Professeur à l’École des Ponts ParisTech, spécialiste de mécanique des fluides, Jean-Paul Chabard dirige le projet du nouveau Centre R&D d’EDF qui doit ouvrir en 2015 sur le Plateau de Saclay. Retour sur un cursus qui éclaire ses prédispositions à l’esprit du cluster fondé sur les logiques d’innovation ouverte et de mutualisation.
L’« Île des impressionnistes » située dans la Commune de Chatou, à l’ouest de Paris, s’est, comme son nom le rappelle, rendue célèbre en accueillant d’illustres peintres, dont Renoir, qui y peignit notamment « Le déjeuner des canotiers ». Après avoir été laissée de longues années à l’abandon, la Maison Fournaise abrite de nouveau un restaurant, en plus d’un musée.
Pour les hydrologues du monde entier, l’île est aussi et peut-être d’abord connue pour la présence du Laboratoire National d’Hydraulique et Environnement, un des plus anciens centres de R&D d’EDF. C’est là que nous a accueillis Jean-Paul Chabard au début du mois de janvier pour nous présenter le futur centre qui doit, lui, voir le jour sur le Plateau de Saclay, en 2015. En prenant soin de « tarir » d’emblée ce qui a été longtemps une source d’inquiétude pour le personnel qui travaille sur l’île. « Il continuera à travailler ici. Et pas seulement parce qu’il serait illusoire de faire renoncer les salariés au cadre encore bucolique. Mais parce que le centre abrite des équipements qui ont fait la réputation du site : des bassins de reproduction de houles, dont certains « dernier cri », et des reproductions à grande échelle de barrages de France et de Navarre. Le futur centre R&D accueillera les équipes d’un autre site, celui de Clamart, soit la moitié des effectifs franciliens de R&D d’EDF (le reste étant répartis entre Chatou et un 3e site, les Renardières).
Mais avant de l’entendre présenter ce projet dont il a la charge depuis son lancement, en 2008, Jean-Paul Chabard a bien voulu retracer son parcours. Où l’on voit très vite qu’il était effectivement l’homme de la situation…
Sur le plan des études, d’abord, c’est un ancien de l’Ecole Centrale Paris, appelée à rejoindre le Plateau en 2016. « En 3e année, j’avais opté pour une spécialisation dans la thermique tout en poursuivant un DEA sur la mécanique des fluides. » Domaine dont il est devenu un spécialiste de renom avec plusieurs ouvrages à son actif.
Puis il passera un an à la direction des applications militaires du CEA Certes, les bureaux de celles-ci ne se situent pas sur le Plateau, mais dans la commune toute proche de Bruyères-le-Chatel. Cette première expérience le conforte dans l’intérêt pour la recherche appliquée. « M’intéressant à la modélisation et à la simulation numérique des écoulements, je prenais part au développement de grands codes de calcul en hydrodynamique pour des applications militaires. »
Cette simulation numérique combinée avec la dynamique des fluides l’intéresse au point que quand, en 1984, on lui propose de rejoindre les équipes du Laboratoire National d’Hydraulique pour travailler sur « les écoulements incompressibles turbulents par éléments finis », il accepte instantanément.
L’hydraulique à l’heure de l’environnement
Pour mémoire, ce département a été créé au lendemain de la Libération, dans le sillage de la création d’EDF dont il a constitué une des premières composantes de la R&D. « A l’époque, il fallait reconstruire le pays, bâtir des ouvrages de production d’électricité, principalement des barrages, et reconstruire les infrastructures portuaires. A ses origines, le laboratoire a constitué une unité mixte entre EDF et le ministère de l’Equipement. Cette double tutelle a perduré jusqu’au début des années 60. Le LNH fait désormais partie intégrante d’EDF, tout en conservant néanmoins des liens privilégiés avec le ministère de l’Equipement au travers de partenariats avec ses services techniques, mais aussi avec l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées (ENPC), placée sous sa tutelle, et dont les cours d’hydraulique sont traditionnellement assurés par des enseignants-chercheurs issus de Chatou.
