Aider les automobilistes à trouver une place de stationnement, c’est déjà bien. Mais les inciter à changer de comportement en combinant l’usage de leur voiture à d’autres modes de déplacement, dans l’intérêt d’un meilleur partage de l’espace public, c’est encore mieux. C’est l’ambition de Park’in Saclay, une application de stationnement intelligent, conçue dans le cadre d’un marché d’innovation, associant plusieurs partenaires dont Mobility by Colas. Son chef de projet, que nous avions déjà eu l’occasion d’interviewer au moment du déploiement des capteurs, nous dresse un bilan d’étape. Plus que positif à en juger par le nombre d’usagers, les nouveaux services de mobilité qu’elle a déjà permis de développer, sans compter tous ceux qu’elle réserve encore.
– Où en est Park’in Saclay près de six mois après son lancement effectif ?
Lors du précédent entretien, nous étions encore en phase de mise en place de l’application. Depuis, celle-ci est entrée en service. Elle a été lancée officiellement à la fin septembre 2019, à Palaiseau, à l’occasion de la Semaine de la mobilité, autour d’un moment assez convivial puisqu’il s’agissait d’un « gigot bitume »… Une manière de réunir le monde du digital et celui des infrastructures dont est issu Mobility by Colas. Manifestement ce moment a plu : il fallait voir les maires des communes directement concernées (Gif-sur-Yvette, Orsay et Palaiseau) procéder eux-mêmes à la découpe !
– Où en êtes-vous en termes de places disponibles ?
Nous avions démarré avec un parking partagé et des places en voirie connectées. Aujourd’hui, nous comptons quatre parkings partagés – ceux de CentraleSupélec (bâtiment Bouygues) et du Crous de Versailles, le parking visiteur d’EDF Lab, enfin, le parking éphémère du quartier de Polytechnique. Ils totalisent plus de 300 places partagées, auxquelles s’ajoutent les places en voirie connectées et les places en parking aérien longue durée. Soit un total d’environ 700 places.
– Cela paraît beaucoup et même temps peu au regard des besoins qu’on imagine importants et croissants…
Notre intention est justement d’accroître ce nombre, en mutualisant davantage de parkings. Nous avons à cette fin lancé un appel à l’ensemble des établissements présents sur le Plateau de Saclay, pour les inviter à mettre leurs places inoccupées à disposition des personnes extérieures, et contribuer ainsi à un meilleur partage de l’espace public.
– L’idée est frappée au coin du bons sens. Quels sont les obstacles auxquels vous vous heurteriez ?
De fait, il y a des obstacles qui tiennent en partie aux enjeux de sécurité d’accès auxquels sont tout particulièrement confrontés des établissements de recherche, et pour lesquels la mutualisation des places de stationnement ne va donc pas de soi. Ce que nous pouvons comprendre. A quoi s’ajoute le fait que des établissements viennent tout juste d’arriver sur le Plateau et sont par conséquent encore dans une phase d’appropriation de leur espace. Mais nous n’en sommes pas moins déjà en contact avec eux, de sorte que nous aurons dans les mois qui viennent une meilleure connaissance des taux de fréquentation de leurs parkings respectifs et, donc, des capacités de mutualisation.
– Quels sont les retours des « pionniers » ?
Les quatre premiers partenaires que je citais, sont manifestement satisfaits. Précisons que le dispositif leur permet d’exploiter des places inoccupées et, donc, de créer de la valeur. Il faut en effet savoir qu’ils perçoivent une rétribution sur chaque place occupée par une personne extérieure. Une source de revenus qui leur permet de couvrir une partie de leurs charges de fonctionnement.
– Et du coté des usagers ?
Une communauté d’usagers existe déjà et ne cesse de grandir : en ce mois de février 2020, nous comptions plus de 1 000 visiteurs uniques tandis que plus de 200 comptes utilisateurs ont été créés. Manifestement, on assiste à une vraie appropriation sinon intérêt pour notre application.
– Quels en sont les développements possibles ?
