 octobre dernier la table ronde programmée dans le cadre de la journée « Saclay, terreau d’innovations territoriales » (organisée par Terre et Cité), à l’issue d’ateliers participatifs invitant à imaginer Paris-Saclay comme un Living Lab. Et ce, à travers une série de trois questions auxquelles nous lui avons proposé de répondre à son tour.

– La première question des ateliers participatifs invitait à donner sa vision d’un Living Lab. Quelle serait la vôtre ?

Parce qu’un living lab peut renvoyer à plusieurs formes d’organisations, de différentes échelles, je précise d’emblée que pour ma part et pour rester dans l’esprit de la démarche de Terre et Cité, je ne le concevrais pas autrement que territorial. Il combinerait ensuite au moins deux ingrédients : de l’innovation et de la recherche participative. Par cette dernière, j’entends autre chose que de la simple démocratie participative, destinée a priori à prendre des décisions éclairées en sollicitant au préalable le point de vue des citoyens. J’entends aussi bien plus que de la recherche qu’on se bornerait à pratiquer autrement. Pour permettre cette rencontre entre l’innovation, la recherche et l’implication citoyenne, il importe de mettre en relation – et ce serait une autre caractéristique du Living Lab tel que je le conçois – quatre types d’acteurs à commencer par les citoyens, bien sûr, et pas seulement pour formuler des interrogations : ils seraient aussi partie prenante des solutions. Dit autrement, ils ne seraient pas là pour simplement exprimer leurs souhaits ou indiquer les problèmes qui appelleraient de l’innovation, ils s’engageraient aussi dans le processus même d’innovation, à la fois au titre de l’expertise qu’ils peuvent avoir et parce que c’est la meilleure façon pour qu’ils s’approprient cette innovation, que celle-ci réponde à de réels besoins. J’ajoute que par citoyens, j’entends aussi bien ceux qui résident sur le territoire que ceux qui ne font qu’y travailler, y étudier, y consommer ou y pratiquer des loisirs.
TerreCité2017Paysage3Naturellement, les chercheurs seraient aussi partie prenante, ne serait-ce que parce qu’on a besoin des avancées de la recherche pour produire de l’innovation. Tout aussi naturellement, les organismes économiques (entreprises, petites et grandes, mais aussi les institutions de type CCI, etc.) en seraient aussi – difficile d’imaginer qu’il en soit autrement. Enfin, j’ajoute les pouvoirs publics (élus, collectivités locales), tout simplement parce qu’on a besoin d’eux pour assurer la cohérence des actions qu’on peut envisager à l’échelle d’un territoire dont les problématiques sont diverses et variées, comme ce peut être le cas à Paris-Saclay. Prenons l’exemple des innovations dont on a besoin au plan des mobilités : elles peuvent être antagoniques avec les innovations souhaitées dans le domaine de la santé ou dans le domaine environnemental. Pour rendre synergiques les différents secteurs dans lesquels vont porter l’innovation, il faut donc bien qu’un acteur ait une vision d’ensemble et je pense que ce rôle incombe naturellement aux pouvoirs publics [en illustration : les participants à la journée de Terre et Cité en plein ateliers participatifs].

– A vous entendre, Living Lab est donc une notion digne d’intérêt, qui peut faire sens moyennant la présence des ingrédients et des acteurs que vous avez indiqués. Est-ce à dire que vous vous y étiez déjà intéressés avant que Terre et Cité ne la mette en discussion ?

La notion n’est pas complètement nouvelle pour moi parce qu’elle est évoquée en agriculture depuis plusieurs années. Il existe déjà deux prototypes de laboratoire d’innovation territoriale en agriculture, l’un en Bretagne, l’autre en Auvergne. Même s’ils ne portent pas cette appellation, quand ils ont été mis en place la référence à laquelle on s’est rapproché n’en a pas moins été le Living Lab. On y traite d’agriculture, mais dans une dimension territoriale plus affirmée que dans le concept tel que défini au plan international.

– Y-aurait-il une échelle pertinente pour assurer le succès d’un Living Lab ?

TerreCité2017Paysage2C’est une question importante que vous posez-là, mais qui doit rester ouverte. Elle est particulièrement sensible dans un territoire comme celui de Paris-Saclay. D’un côté, on peut considérer ce dernier comme une entité géographique humaine relativement circonscrite. D’un autre côté, force est de constater que c’est un territoire traversant et ce, de multiples manières, avec des flux d’entrées et de sorties, de fréquence élevée. Beaucoup des usagers de ce territoire n’y résident pas forcément. Certains ne font que le traverser. Ce qui n’est pas sans ajouter à la difficulté pour en faire un Living Lab : les usagers, a fortiori ceux qui ne font que passer, sont a priori plus difficiles à impliquer dans une démarche de Living Lab.
Par rapport à d’autres territoires qui pourraient être plus circonscrits parce que moins traversant – les territoires ruraux en l’occurrence – Paris-Saclay doit composer avec l’ouverture vers l’extérieur. Je me garderai donc de définir une échelle qui serait pertinente a priori. Je pense qu’il est préférable d’avoir une démarche pragmatique. Dès lors qu’une entité géographique et humaine fait sens au regard d’une problématique donnée, partons de cette entité-là [en illustration : Clotilde Blanc-Lapierre, co-animatrice avec Clarisse Gimat (l’un et l’autre de l’équipe Terre et Cité) des ateliers participatifs].