Au début des années 2000, le LNH a gagné un « E » en devenant le Laboratoire National d’Hydraulique et Environnement et pas seulement pour surfer sur la vague du développement durable. « Du fait notamment de l’urbanisation, les problématiques de l’eau ne concernent plus seulement des questions d’écoulement, mais aussi d’interactions avec le monde du vivant. »
Un exemple de coopération ancienne qui, en 2008, a débouché sur la création, à Chatou, d’un laboratoire commun entre EDF et l’ENPC, associés pour l’occasion au Centre d’Etudes Techniques Maritimes et Fluviales (CETMEF), ainsi que d’une chaire. Baptisés Saint-Venant, du nom du grand hydraulicien qui a établi les équations des écoulements à surface libre en eau peu profonde – « les équations de Saint Venant » (plus connues en anglais sous le nom de shallow ? water equations) – « très utiles pour rendre compte des écoulements marins » précise encore Jean-Paul Chabard – ce laboratoire et cette chaire sont une illustration parmi d’autres de la tendance des centres de R&D d’EDF à coopérer dans une logique de mutualisation. Laquelle se trouve justement au cœur, notons-le au passage, du projet de cluster de Saclay. « Toutes les équipes de la R&D d’EDF, nuance Jean-Paul Chabard, ne sont pas encore convaincues de la nécessité de travailler ainsi, en partenariat avec d’autres laboratoires. Tout dépend des domaines et des types d’activité, ainsi que de l’historique des départements. » Fort de son expérience des partenariats, le LNH figure parmi ceux qui ont noué le plus de partenariats avec l’extérieur. « D’autres départements travaillent en priorité avec leur commanditaire interne davantage qu’avec la communauté scientifique, ce qui peut se concevoir aussi. »
Jean-Paul Chabard pousse, lui, la logique de coopération externe jusqu’à publier avec des collègues chercheurs du milieu académique et à enseigner dans des écoles d’ingénieurs. A l’ECP, d’abord, où il assure, depuis 1987, et avec d’autres collègues de Chatou des cours sur « les méthodes numériques appliquées aux écoulements et aux transferts de chaleur ». « Au début, il s’agissait de cours théoriques. Depuis, ils sont tournés vers la pratique : nous apprenons aux élèves à se servir des codes de calcul de transfert thermique qui sont développés, ici, à Chatou. Nous les mettons ainsi en situation pour utiliser des outils de haute technologie, comme ils seront appelés à le faire dans le monde professionnel. »
Depuis le début des années 90, Jean-Paul Chabard a rejoint par ailleurs l’équipe d’enseignants de l’ENPC. Au début, les enseignements étaient encore donnés rue des Saints-Pères, dans le VIe arrondissement de Paris, avant le déménagement à Marne-la-Vallée. Un transfert qu’il ne regrette pas. « Le quartier des Saints-Pères était certes central, mais l’école était abritée dans un hôtel particulier qui n’était plus adapté. Nous donnions des cours dans d’anciennes salles de réception, avec un système de chauffage qui fonctionnait de manière erratique. »
Entretemps, il se voit confier la direction du LNH de 1994 à 1997 puis, jusqu’en 2000, d’un autre laboratoire du site, plus orienté sur l’aérodynamique et les transferts thermiques. La suite de sa carrière se déroule à Clamart où il a en charge un service regroupant plusieurs labos, orienté sur la modalisation et les technologies de l’information.
En parallèle, il participe avec le Directeur de la R&D EDF de l’époque, Gérard Menjon, à la renégociation de l’accord de partenariat avec le CEA dans le domaine du nucléaire civil, arrivé à échéance, en 1999. « Les négociations ont pris deux ans, le temps de mettre en œuvre les structures de gouvernance d’une R&D qui se voulait plus collaborative à travers des projets de codéveloppement. Nous ne souhaitions pas faire du CEA un simple prestataire et que la R&D d’EDF s’en tienne à un rôle de commanditaire, mais nous engager dans une logique de coréalisation. »
Une logique qui ne fut pas simple à mettre en œuvre. « Les chercheurs ne sont pas forcément dans cet état d’esprit, il y a des historiques qu’il faut savoir conjuguer. » Si des projets ne sont pas parvenus aux résultats escomptés, d’autres, en revanche, ont bien réussi. Entre autres exemples, Jean-Paul Chabard cite le projet… Neptune, qui avait vocation à développer « un environnement de simulation des écoulements diphasiques, c’est-à-dire constitués de plusieurs phases, par exemple une phase liquide et une phase gazeuse. » « A défaut d’un rapprochement géographique des équipes, observe-t-il, les chercheurs ont pris le temps de se réunir régulièrement. »
Depuis le début de sa carrière, Jean-Paul Chabard s’est ainsi retrouvé à travailler de près ou de loin avec plusieurs acteurs du Plateau de Saclay, présents ou à venir : l’ECP et le CEA et sa direction de l’énergie nucléaire civile. Ajoutons encore l’ENPC où il enseigna du temps où le directeur n’était autre qu’un certain Pierre Veltz.
Une expérience de la coopération avec d’autres chercheurs, mais aussi de l’enseignement : autant de qualités requises pour porter un projet de création d’un Centre R&D au sein d’un territoire conçu dans une logique de cluster. La suite au cours d’un entretien dans lequel Jean-Paul précise les contours de ce projet qui doit voir le jour en 2015.
Journaliste
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