C’est ce à quoi nous réfléchissons. Pour l’heure, l’application est focalisée sur la problématique du stationnement. Notre ambition est à terme de proposer davantage de services à l’automobiliste pour l’inciter à changer de comportement dans le sens d’une mobilité plus active, partagée et responsable.
– Ce faisant vous répondez à une objection que j’allais vous adresser en me faisant l’écho de l’avis d’un expert des mobilités, Jakob Puchinger, exprimé dans l’entretien qu’il nous a accordé [pour y accéder, cliquer ici] : il met en garde contre le risque de privilégier, à travers une application comme la vôtre, les automobilistes sur les usagers de transports en commun, a priori plus propices à une mobilité durable…
C’est ce qui nous encourage à proposer d’autres services de mobilité à l’automobiliste. Reconnaissons toutefois qu’il y a sur le Plateau une vraie problématique de stationnement, avec un net déséquilibre entre le nombre de places accessibles et la demande, et ce malgré un nombre important de places disponibles. Des quartiers sont saturés en plus d’être confrontés à du stationnement « sauvage », sur les pistes cyclables ou les trottoirs. En centre-ville, les commerces pâtissent des voitures ventouses, qui restreignent les possibilités pour leurs clients potentiels de stationner le temps de leurs achats. Notre service répond à ces problématiques en aidant à mieux répartir les places de stationnement en fonction des usages. Elle le fait en décloisonnant les différentes catégories d’emplacement : les parkings d’ouvrages (accessibles sur réservation ou par abonnement) ; les stationnements en centre-ville et payants (pour de la rotation rapide) ; les stationnements en périphérie, aériens et gratuits (pour les personnes appelées à séjourner plusieurs mois sur le territoire – les étudiants, par exemple). Un écosystème, en somme, que nous nous employons à rendre visible aux automobilistes au moyen de panneaux installés à l’entrée de quartiers, et qui indiquent les places disponibles pour chacune des trois catégories de stationnement que j’évoquais.
– Comment les incitez-vous à adopter un comportement plus « durable » ?
Les usagers gagnent des points chaque fois qu’ils utilisent l’application Park’in Saclay. Ces points peuvent être convertis en avantages à récupérer auprès de commerçants du quartier, les autres bénéficiaires de notre service. Ce mécanisme sera renforcé lorsque les usagers profiteront également sur cette même application, des services de mobilités dites actives.
– Autant de choses que nous ne m’aviez pas indiquées lors du précédent entretien. Est-ce à dire que vous avez avancé en marchant et comptez continuer à le faire ?
Le propos n’était pas de venir avec une solution clé en main, qui de toute façon n’existait pas, mais d’innover. C’est le principe du marché d’innovation que nous avons emporté avec nos partenaires : d’une durée de cinq ans, il prévoit deux ans de R&D (à l’horizon juin 2020) puis trois ans d’exploitation. L’avantage d’un tel dispositif contractuel est de faire évoluer le périmètre et de l’ajuster en fonction des retours d’expérience, tout en gardant le cap que l’on s’est fixé au démarrage du partenariat, à savoir : organiser l’espace public au regard des besoins de stationnement et proposer des services de mobilité alternatifs à la voiture individuelle.
– Est-ce à dire que les usagers actuels sont encore des bêta-testeurs ?
Non, la phase de bêta-test est achevée – elle s’est déroulée de juin à septembre 2019. Aujourd’hui, l’application est utilisée par de « vrais » usagers.
– Un mot sur les données produites par l’application : à qui en revient la gestion ?
Les données appartiennent à l’EPA Paris-Saclay et ont vocation à alimenter un observatoire destiné à permettre aux collectivités partenaires (Communauté d’agglomération de Paris-Saclay, Gif-sur-Yvette, Orsay et Palaiseau) d’évaluer l’impact de leur politique de stationnement et de mobilités sur l’environnement et les comportements.
– Comment vous positionnez-vous par rapport à Move In Saclay ?
