Au-delà des limites : TEDx Saclay
Le 30 novembre 2016, se déroulait donc la 2e édition de TEDx Saclay. En plus d’une série d’entretiens sur le vif avec plusieurs de ses parties prenantes, tant du côté des intervenants que des organisateurs, nous vous livrons ici nos propres impressions. Lesquelles pourraient se résumer en une formule simple : vivement TEDx Saclay 2017 !
Autant le reconnaître : en cheminant, même par ce jour d’automne ensoleillé, vers le nouvel EDF Lab, pour nous rendre à la 2e édition de TEDx Saclay, nous nous sommes surpris à nous demander si, après tout, elle pourrait être aussi réussie que la précédente, qui, consacrée aux Lumières, nous avait permis de traverser l’épreuve des attentats du 13 novembre (pour un compte rendu de cette édition, cliquer ici). Certes, le sujet de cette année manifestait l’ambition d’aller plus loin encore, de surcroît avec des intervenants de renom, de voir plus grand aussi (l’amphithéâtre de l’EDF Lab dispose de plus d’un demi millier de places). Certes, dans un récent entretien (pour y accéder, cliquer ici), Assya Van Gysel laissait entendre que joie et synchronicité avaient encore été les ingrédients de cette nouvelle édition tout au long de sa préparation. Certes, nous connaissions plusieurs des intervenants pour les avoir interviewés et/ou avoir assisté à leur sélection lors des appels à idées lancés pour la première fois cette année. N’empêche, nous nous surprenions à douter.
Trois heures et quelque et douze interventions plus tard (quatorze, en comptant les deux vidéos d’autres conférences TEDx diffusées le même soir), les doutes s’étaient envolés, faisant place à un enthousiasme d’une intensité égale sinon supérieure à celle de l’an passé.
Gare au Big Data
Le parcours de cette Alice imaginaire, qu’Assya narrait en guise de fil rouge, commençait fort avec une intervention toujours bluffante d’Etienne Klein, le physicien et philosophe du CEA de Saclay, qui alla jusqu’à pointer les limites des savoirs produits à partir du Big Data, comparés à l’effort de théorisation : alors que l’analyse de données numériques massives ne permet d’établir, par induction, que des corrélations, le second permet, à partir d’ « expériences de pensée », de mettre au jour de possibles relations de causalité, vérifiables a posteriori, ce qui ajoute à la fascination que ces expériences peuvent exercer (en guise d’exemple, Etienne Klein a évoqué son génie fétiche, Albert Einstein, dont les équations ont permis de détecter les ondes gravitationnelles… un siècle après). On savait combien cette question de l’emprise du Big Data agitait en particulier le champ des sciences sociales, dont les chercheurs peuvent de fait s’estimer contester dans leur prétention à analyser nos comportements, par ce qu’en disent les data scientists en traitant les données numériques que nous produisons au quotidien. L’autre mérite de l’intervention d’Etienne Klein était d’attirer l’attention sur le fait que la question de cette emprise du Big Data concernait aussi le champ des sciences exactes.
Après une telle prestation, on ne pouvait qu’être un peu inquiet pour l’intervenant suivant. C’était oublier qu’il s’agissait de Raphaël Haumont, l’enseignant-chercheur à la Faculté des Sciences d’Orsay (Université Paris-Sud), qui, dans le cadre de la chaire « Cuisine du futur », a mis ses connaissances en physique-chimie des matériaux au service de l’invention de nouveaux aliments. Toujours aussi bateleur et pédagogue, malgré des problèmes techniques (ah, quand la zapette ne fonctionne pas…), qu’il sut cependant, après quelques signes d’agacement, retourner en sa faveur, en reconnaissant qu’ils mettaient à l’épreuve les « limites » de sa patience…
Entre MMM et RER
Que dire de son comparse Thierry Marx – ils ont cofondé le Centre Français d’Innovation Culinaire (CFIC) – mais qui intervenait, cette fois, sur un tout autre registre : le récit de son propre parcours depuis une adolescence difficile jusqu’à sa consécration – formé par les meilleurs Chefs de France (Claude Deligne, Joël Robuchon, Alain Chapel,…), il est un des Chefs français les plus reconnus. Consécration qui ne l’a manifestement pas empêché de garder les pieds sur terre, semblant même intimidé par le public. TEDx Saclay, c’est aussi cela : des idées qui nous passionnent et qu’on veut partager, mais aussi le témoignage d’une expérience personnelle susceptible de faire sens, dont on tire des enseignements utiles aux autres. Mission remplie, donc, avec cette intervention dont on retiendra les règles de vie forgées à la force du poignet, et qui tiennent en quelques lettres : MMM (pour Mimétisme, Mémoire, Maîtrise) et… RER, non pas en référence au Réseau Express Régional qui dessert une partie du territoire de Paris-Saclay, mais pour Rigueur, Engagement, Régularité (qualité qui siérait bien au demeurant à la ligne du RER B…).
