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Agriculture & Alimentation

Au source des terres fertiles de Saclay, les drains

Le 23 octobre 2023

Entretien avec Sibylle Parant, Cheffe de projet agriculture au sein de l’EPA Paris-Saclay.

Ils ont contribué à faire des sols du plateau de Saclay parmi les plus fertiles d’Europe. Ils, ce sont ces drains mis en place au fil du temps. Mais aussi curieux que cela puisse paraître, leur localisation reste encore méconnue faute de cartes complètes ou actualisées. Or, la connaissance de cette localisation est indispensable pour prévenir les risques de détérioration lors de travaux de construction ou d’aménagement. C’est pour pallier cette situation que l’EPA Paris-Saclay s’est engagé avec Terre et Cité et d’autres partenaires dans une démarche visant à se doter des moyens de réaliser une cartographie exhaustive mais aussi de préciser les responsabilités juridiques en cas de détérioration. Précisions de Sibylle Parant, Cheffe de projet agriculture au sein de l’EPA Paris-Saclay.

- Pouvez-vous, pour commencer, rappeler le principe des drains et leur origine ?

Sibylle Parant : Ces drains relèvent d’une histoire ancienne. Les premiers sont apparus avec le défrichage, à partir du Xe siècle, du plateau de Saclay, jusqu’alors un espace boisé et marécageux. Le drainage y a été ensuite renforcé à la fin du XVIIe siècle avec la conception du système de rigoles et d’étangs, destiné à alimenter les fontaines du parc de Versailles. Au XIXe siècle, le système de drains connaît un nouveau développement avec la loi de 1856 qui structure au plan national les travaux de drainage agricole à l’échelle de la parcelle puis, dans les années 1880, l’enfouissement de drains à un mètre sous terre, ce qui a contribué à améliorer encore la qualité des terres. Le drainage favorise en effet la constitution d’une couche de limon qui préserve l’humidité du sol – au point qu’on peut y cultiver du maïs en se passant d’irrigation, y compris pendant les périodes de sécheresse. Fonctionnel, ce système de drains l’est encore au regard des risques d’inondation des parcelles de culture qu’il permet de prévenir.
Précisons encore, pour se faire une idée précise de ces drains, qu’ils se présentent sous la forme de cylindres en terre cuite qui ont été progressivement remplacés ou complétés par d’autres en PVC.

- À quand remontent les préoccupations autour de leurs risques de détérioration ?

SP : Dès les années 1950, l’aménagement du territoire dans la contexte d’urbanisation s’est traduit par l’artificialisation de sols et, donc, à certains endroits, l’endommagement de drains. Aujourd’hui, plusieurs projets de construction et d’aménagement portés dans le cadre de l’Opération d’Intérêt National (OIN) Paris-Saclay se situent en périphérie immédiate de terres agricoles avec le risque, donc, de nouvelles emprises affectant directement le réseau de drainage. Naturellement, notre préoccupation est de veiller à ne pas le détériorer. Car un drain sectionné et c’est une parcelle qui risque d’être inondée et sa culture perdue.

Un plan ancien localisant des drains sur une parcelle.

Un autre plan ancien.

Ce qu'il advient quand des drains sont endommagés...

Un plan ancien localisant des drains sur une parcelle.

Un autre plan ancien.

Ce qu'il advient quand des drains sont endommagés...

- À quand remonte la prise de conscience de l’enjeu ? Quelle part l’EPA Paris-Saclay prend-il dans la préservation de ces drains ?

SP : L’enjeu a clairement été identifié à l’occasion de l’élaboration en 2015-17 du premier programme d’actions de la ZPNAF pour la période 2017-23.
Précisons que ce programme d’actions est multi-partenarial. Pas moins de 28 actions y sont prévues, dont le pilotage est confié à une vingtaine d’acteurs, certains d’entre eux en ayant plus d’une en charge. Une de ces actions, l’« A2 », porte directement sur le réseau de drainage et ses fonctionnalités agricoles, et elle est pilotée par l’EPA Paris-Saclay. Comme son intitulé l’indique, elle vise à « Réaliser un recensement des réseaux de drainage à l’échelle de la parcelle pour préserver leurs fonctionnalités et les valoriser au mieux ». Concrètement, il s’agit de capitaliser sur les informations disponibles sur le territoire.

