Entretien avec Rubén Salvador Torres et Nancy Ottaviano, architectes du pavillon Réciproque
À peine inauguré en juin dernier par l’EPA Paris-Saclay et la Région Île-de-France, il fait déjà partie du paysage du quartier de l’École polytechnique. Il, c’est le pavillon Réciproque, appelé ainsi en référence au mode d’agencement des poutres de sa charpente en bois. Ses deux concepteurs, Rubén Salvador Torres et Nancy Ottaviano, de la coopérative Quidam, nous en disent plus sur ses principes et matériaux de construction, la filiation dans laquelle il s’inscrit. Sans oublier son inscription dans l’écosystème de Paris-Saclay.
- Si vous deviez, pour commencer, caractériser en quelques mots le pavillon Réciproque ?
Nancy Ottaviano : La conception du pavillon Réciproque nous a été confiée par l’EPA Paris-Saclay dans le but de contribuer à l’animation du campus urbain de Paris-Saclay. De petite taille et en construction bois, il dénote dans le paysage constitué de bâtiments de plus grandes échelles. De prime abord, il n’est pas sans évoquer un kiosque à musique ou un chapiteau en dur, quelque chose qu’on a tous déjà vu à un moment où à un autre et qui en cela nous le rend d’emblée familier.
- Pourquoi « Réciproque » ?
Nancy : C’est en référence à la charpente conçue à partir d’une technique constructible particulière, celle de la charpente dite réciproque : chacun des principaux éléments porteurs s’appuie sur un autre, comme dans une sorte de mikado, pour former un système autobloquant. Cette solidarité entre les éléments de la structure assure la portance du bâtiment. En cela, ce nous semble être une belle métaphore des attendus du programme initial, à savoir un lieu où se retrouver, faire des choses ensemble, créer du lien dans le quartier.
Rubén Salvador Torres : Comme cela a été dit, le pavillon Réciproque est d’une tout autre échelle que les bâtiments construits alentours. Mais sa géométrie, à base octogonale, permet sa pleine inscription dans son environnement : on peut y accéder de différents côtés, depuis l’espace public.
Nancy : Cette perméabilité entre l’intérieur et l’extérieur nous tenait particulièrement à cœur. Elle se manifeste à travers le traitement du sol, le vitrage, les débords de toiture. Nous l’avons poussée jusqu’à opter pour un sol continu avec des terrasses extérieures, une rampe et des accès généreux, un sol intérieur tout en bois – et non bétonné. Tout concourt ainsi à inciter le public à venir y prendre place.
Rubén : Une autre de ses particularités réside dans sa démontabilité : le pavillon Réciproque est construit en filière sèche avec des pieux vissés. De sorte qu’il serait possible de restituer le terrain dans l’état initial où il était avant sa construction.
Nancy : Le pavillon Réciproque ne contribue donc pas à l’artificialisation ni à l’imperméabilisation du sol : il est posé au dessus grâce à ce système de pieux métalliques vissés qui peuvent être retirés facilement – nous n’avons pas eu recours à du béton pour les fixer. L’eau continue à pouvoir s’infiltrer naturellement. Ce à quoi nous étions attachés pour respecter autant que faire ce peut les terres précieuses du plateau.
- Un bâtiment démontable et donc remontable ailleurs ?
Nancy : Oui, effectivement. La bâtiment est là pour activer la sociabilité dans le quartier, sans exclure de pouvoir le faire ailleurs – une caractéristique inscrite dans la commande du maître d’ouvrage, l’EPA Paris-Saclay.
Rubén : Enfin, pour limiter les coûts d’acheminement, le pavillon Réciproque a été réalisé en grande partie avec des matériaux de réemploi, issus d’une filière régionale. Que ce soit pour l’isolation ou les menuiseries, disposés dans six des huit côtés – quatre fenêtres horizontales et deux grandes baies vitrées – ou encore, le bardage du bâtiment, les lames de terrasses…
Nancy : L’intérêt du réemploi est d’être moins énergivore que le recyclage puisqu’il n’y a pas besoin d’utiliser d’énergie pour transformer la ressource. Dans le cas du réemploi, il suffit d’adapter les matériaux à leur nouvelle affectation.