– Sauf à considérer que le Living Lab puisse être précisément envisagé comme le lieu de réflexion sur le périmètre le plus pertinent, selon la problématique envisagée…

Effectivement, le périmètre du territoire fait partie des problématiques d’un Living Lab. Une chose est sûre cependant : l’enjeu n’est pas que le territoire se suffise à lui-même, cherche à vivre en autarcie.

– Venons-en à la 2e question qui portait sur les thématiques que vous aimeriez voir traitées par le Living Lab…

TerreCité2017Paysage4Sans prétendre à l’exhaustivité, car la définition des thématiques fait aussi partie de la question, j’en considérerai cinq prioritaires : l’usage du territoire au regard de l’agriculture, de l’alimentation et de l’environnement ; les mobilités (une thématique cruciale s’il en est dans un territoire traversant comme Paris-Saclay) ; l’éducation ; la santé ; enfin, si on considère que le Living Lab doit contribuer à un meilleur cadre de vie, le bien-être au travail. Des thématiques que je considérerais comme autant de portes d’entrée possibles. Mais, encore une fois, si on prend au sérieux la notion de Living Lab, il ne faudrait pas qu’elles soient définies de l’extérieur : il en va du périmètre de ses thématiques comme du périmètre physique du territoire, cela fait partie de la question. Ces thématiques doivent être discutées collectivement et de manière transversale et articulée (les thématiques que j’ai proposées sont de fait interdépendantes) [en illustration, la journée Terre et Cité au moment de la restitution des ateliers participatifs].

– La 3e question portait sur le degré d’engagement auquel vous seriez prêt, au titre d’enseignant-chercheur, mais aussi d’usager et de citoyen, car le propre du Living lab est de nous solliciter à différents titres…

Je précise que je ne réside pas sur le territoire de Paris-Saclay. Je n’en suis donc qu’un usager, traversant et épisodique de surcroît (mon lieu de travail principal se trouve à Paris). Je me garderai donc de m’impliquer au titre de citoyen. En revanche, je le ferai davantage au premier titre, celui d’enseignant-chercheur. Je rappelle que les quatre sites franciliens d’AgroParisTech sont appelés à rejoindre le Plateau de Saclay, à l’horizon 2021. Sans attendre, nous en sommes déjà des acteurs scientifiques puisque AgroParisTech est membre fondateur de l’Université Paris-Saclay. Notre implication est à la fois éducative, à travers notre participation à différents cursus, en particulier des masters et des doctorats délivrés par cette dernière ; et scientifique, à travers des laboratoires de recherche dont l’expertise peut être déjà mobilisée pour la production d’innovations dans diverses thématiques à commencer par la toute première que j’évoquais (agriculture, alimentation et environnement) et, par extension, celle relative à la santé.

– Dès lors que vous êtes déjà impliqué, qu’est-ce que changerait le fait d’œuvrer dans le cadre d’un Living Lab ?

Au plan de la recherche, cela changerait les rapports que nous avons avec les autres porteurs d’enjeux. Un changement, qui au demeurant est déjà à l’œuvre dans la manière dont AgroParisTech fait de la recherche, ne serait-ce qu’à travers le laboratoire d’excellence (LabEx) BASC, qui prend en compte les interrogations des citoyens, des usagers, d’une part, leur expertise, d’autre part.
Au plan de la formation, le lien est moins direct, car notre vocation n’est pas de former des étudiants pour qu’ils répondent aux besoins spécifiques d’un territoire ni même d’un bassin d’emploi donné, quand bien-même voudraient-ils y travailler. Les diplômes que nous délivrons sont des diplômes nationaux. Non que l’école soit indifférente aux territoires où elle est installée et que les interactions avec les acteurs locaux soient à négliger. En réalité, bien des problématiques de Paris-Saclay, pour s’en tenir à cet exemple, entrent en résonnance avec des enjeux traités au cours de nos formations, mais la confrontation avec ces problématiques doit d’abord servir l’acquisition de compétences que les étudiants pourront ensuite valoriser où bon leur semble. Pas plus que dans sa mission de recherche, AgroParisTech n’a dans sa mission de formation à être au service d’un territoire en particulier. Sa vocation est de former des cadres, des ingénieurs, des manageurs et/ou des docteurs à des situations professionnelles très différentes, en France aussi bien qu’à l’étranger. Gardons-nous donc d’entretenir trop d’illusion là-dessus. S’il y a un intérêt pour AgroParisTech, tant pour sa mission de formation que sa mission de recherche, à être confronté aux problématiques des acteurs du Plateau de Saclay, et donc d’être dans une logique de Living Lab, ce ne peut-être dans une finalité uniquement utilitariste au regard de ce même Plateau de Saclay. En revanche, en recherche comme en formation, s’appuyer sur les cas concrets du territoire dans une optique de production de connaissances et de savoirs génériques, donc utilisables ailleurs, sera sans aucun doute également générateur de résultats utilisables localement – surtout s’ils ont été produits dans le cadre du Living Lab tel que décrit au début de notre entretien.

Crédit photo : Terre et Cité.

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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