- En quoi consistent ces informations ?

SP : Pour commencer, dans les plans de drainage de huit exploitations agricoles, que les enquêtes de Terre et Cité ont permis de rassembler – à eux tous, ils couvrent un millier d’hectares. Ce travail a été complété par la documentation de l’ex-Direction départementale de l’Agriculture et de la Forêt [ DDAF, aujourd’hui DDT pour Direction départementale des territoires) réunie sur la période 1991-1996. Au total, c’est 2 400 ha qui sont ainsi inventoriés. La numérisation de ces informations par notre cartographe, Thomas Duhamel, ajoutée au travail de recalage que nous avons confié à des géomètres – des exutoires n’étant manifestement pas bien positionnés dans les plans des agriculteurs – a permis d’établir une cartographie globale qui couvre de l’ordre de 40% de la ZPNAF.

- Comment envisagez-vous de cartographier le reste ?

SP : En recourant à de la détection aérienne. Nous nous sommes pour cela lancés dans un programme de recherche complémentaire, DRAIN-ACT, piloté par l’ex-IRSTEA – qui a depuis fusionné avec l’INRAe. Ce programme visait à identifier les technologies qui permettraient de cartographier des réseaux de drainage. Il en est ressorti qu’à l’heure actuelle, une seule technologie était adaptée. Elle consiste en des prises de vue au moyen d’un drone équipé d’une caméra infra rouge. Elle nécessite des conditions drastiques au moment du survol : qu’il n’y ait pas de culture sur la parcelle, que les drains soient chargés en eau et, donc, qu’il y ait eu d’importantes chutes de pluie préalablement ; il faut encore qu’il y ait un différentiel de température suffisant entre l’air et le sol. La meilleure période pour la prise de vue est donc le printemps, c’est-à-dire avant que les cultures aient germé.

- Avez-vous d’ores et déjà pu tester cette solution ?

SP : À mon arrivée à l’EPA Paris-Saclay en février 2022, j’ai aussitôt pris contact avec le prestataire qui avait été identifié pour la réalisation des tests. Malheureusement, durant le printemps 2022, les conditions météorologiques n’ont pas été favorables. Nous avons donc dû reporter le test l’année suivante. Mais, une nouvelle fois, les conditions n’ont pas été réunies.
Quand bien même l’avaient-elles été, il nous aurait encore fallu obtenir des autorisations de vol, du fait de la proximité de l’aérodrome de Toussus-le-Noble. Des autorisations qui sont à demander quelques jours avant… Or, nous sommes tributaires de la météo… En bref, et vous l’aurez compris, nous n’avons pu encore achever le travail de recensement non pas faute de solution technique, mais faute de pouvoir la tester.
Pour autant, nous ne restons pas inactifs. Ce travail de cartographie n’est qu’un volet de l’Action 2 que nous pilotons. En parallèle, nous sommes en effet engagés dans une réflexion sur les responsabilités juridiques en cas de dégradation de drains lors d’interventions, sur ce qu’on doit prévoir en pareilles circonstances, à qui imputer l’obligation de réparer – au maître d’ouvrage ? Au maître d’œuvre ? À l’entreprise qui réalise les travaux ? Un autre défi s’il en est car il n’existe pas d’autres exemples à notre connaissance de réseaux de drainage aussi dense et enfoui à une si faible profondeur.

- Où en êtes-vous néanmoins dans votre réflexion ?