- Un mot sur les partenaires dont vous vous êtes entourés…
Nancy : Nous allions y venir car le pavillon Réciproque a été conçu directement avec l’équipe en charge de le construire. Un parti pris qui découle directement du principe du réemploi. Outre Rubén et moi, en charge du suivi du chantier et de sa qualité architecturale, cette équipe se compose des charpentiers constructeurs de Depuis 1920 et d’architectes de l’Association Quatorze, qui ont animé des ateliers participatifs pour former à l’éco-construction.
- À vous entendre on mesure combien cette réalisation apparemment « minuscule » - au regard, du moins, des réalisations voisines, mobilise un large spectre de savoir-faire, de compétences, de ressources humaines…
Nancy : Absolument. J’en profite d’ailleurs pour souligner la dimension « artisanale », un autre terme qui nous va aussi très bien. Le pavillon Réciproque est à bien des égards, le fruit d’un travail de dentelle…
Ruben : Un travail de dentelle qui s’inscrit aussi dans une démarche sociale à travers le caractère participatif du chantier. Depuis 1920 travaille dans une logique d’insertion professionnelle avec des compagnons du devoir tandis que l’Association Quatorze a, comme indiqué, ouvert ses ateliers participatifs à des bénévoles qui voulaient découvrir ou parfaire leur connaissance dans les techniques d’autoconstruction. En cela, nous nous inscrivons bien dans la logique d’un développement durable avec ses trois dimensions : environnementale, économique et sociale. Plutôt que d’utiliser l’argent pour nous approvisionner en nouveaux matériaux, nous préférons l’utiliser pour valoriser des ressources humaines en portant notre attention jusqu’à la logistique de la construction, au bien-être des ouvriers et artisans travaillant sur le chantier.
- Iriez-vous jusqu’à dire que vous avez conçu le pavillon Réciproque comme un démonstrateur, que ce soit en matière de construction bois et de réemploi ?
Nancy : Heureusement, nous n’en sommes plus au stade de la démonstration. La filière de la construction bois est reconnue pour sa contribution à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, de notre empreinte carbone. Mais pour créer un cercle vertueux, il nous faut encore promouvoir le réemploi. Comme le dit Rubén, il offre l’avantage de permettre de dépenser moins d’argent pour l’acquisition des matériaux et plus pour la valorisation de ressources humaines de qualité, de savoir-faire, le développement de compétences, la valorisation des métiers de la construction qui sont parfois en souffrance, en tout cas en tension. À l’architecte enclin à dire que Best Is More, nous répondons que Small Is Beautifull. Tout aussi minuscule que soit notre réalisation, elle permet de développer des savoir-faire valorisants, mobilisables dans des projets plus ambitieux au regard de leur taille.
Certes, tout cela peut sembler n’être encore qu’un signal faible à l’échelle du secteur de la construction, mais c’est un signal faible qui tend à prendre de l’ampleur, à la faveur d’une prise de conscience collective, mais aussi de nouvelles réglementations environnementales. Pour notre part, nous nous employons à faire avancer les choses à notre échelle, à travers des projets en forme de démonstrateurs – c’est bien le mot -, pour montrer qu’effectivement construire autrement est possible.
- Quelle filiation le pavillon Réciproque entretient-il avec vos réalisations antérieures ?