Nous travaillons en étroite collaboration avec cette plateforme, qui offre l’intérêt de pouvoir formuler des recommandations en termes de mobilité. Pour mémoire, Nokia, en charge du projet, fait aussi partie du groupement qui porte Park’in Saclay. Actuellement, nous réfléchissons ensemble à un cas d’usage relatif aux automobilistes, consistant à leur proposer des stationnements adaptés à leurs besoins et dans l’intérêt d’un partage équilibré de l’espace public.
– Quelle suite envisagez-vous dans l’immédiat ?
Nous souhaitons étendre encore le service, en partenariat avec les acteurs du territoire, en intégrant d’autres parkings partagés. Nous avons lancé un appel aux entreprises pour qu’elles communiquent sur notre solution en direction de leurs visiteurs respectifs. Avec ces mêmes entreprises, nous pourrions réfléchir à la manière dont on pourrait faciliter les déplacements de leurs salariés d’un établissement à l’autre – des flux importants du fait des synergies que le cluster Paris-Saclay a vocation à intensifier. Enfin, nous envisageons d’agréger dans notre application d’autres services de mobilité disponibles, de façon à ce que le point d’arrivée qu’est la place de stationnement soit aussi le point de départ vers d’autres usages. Concrètement, avec l’EPA Paris-Saclay, nous travaillons à pouvoir combiner une place de stationnement avec un borne de recharge électrique pour favoriser l’usage de véhicules électriques ; à en faire le point de rencontre pour du covoiturage ou encore à faire en sorte qu’une fois garé, l’automobiliste puisse poursuivre son trajet en vélo ou avec un autre mode de locomotion.
– De la multimodalité en somme, mais pensée à partir de la place de stationnement…
Et de l’automobiliste, celui-là même dont il faut faire changer prioritairement les comportements de mobilité. Des partenariats sont à l’étude, qui devraient déboucher au courant de cette année.
– On vous sent très investi dans ce projet. Est-ce parce que Paris-Saclay réunit les conditions qui en rendent le déroulement facile, ou, au contraire, parce que son éventuelle complexité vous challenge ?
Nous sommes sur un territoire d’innovation particulièrement favorable, appelé à être l’un des principaux foyers de la R&D française. Son attractivité repose en grande partie sur des enjeux de mobilité. Notre chance est de contribuer à apporter une partie des réponses au moyen du digital, en complémentarité avec d’autres solutions.
– A vous entendre, ce projet vous amène aussi à rencontrer une grande diversité d’acteurs, entre vos interlocuteurs de l’EPA Paris-Saclay, ceux des collectivités, des entreprises, des établissements qui mutualisent leurs places de parking, les commerçants… Autant d’interlocuteurs qui ont chacun leur logique pour ne pas dire leur langage… Tant et si bien que je ne peux m’empêcher de me demander si votre capacité à échanger avec eux ne fait pas de vous un mouton à cinq pattes…
(Sourire) C’est vrai que la conduite d’un tel projet requiert une certaine agilité, du fait de sa dimension partenariale et de cette diversité d’interlocuteurs que vous évoquez, sans oublier les usagers, qui ne sont pas les destinataires premiers des métiers historiques de Colas. Avec nos partenaires, il nous a donc fallu apprendre à mettre en place un véritable service client, avec astreinte de maintenance, pour en assurer un fonctionnement de qualité, et communiquer largement de façon à ce que notre application soit connue et le plus largement utilisée.
Pour Colas, Park’in Saclay est aussi une opportunité de se rapprocher du monde des start-up – rappelons que deux d’entre elles font partie du groupement que nous avons constitué avec l’EPA Paris-Saclay (son mandataire), Nokia (en charge de l’open innovation) et Open Data Soft (en charge de l’ouverture des données au public), à savoir : Parking Map, en charge de la supervision de la voirie en complément des capteurs que nous déployons, et ZenPark, un spécialiste reconnu de la mutualisation de parkings privés. Bref, Park’in Saclay est aussi le vecteur d’une innovation plus collaborative.
Pour en savoir plus sur Park’in Saclay, cliquer ici.
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