SP : Une étude juridique a été lancée en 2022 et finalisée en 2023. Il en ressort que les drains pourraient être considérés comme relevant d’une servitude d’utilité publique, mais que cela poserait un problème : en pareil cas, en effet, cela signifierait qu’on ne pourrait plus construire dessus ! Une piste alternative consiste à anticiper au mieux les risques dès l’instant où un chantier est lancé à proximité d’une surface agricole. Concrètement, l’étude a permis d’élaborer un ensemble de clauses, cinq au total. En premier lieu, une clause de protection des drains agricoles existant, impliquant leur identification préalable, l’élaboration d’un protocole de protection, la documentation à mettre à disposition des entreprises de BTP. Ensuite, une clause de responsabilité du titulaire des dommages causés aux drains ; une clause de surveillance et de suivi de la protection des drains par un responsable désigné par le maître d’ouvrage ; une clause de remise en l’état des drains par le titulaire en cas de dommage. Enfin, une clause de participation des agriculteurs, en partant du principe que, quand bien même ils ne disposeraient pas de plan précis, ils ont une connaissance suffisamment fine de leurs parcelles et de la localisation possible des drains. Autant donc prendre le temps de les consulter avant d’intervenir. C’est l’esprit de cette clause.

- On mesure à vous entendre la complexité du défi qui vous confronte à des contraintes nouvelles à mesure que vous progressez dans vos efforts pour le relever. Est-ce à dire néanmoins qu’en attendant d’y parvenir totalement, vous déployez des moyens pour réparer au plus vite les drains endommagés ?

SP : Sans attendre le moment d’intervenir pour une réparation, on peut s’appuyer sur une bonne pratique consistant à mettre en place des drains de ceinture – cela permet de collecter l’excédent d’eau au cas où un drain serait endommagé. Elle a déjà été mise en œuvre par la Société du Grand Paris sur les chantiers de la future ligne 18 du Grand Paris Express.

- Qu’en est-il de la responsabilité de l’EPA Paris-Saclay. A-t-elle été mise en cause ?

SP : Pour ce qui le concerne, et renseignements pris auprès de notre directeur des projets techniques, Antoine Demolliens, l’EPA Paris-Saclay n’a pas eu jusqu’à présent à déplorer de dégradation qui aurait été de sa responsabilité ou de celle de ses maîtrises d’œuvre.

- À travers cet entretien, vous venez de témoigner d’une démarche méconnue du grand public. Pourtant, elle donne à voir un aspect du travail de l’EPA Paris-Saclay qui gagnerait à être davantage reconnu…

SP : Cette démarche s’inscrit pleinement dans les prérogatives qui nous ont été concédées par la loi relative au Grand Paris du 3 août 2010 dans le cadre de l’animation du programme d’action de la ZPNAF. Il nous revient à nous aussi de contribuer à la protection et la préservation d’espaces fonctionnels agricoles. Maintenant, ce dont je vous ai parlé s’inscrit dans une démarche qui suit son cours. Ceci pouvant expliquant le souci de ne communiquer encore qu’a minima.

- À un titre plus personnel, qu’est-ce qui vous a prédisposée à vous impliquer dans ce dossier dont on mesure l’enjeu, mais aussi la grande complexité ?

SP : De formation, je suis ingénieur agronome. C’est dire si j’ai très vite pris la mesure de l’intérêt de ce réseau de drains et de le préserver. Cela étant dit, il s’agit d’un dossier on ne peut plus technique ; il m’a fallu du temps avant d’en comprendre les tenants et aboutissants. Face aux limites dont je vous ai parlé, j’ai l’impression d’être au milieu du gué. Ce dossier nous place encore devant des défis, mais c’est précisément en cela qu’il est intéressant. D’autant plus qu’il a permis d’accumuler des connaissances sur le territoire, de prendre la mesure de sa profondeur historique. Mener à bien ce travail dans le cadre d’un établissement comme l’EPA Paris-Saclay ajoute à l’intérêt car, de fait, ces drains sont à l’interface de l’agriculture et de l’aménagement et m’amène à échanger avec une diversité de collègues et de partenaires.

- Pourrait-on imaginer que vous fassiez profiter de l’expertise accumulée au fil du temps aux étudiants d’AgroParisTech ?

SP : (Sourire). Je doute pouvoir faire une conférence spécifiquement sur le drainage du plateau de Saclay. En revanche, une intervention sur la ZPNAF aurait du sens ne serait-ce que pour achever de les convaincre que le nouveau site de leur école n’est pas perdu au milieu de nulle part, mais bien inscrit dans un territoire confronté à des problématiques concrètes au plan de l’agriculture et de bien d’autres encore, en lien direct avec les sujets abordés au cours de leur cursus.

Publié dans :

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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