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Mobilités

Baptême de l’air à bord d’un véhicule autonome.

Le 17 juin 2019

Inventer et expérimenter différents services pour une mobilité plus intelligente, électrique, autonome, publique et privée, afin de compléter l’offre présente sur le Plateau de Saclay. Telle est l’ambition du « Paris-Saclay Autonomous Lab », un programme d’expérimentations inauguré lors de l’édition 2019 de Paris-Saclay SPRING et dont nous avons pu apprécier les premières avancées. Récit.

Depuis le temps que nous nous intéressons aux problématiques du Véhicule Autonome (VA) et que nous rendons compte de leur actualité, il était temps d’en tester un. L’occasion nous en a été donnée lors de l’édition 2019 de Paris-Saclay SPRING, dans le cadre des expérimentations de « Paris-Saclay Autonomous Lab », un projet porté par le Groupe Renault, Transdev, l’IRT SystemX, VEDECOM et l’Université Paris-Saclay, en association avec plusieurs partenaires (l’Ademe, le Grand Plan d’Investissement, l’EPA Paris-Saclay, Essonne Département et Ile-de-France Mobilités).
Spring2019VADJI_0210Rendez-vous nous avait été donné avec d’autres journalistes, sur le parvis de CentraleSupélec, pour des discours – de Grégoire de Lasteyrie, qui intervenait au titre de Conseiller spécial « nouvelles mobilités » de la Région Ile-de-France et Maire de Palaiseau. On arrive à temps pour entendre une responsable de Paris-Saclay Autonomous Las dissiper d’éventuels malentendus : tout technologique et tout autonome qu’elle paraisse, une machine ne peut remplacer totalement l’humain. Et la même de rappeler la nécessaire acceptabilité sociale du VA qui suscite encore des craintes : tout le monde n’est pas prêt à consentir de confier le volant à des algorithmes et des capteurs. Sans compter les questions touchant à la cybersécurité (la manipulation des flux de données exploitées dans les systèmes de VA).
Puis direction la gare Massy-Palaiseau de la ligne B du RER, où nous sommes transportés en bus. Lequel n’a rien d’autonome – un chauffeur en chair et en os nous attend à l’intérieur. Qu’à cela ne tienne, le bus est tout électrique et c’est la première fois que nous montons dans un tel véhicule. On profite des quelques minutes d’attente pour interroger le chauffeur sur l’agrément qu’il procure au plan de la conduite. Il répond en commençant en toute cordialité par un rectificatif : « Ce n’est pas un bus, mais un car… » Dont acte. De fait, il n’y a que des rangés de fauteuils avec un couloir central. Mais c’est un car pas comme les autres visiblement : non seulement l’agrément de conduite serait à l’entendre sans nul autre pareil, comparé à celui des cars conventionnels, mais encore les moindres nuisances sonores, ajoutées à une conduite plus souple, semblent influer positivement sur le comportement des voyageurs !
Le temps du parcours, on confirme. Parcours que nous faisons aux côtés de Juliette Duault, directrice de la communication de VEDECOM qui en profite pour nous briefer sur les divers équipements qui ont été installés pour rendre les infrastructures plus intelligentes : des capteurs de type Lidar, des caméras vidéos, des « unités de bord de route » – des boitiers de la taille d’une ruche, conçus par VEDECOM – sans compter les fibres optiques et pas moins de 170 candélabres équipés. Au fil du parcours, Juliette nous aide à repérer ces équipements au niveau des carrefours et de mâts, dont certains ont été ajoutés pour assurer une meilleure couverture. On touche là à un aspect majeur de la mobilité autonome : celle-ci ne se résume pas à des véhicules. C’est aussi une affaire d’infrastructures équipées pour enrichir les données relatives à l’environnement. Naturellement, tout cela s’inscrit dans une démarche d’expérimentation. Si celle-ci se révèle probante, les équipements seront designer pour se fondre davantage dans le paysage, en intégrant l’existant.