Passage réussi pour les lauréats d’appels à idées
Nous nous garderons de revenir ici en détail sur les neuf autres interventions qui seront, comme les trois premières, prochainement disponibles en vidéo. Saluons juste encore la performance des quatre jeunes intervenants qui avaient été préalablement sélectionnés sur la base d’appels à idées lancés en direction des doctorants et étudiants. Ils ont été tout simplement impressionnants de maîtrise. Des quatre, seule Pauline Maisonnasse avait l’expérience de ce genre de défi (elle a emporté les prix du public et du jury de « Ma Thèse en 180 secondes » de Paris-Saclay). Son mérite n’en est pas moins grand : sur une durée quatre fois plus longue, elle a su capter l’attention du public, en traitant d’un sujet austère (les enseignements du système immunitaire du cochon pour le traitement de nos grippes…), avec pédagogie et… humour (voir l’entretien qu’elle nous en a accordé à chaud ; cliquer ici).
Les trois autres méritent tout autant d’être cités : Pierre Barral, Centralien, qui eut l’audace de se livrer à une défense et illustration du tirage au sort comme mode de sélection de nos responsables (pour en savoir plus, voir l’entretien qu’il nous avait accordé à l’issue de l’appel à idées qu’il avait emporté dans la catégorie étudiants – pour y accéder, cliquer ici) ; Olivier Beaude, Polytechnicien, aujourd’hui ingénieur-chercheur à EDF R&D, où il explore les applications de la théorie des jeux à l’optimisation des réseaux électriques (idem, cliquer ici) ; enfin, Andrei Klochko, également Polytechnicien qui, dans la perspective de la nécessaire transition énergétique, a promu une solution innovante en matière de stockage (idem, cliquer ici) – à voir le manteau long qu’il portait, nous ne nous faisons plus de souci quant à sa capacité à se mettre en scène !
Manifestement il y a un effet TEDX Saclay. On le mesure à voir le chemin parcouru par ces lauréats des appels à idées. Un effet qui doit cependant beaucoup à un important travail de répétition : chaque intervenant est, en principe, coaché avant une répétition générale qui se déroule le matin du jour J (nous écrivons « en principe », en référence au témoignage qu’Olivier Barral livre avec franchise, dans l’autre entretien qu’il nous a accordé à l’issue de sa prestation – mise en ligne à venir).
Au-delà de toutes les limites
Tous à leur façon, les intervenants donnaient à voir et comprendre la diversité des limites que cette édition nous invitait à franchir.
A commencer par celles qui persistent entre les disciplines universitaires, mais aussi entre elles et d’autres, plus artistiques. Pourtant, on a beaucoup à apprendre de la danse, pour ne prendre que cet exemple, même quand on est chercheur en informatique. Et vice et versa. C’est ce qu’a magistralement montré Sarah Fdili Alaoui (que nous avons déjà eu l’occasion d’interviewer ; pour accéder à l’entretien, cliquer ici) à travers plusieurs séquences vidéos. On en aurait presque regretté que cette chercheuse qui sait de quoi elle parle – elle est elle-même danseuse – n’ait pas exécuté ne serait-ce qu’un pas de danse. Ce que nous n’avons pas manqué de lui faire remarquer dans l’entretien qu’elle nous a accordé (mise en ligne à venir).
Mais les limites, c’est aussi celles que l’humanité est en train d’atteindre jusque dans ses performances… sportives (et en dépit de l’usage de dopants…) ainsi que l’a illustré Jean-Philippe Toussaint, dont le cursus suffit à démontrer sa capacité à se jouer d’autres limites : médecin cardiologue formé à Harvard, il fut… international de volley – il porta les couleurs de l’équipe de France. Actuellement, il dirige un laboratoire à même de concilier ses passions : l’IRMES (Institut de recherche bio-médicale et d’épidémiologie du sport), implanté sur le campus de l’INSEP (Institut national du sport, de l’expertise et de la performance), qui, rappelons-le, forme plus de la moitié de nos champions olympiques dans ses installations du bois de Vincennes. Son propos était loin de se limiter aux seuls sportifs : le commun des mortels est aussi concerné par les limites que rencontre l’humanité comme en témoigne notamment le recul de l’espérance de vie qu’on enregistre aujourd’hui, y compris dans des pays dits développés dont les Etats-Unis. Et J.-P. Toussaint de faire, cette fois, le lien avec les effets d’une surexploitation des ressources naturelles. Façon de dire qu’il tient encore à nous de conjurer ces évolutions en sachant repenser nos modes de vie.