Nancy : De fait, le pavillon Réciproque s’inscrit dans une certaine continuité par rapport à d’autres de nos réalisations, à commencer par le Capla, le Cabanon de la Place des fêtes, à Paris, dans le XIXe arrondissement : un petit établissement ayant lui aussi vocation à accueillir un public de 5e catégorie et classé dans la même typologie – une salle commune à l’usage d’associations locales. Quoique conçu dans un tout autre contexte – sur dalle, dans un quartier densément construit -, on y retrouve, en dehors de ses fondations en béton, les mêmes ingrédients que dans le pavillon Réciproque : de la construction en filière sèche, avec du bois en réemploi et un travail sur la géométrie, l’ouverture, la perméabilité entre le dedans et le dehors. Même chose avec le projet HAMO réalisé à Montreuil conjointement avec l’Association Quatorze : il s’agit d’une maison en colocation solidaire ; en construction bois réversible, elle rassemble quatre Tiny Houses – des habitats construits sur remorques – autour d’un séjour commun construit en bois dont les façades comprennent des fenêtres en réemploi. Le tout avec un jardin ouvert qui donne sur le quartier. Précisons que ce projet a été financé par le budget participatif de la ville de Montreuil et mené avec la participation des habitants.
- On comprend, à vous entendre, à quel point le pavillon Réciproque s’inscrit dans une série de réalisations avec lesquelles il entretient un esprit de famille. Quelle a été néanmoins la valeur ajoutée de la prise en compte du contexte spécifique de Paris-Saclay ?
Nancy : Dès l’instant où nous sommes entrés dans le processus de sélection lancé par l’EPA Paris-Saclay, qui a débuté par un dialogue compétitif avec trois équipes concurrentes, nous avons tenu à être au plus près du contexte. Concrètement, nous nous sommes très vite rendus sur place. Je me souviens que nous nous étions tout simplement assis sur l’herbe de la place Marguerite Perey, à observer les allées et venues, les attroupements, etc. Nous avons aussi arpenté les environs immédiats pour savoir de quel côté nous aurions envie d’apercevoir un bâtiment en construction bois ; ce qui pourrait en faire un point de rendez-vous naturel, etc. Le choix d’un plan centré découle de cette attention particulière au site. Elle s’est imposée du fait de la configuration du terrain, évoquant davantage un triangle qu’un rectangle tandis que les cheminements existants ou en cours d’aménagement autorisaient plusieurs entrées possibles. Bref, le pavillon Réciproque a bien été pensé en rapport avec ce que les architectes appellent le genius loci. Dès le départ, nous avions envisagé de recourir à du réemploi : nous avons donc commencé à dessiner en sachant déjà quelles fenêtres nous utiliserions. Le fait de savoir de combien nous en disposerions, de connaître leurs caractéristiques, a permis de définir le dimensionnement du pavillon, son échelle et sa géométrie, d’une façon qui en rende la forme naturelle.
Ruben : Il faut dire aussi que nous avons été stimulés par le cahier des charges de l’EPA Paris-Saclay. Il était particulièrement ambitieux avec, dès le départ, de fortes exigences en matière de réemploi, de perméabilité du sol… Des exigences qui, comme vous le devinez, nous allaient bien. D’autant qu’elles nous permettaient de travailler de nouveau, pour la construction, avec l’entreprise Depuis 1920, déjà impliqué dans la réalisation du Cabanon de la Place des fêtes ; et l’Association Quatorze avec laquelle nous partageons nos bureaux et qui nous accompagne sur pas mal de projets.
Nancy : Il faut souligner la qualité du travail réalisé par Le Sens de la ville qui a accompagné l’EPA Paris-Saclay dans la formulation de la commande. Il n’en a rendu celle-ci que plus stimulante !
- Parmi les caractéristiques du contexte, vous avez évoqué la richesse du sol, que vous ne souhaitiez pas imperméabiliser. Dans quelle mesure avez vous été inspirés par ce campus tourné vers les sciences de l’ingénieur ?