Navette autonome et voitures à la demande

D’expérimentations, il y en a deux en réalité : l’une portant sur un service de navette de nuit (de minuit trente jusqu’à trois heures du matin), sur voie dédiée avec une navette autonome Transdev – Lohr i-Cristal ; l’autre sur un service de voitures à la demande, délivré par des prototypes de Renault ZOECab autonomes, pour une mobilité point à point, sur le campus urbain Paris-Saclay.
Dans un cas comme dans l’autre, des mises en service sont prévues à l’automne, mais pour un panel d’usagers qui voudront bien servir de cobayes. Pour un usage ordinaire, il faudra encore attendre. C’est que rien ne peut être laissé au hasard. Les industriels ne peuvent non plus aller plus vite que les contraintes réglementaires (parmi les plus importantes : l’impossibilité d’user d’un VA en l’absence d’un conducteur – on dit « opérateur de sécurité » – pour une reprise en main du véhicule en cas de nécessité). La tolérance admise à l’égard des accidents de la route classiques ne l’est plus quand il s’agit de VA…

Un conteneur un peu spécial

Mais revenons à notre visite qui fait donc étape aux abords de la station Massy-Palaiseau, pour une visite du Poste de Contrôle Centralisé (PCC). Nous pensions nous retrouver dans un bâtiment ultra moderne. En réalité, le PCC est abrité dans un conteneur. Le groupe doit se scinder en deux pour assister à une présentation. A l’intérieur, Michel, directeur technique au service transport de Transdev et devant nous cinq écrans répartis sur deux niveaux. Au centre, en bas, un écran réservé aux alertes du système ; un autre, au dessus, pour superviser l’ensemble du parcours des véhicules. A gauche, deux écrans relatifs aux paramètres des véhicules (l’état de leur batterie, leur vitesse…). Enfin, en haut à droite, un écran qui permet de superviser les infrastructures connectées au moyen des capteurs Lidar et des caméras vidéo susmentionnés. Bref, de quoi permettre une perception augmentée, d’anticiper les imprévus et de stopper la flotte en cas de nécessité.
Michel : « En tant qu’opérateur, on est garant de la sécurité des usagers. Un humain est donc toujours présent dans la boucle pour renouer contact via une interface vidéo avec les passagers en cas de besoin. » Nous tiquons alors en songeant à la perte d’intimité à laquelle on pouvait prétendre dans un véhicule classique. Michel se veut rassurant : « On veille à limiter l’intrusion visuelle dans l’habitacle. »
Nous ne manquons pas de soulever l’enjeu de la cybersécurité, en constatant que, si maintes parties prenantes sont évoquées, ce n’est pas le cas de celles en charge de la sécurisation des systèmes exploitant en masse des données numériques. Michel nous rassure encore sur ce point : l‘architecture générale de ceux en cours d’expérimentation est designée en tenant compte des recommandations des autorités, à commencer par celles de l’ANSSI (Agence nationale de sécurité des systèmes d’information).

Une navette bien designée

En attendant que le groupe suivant assiste à la même présentation, nous nous installons dans une navette en stationnement. Les premières impressions sont positives : un soin particulier est apporté à l’aménagement intérieur. Nous nous étonnons juste des capacités annoncées : 16 personnes dont 7 assises, tant l’espace paraît quand même un peu exigu.
Quoi qu’il en soit, tout est fait pour optimiser la dizaine de minutes qui séparent la gare au terminus : accès WiFi et à des revues numériques, prise pour clé USB,… A quoi s’ajoute l’écran qui permet de suivre le parcours. Les études l’ont montré : les voyageurs sont rassurés à l’idée de pouvoir voir l’information dont dispose le véhicule sur son environnement au travers d’une représentation modélisée. Tant et si bien que cet écran devrait être maintenu dans les navettes qui entreront en service. Last but not least, on nous réserve une expérience olfactive (du parfum est diffusé). Autant reconnaître que ce n’est pas l’aspect le plus probant. Mais l’intention est louable.
Nous nous attendions à pouvoir tester la navette, mais on nous rappelle qu’elle n’est expérimentée que la nuit… On assiste sur sa complémentarité avec les autres moyens de transport. Pas question de la mettre en service le jour, où les trajets sont assurés par des services de cars… euh… de bus… Nous ne pouvons nous empêcher d’imaginer l’avenir des chauffeurs, dont le métier semble à terme condamné, à l’image des caissières, qui déjà voient poindre des enregistreuses automatiques… Une interlocutrice préfère valoriser la perspective de voir émerger de nouveaux métiers. « On aura besoin de superviseurs ».