Au carrefour de genres musicaux
Dans un autre registre, les limites dont il a été question sont aussi celles qu’on aurait intérêt à traverser plus souvent pour aller à la rencontre des autres. A l’instar de Sylvain Dupuis, un ethnomusicologue de formation, passionné de voyages, qui en est venu notamment à fonder Haïdouti Orkestar, une fanfare-orchestre, non sans se jouer des frontières entre les genres musicaux : elle joue de la musique aussi bien turque que balkanique, orientale… Lui-même batteur et percussionniste, il en est enu à explorer l’univers du jazz. Un témoignage plus qu’émouvant en cette période de conflits, et que l’intervenant eut l’heur de ponctuer d’extraits de composition dont l’effet fut immédiat : nous inciter à nous précipiter sur son site et guetter son prochain CD. En attendant, nous lui avons tendu notre enregistreur pour un entretien sur le vif (mise en ligne à venir).
Au-delà de ses propres limites
Les limites dont il a été question ce 30 novembre 2016, ce sont encore celles qu’on s’impose à soi, tout seul, non sans du même coup entraver ses capacités d’agir, pis : ses rêves. Illustration, cette fois, à travers le témoignage de Ghislain Bardout, qui, après avoir surmonté un handicap physique, a entrepris de poursuivre des explorations sous-marines en Arctique, avec sa compagne et la complicité d’un Jean-Louis Etienne.
Pourquoi s’inflige-t-on, donc, des limites ? Par peur, sans doute, mais aussi par ignorance de notre puissance d’agir… avec les autres. C’est tout le sens de la fable du colibri, popularisée par Pierre Rabhi (pionnier de l’agriculture biologique en France) et que Pascal Ribon (ancienne directrice de l’ESTACA Paris-Saclay), sut convoquer avec à-propos, pour illustrer la capacité à transformer des organisations (comme cette école d’ingénieurs qu’elle sut rapprocher du modèle de l’entreprise, de façon à préparer dans les meilleures conditions ses élèves à la vie professionnelle).
Le bel esprit toujours prompt à critiquer, surtout quand il se garde de prendre le risque de faire, ne manquera pas de pointer des performances inégales, le caractère éclectique du programme sans oublier… le dysfonctionnement de la zapette. Nous, nous prenons tout, y compris les apparentes défaillances techniques ou humaines. D’autant, qu’elles ont été l’occasion de dépasser d’autres limites ! Un intervenant a-t-il un trou de mémoire ? Qu’à cela ne tienne, le public le relance par une salve d’applaudissements. TEDx Saclay, c’est aussi cela : des intervenants qui, pour être passionnés et passionnants, n’en sont pas moins humains, en prenant au sérieux ce moment TEDx, au point de se mettre un peu plus la pression. Manifestement, ils ne le considèrent pas seulement comme une opportunité pour donner un coup d’accélérateur à leur médiatisation voire leur carrière. Ils le vivent d’abord comme l’occasion de partager leur passion, ajoutant ainsi à la magie de l’événement. Au final, c’est TEDx Saclay qui se révèle être en soi « au delà des limites ».
S’il fallait apporter une preuve ultime que cette édition a été une réussite, il suffirait d’invoquer ce temps que nous n’avons tout simplement pas vu passer malgré le nombre d’intervenants : douze, donc, auxquels il faut ajouter ceux des deux séquences que tout TEDx se doit d’insérer en vertu du cahier des charges conclu avec l’organisation TED – et ce, pour le plus grand bonheur du public qui, cette fois-ci, eut l’occasion de découvrir (c’est notre cas) deux irrésistibles conférences, l’une sur la procrastination, l’autre sur notre vie à l’heure des spams.
Soit quatorze intervenants au total. En réalité quinze en comptant Assya et même seize avec… Alice, le personnage dont elle faisait le récit des explorations pour faire le lien entre les différents intervenants (une performance en soi !). En référence au célèbre roman qui sait se jouer des limites de l’imagination, nous étions-nous dit. Avant de comprendre qu’Alice, c’était elle, Assya, qui, petite déjà, abordait la vie avec curiosité et pleine de questions. Nul doute que si Lewis Carroll l’avait rencontrée (après tout, pourquoi nous interdire d’imaginer jusqu’à ce scénario !), le titre de son roman s’en serait trouvé modifié : « Assya au TEDx des Merveilles… »
Contrairement à ce qu’indiqué précédemment, la photo illustrant cet article est de Bertrand Marquet. Merci et bravo à lui !
A lire aussi les entretiens avec : Olivier Beaude (cliquer ici), Sylvain Dupuis (cliquer ici), Sarah Fdili Alaoui (cliquer ici), Pauline Maisonnasse (cliquer ici), Clara Morlière (cliquer ici), Pascale Ribon (cliquer ici) et Assya Van Gysel (cliquer ici).
Journaliste
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