Nancy : Ces sciences de l’ingénieur ne nous sont pas étrangères et ont d’ailleurs été mobilisées dans la conception du pavillon Réciproque. Tout aussi modeste soit-il par la taille, il relève déjà d’une autre dimension au regard de la portée que nous avons mise en œuvre. De sorte qu’il nous a fallu nous appuyer sur les compétences d’ingénieurs, en l’occurrence ceux du bureau d’études B.A. Bois, pour lesquels notre projet a d’ailleurs représenté un défi stimulant. Je me souviens de leur état d’excitation la première fois qu’ils l’ont découvert. Nous leur soumettions il est vrai un beau défi : calculer la portance d’une grande structure avec des efforts de torsions. Ce qui a exigé un travail d’ingénierie et de calcul d’une grande finesse. Le pavillon est, à ce jour, la plus grande charpente réciproque réalisée en France – et probablement en Europe.
Rubén : Tout autant que les ingénieurs et pour les mêmes motifs, les charpentiers ont apprécié de travailler sur notre chantier. Le pavillon Réciproque n’est pas une construction qu’on réalise tous les jours ! Et pour eux aussi, il a représenté un défi. Tout devait finir par tenir tout seul comme par magie…
Nancy : Une magie bien calculée !
- Connaissiez-vous le territoire avant de répondre au concours de l’EPA Paris-Saclay ?
Rubén : Nous avions déjà travaillé à Gif-sur-Yvette dans le cadre d’un projet Europan. Nous connaissions donc la vallée et le plateau, et avions pu déjà constater que c’était un territoire en pleine évolution. L’inauguration du pavillon Réciproque, en juin dernier, a été l’occasion de constater aussi à quel point il répondait à des attentes, des besoins. Plusieurs personnes nous ont dit combien il pourrait contribuer à animer le quartier. De fait, les écoles construites dans les alentours immédiats ne sont pas toutes en mesure de mettre à disposition des locaux aux habitants et associations du quartier. La souplesse avec laquelle l’EPA Paris-Saclay envisage de le faire, sans imposer une réservation longtemps à l’avance, constitue un plus indéniable.
- Pour clore cet entretien, permettez-moi de vous poser une question plus personnelle : qu’est-ce qui vous a prédisposés à développer cette approche architecturale ? Je me risque à reformuler la question : y aurait-il des souvenirs d’enfance de cabanes construites dans une forêt ? Je la pose tout en ayant conscience que le pavillon Réciproque est évidemment bien plus que cela…
Nancy : Vous faites bien de la poser, car, pour ma part j’aime les cabanes ! Pour preuve plusieurs des réalisations que nous avons évoquées : le Capla, les tiny houses… J’y retrouve les vertus du petit et du bien fait. Certes, le pavillon est effectivement bien plus que cela : sa conception, on l’a dit, repose sur beaucoup d’ingénierie, de calcul, de savoir-faire techniques ; il s’est nourri d’une réflexion plus générale sur les défis du changement climatique et de la manière dont l’architecture peut contribuer à réduire notre empreinte écologique. Mais il y a bien aussi un peu de l’imaginaire de la cabane.
- J’imagine que le livre de Marielle Macé, Nos Cabanes (Verdier, 2019) a été un de vos livres de chevet…
Nancy : Oui, en effet ! Étant entendu que nous en avons bien d’autres encore, du côté des architectes. Rubén et moi nous inscrivons dans les pas de Simone [née en 1928] et Lucien Kroll [1927-2022], de Jean Prouvé [1901-1984] – même s’il mobilisait d’autres matériaux, il promouvait déjà une architecture réversible -, de Charlotte Perriand [1903-1999], et de bien d’autres. Autant d’architectes qui se posaient déjà des questions sur les matériaux et les savoir-faire de leur époque.
Rubén : J’ajouterai Patrick Bouchain [né en 1945], qui développe une pratique de l’architecture allant bien au-delà de l’acte de construire. Il revisite des friches pour en faire des lieux propices à y accueillir de l’événementiel, du vivre ensemble.
- On comprend que des réalisations comme les vôtres pourront prendre d’autant plus d’ampleur qu’elles s’inscrivent dans un héritage que vous actualisez en fonction des problématiques de votre temps. Mais c’est à vous de conclure…
Rubén et Nancy, en chœur : C’est tout à fait ça. Rien à ajouter !
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