Des compétences humaines

On en revient à la dimension humaine des VA : pour les concevoir et en assurer la circulation, il faut en effet des hommes et des femmes. Ils sont d’ailleurs nombreux à grouiller autour des VA en stationnement. C’est sur ces considérations, que nous nous apprêtons à nous rendre à la prochaine étape : le parvis de l’ENSTA ParisTech d’où nous allons (enfin !) pouvoir en tester un. Non sans entretemps contempler le paysage qui défile : que de verdure resplendissante en ce jour ensoleillé !
Nous voici, donc, à bord d’une ZOECab, à l’avant, à la place du passager. Au volant, si on peut dire (mais on verra que la formule n’est pas galvaudée), une personne, qui a pour consigne de rester concentrée sur la route. A l’arrière, un ingénieur Renault, qui presse un bouton pour enclencher le démarrage du véhicule, non sans avoir préalablement entré la destination – en l’occurrence, le restaurant du Crous, qui se trouve à quelques encablures de là.
Spring2019VA_MG_4237Au fil du déplacement, il nous livre diverses explications sur les équipements, à commencer par l’écran placé devant nous et la signification des couleurs qui s’y affichent : vert quand on est en conduite autonome, bleue, quand il y a reprise en main.
Nous nous enquérons auprès du chauffeur de savoir ce qu’il ressent en termes d’agrément. Notre ingénieur nous interrompt aussitôt : l’opérateur de sécurité n’est pas habilité à répondre ! Il doit rester concentré sur la route. On apprend qu’il a été formé pour cela.
Dont acte. Nous ne pouvons alors nous empêcher de songer à l’«écologie de l’attention», ce courant de recherche qui s’emploie à rendre compte des diverses aptitudes attentionnelles que l’on mobilise en certaines circonstances, même à l’heure du mobile et d’autres technologies qui semblent mettre à mal nos capacités de concentration. Celles de cet opérateur de sécurité doivent être particulièrement développées. A quelques reprises, il devra reprendre le volant, fût-ce en ne faisant que l’effleurer. C’est que nous évoluons dans un environnement complexe, avec une voirie affectée par les divers chantiers en cours ou ces véhicules et piétons qui surgissent de nulle part. Cela dit, nous n’éprouvons aucun sentiment d’insécurité. Nous continuons à échanger avec l’ingénieur tout en observant le spectacle d’un cluster en construction. Nous en oublierions presque que nous sommes dans un véhicule autonome !
Précisons que celui dans lequel nous sommes peut rouler jusqu’à 30 km/h. Soit nettement plus qu’une navette. Nous en sommes déjà au niveau 4 (sur une échelle qui en compte 5). C’est dire si on est proche du Graal. Reste encore des progrès pour parvenir à une autonomie totale (sans opérateur de sécurité) ou presque (on aura toujours besoin de superviseurs..). Mais à l’évidence, on assiste à une montée en puissance du concept du VA et l’inauguration de Paris-Saclay Autonomous Lab en fournit une démonstration avec ses équipes d’ingénieurs mobilisées (près d’une dizaine le sont rien que pour les besoins des démonstrations sur des ZOECab).

L’apport de start-up

Nous voilà arrivé sans encombre au restaurant du Crous, où deux autres ingénieurs Renault nous attendent, pour une démonstration de l’application qui permet de commander un VE à la demande. On prend alors la mesure d’autres défis que représente le VE pour le constructeur automobile, à commencer par celui de devenir un opérateur de services avec tout ce que cela implique en termes d’acquisitions de compétences nouvelles. Défi que le constructeur relève en se portant acquéreur de ou en collaborant avec des start-up spécialisées dans ce domaine – Kerhoo (une place de marché VTC) ; Marcel&co (spécialisée dans le VTC électrique, elle compte pas moins de 500 ZOE) ou encore Yuso (spécialisée, elle, dans la conception d’applications dédiées) – et manifestement toutes plus compétentes les unes que les autres. A peine notre destination est-elle entrée (un retour vers le parvis) que nous voilà informé qu’un VE, numéroté 5, sera dans le secteur dans moins d’une minute. De fait, en moins de temps qu’il faut pour l’écrire, un véhicule approche… Nous voilà à l’intérieur avec un autre ingénieur à l’arrière, et toujours un opérateur de sécurité à l’avant. Lequel est manifestement plus expérimenté que le précédent : il reprendra rarement la main dans les centaines de mètres qui nous séparent, malgré un environnement comparable à celui de l’aller. Nous posons alors la question : et si, en plus de l’intelligence artificielle, le VA ne bénéficiait pas de l’intelligence tout humaine de l’opérateur de sécurité, qui, au fil du temps, apprend à anticiper les risques, en réduisant au strict nécessaire les reprises en main ? L’ingénieur confirme la réalité de cet apprentissage et sa prise en compte dans les diverses évaluations. A notre autre question sur ce que cela implique au plan disciplinaire, le même témoigne de la mobilisation de sciences humaines et sociales aux côtés de sciences de l’ingénieur.

Une dépendance au sentier

Nous revoilà sur le parvis de l’ENSTA ParisTech. Nous livrons avec plaisir nos premières impressions à l’équipe. Puis ce sont de longues minutes d’attente avant de regagner CentraleSupélec pour suivre les autres RDV de la journée, à commencer par la table ronde sur les clusters au prisme des capitaux-risqueurs. Mais il nous faut attendre le retour de confrères.
C’est un mal pour un bien : nous faisons plus ample connaissance avec une personne qui nous accompagnait depuis le début, mais sans qu’on l’ait identifiée. Il s’agit de Nadège Faul, responsable des projets de transport autonome au sein de VEDECOM. Un échange passionnant s’amorce. Engagée dans plusieurs projets, elle souligne la nécessité d’envisager les solutions de transport autonome en prenant en compte les particularités du contexte et pas seulement au plan géographique ou des besoins locaux, mais de la trajectoire du territoire. Et la même d’évoquer la théorie de la dépendance du sentier, qui éclaire comment des choix passés peuvent déterminer les choix futurs. Dès lors, juge-t-elle, on ne saurait promouvoir le VA sans l’inscrire dans un récit, un story telling, à même de susciter l’adhésion des habitants et des usagers comme des autres acteurs de l’écosystème. Nous ne saurions que souscrire à ces propos. Avec elle, on converge sur l’idée que c’est bien une mobilité autonome propre à Paris Saclay qu’il faut promouvoir, en mettant en avant la capacité d’innovation que le territoire na cessé de manifester depuis au moins la création du système des rigoles, par Thomas Gobert, jusqu’à nos jours, en passant par les pionniers de l’aviation qui ont fait du Plateau de Saclay un terrain de prédilection pour expérimenter leurs coucous.
Devant une vision aussi stimulante, nous ne résistons pas à l’envie de lui proposer un entretien sur le vif. Ce qu’elle accepte volontiers (lequel entretien a depuis été mis en ligne – pour y accéder, cliquer ici).

Une bonne dizaine de minutes plus tard, il faut sérieusement songer à revenir à CentraleSupélec. Elle même doit s’y rendre pour assister à la keynote à laquelle participe le DG de VEDECOM, Philippe Watteau.
Nous nous surprenons à nous dire que nous y irions bien à pied s’il le faut (c’est à moins de 25 mn). Mais ce serait le comble quand on songe que c’est le VA qui nous a fait venir jusqu’ici. Notre patience est cependant récompensée (on a dû juste presser nos confères de France 3). Nous revoilà dans le car. L’esprit qui y règne est bon enfant. Durant le trajet, un collègue du chauffeur lui indique le trajet à prendre en faisant mine de le piloter automatiquement…

A lire aussi :

– les comptes rendus de la cérémonie de clôture de Paris-Saclay Spring et du discours de Cédric Villani (pour y accéder, cliquer ici) et de la table ronde « VC’s meet Clusters » (cliquer ici) ;

– les entretiens avec Laëtitia Pronzola, fondatrice de Lotaëmi, une start-up, qui a conçu un baume essentiel pour soin capillaire et peau sèche à base d’ingrédients 100% naturels (cliquer ici) ; Barthélémy Bourdon Barón Muñoz, CEO et cofondateur de Hajime, une start-up qui s’est placée à l’interface de la psychologie sociale et de l’IA pour améliorer l’observance thérapeutique (cliquer ici) ; Sylvain Franger et Arun Kumar Meena, chercheurs l’Institut de chimie moléculaire et des matériaux d’Orsay (Université Paris-Sud), qui participent au développement d’une nouvelle génération de batteries (cliquer ici).

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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