En septembre 2015, les personnels du futur Campus EDF se sont vu proposer des visites du territoire, organisées par l’Ader, l’association bien connue qui a vocation à promouvoir la réhabilitation du système de rigoles et d’étangs du Plateau de Saclay. Gérard Delattre, son président, a bien voulu nous expliquer les circonstances de cette rencontre improbable entre le géant de l’énergie et une association locale.
– Votre association a organisé des visites du Plateau de Saclay à l’intention du personnel appelé à rejoindre le futur Campus EDF, à l’occasion du Forum R&D qui se tenait à Polytechnique, les 18 et 19 septembre dernier. Comment cette initiative a-t-elle vu le jour ?
Il y a trois ans de cela, suite à sa décision de déposer un permis de construire sur le Plateau de Saclay, EDF avait organisé une réunion publique, à Palaiseau même. N’ayant pu m’y rendre, j’avais demandé à une de nos membres de remettre à Jean-Paul Chabard [ que nous avons eu l’occasion d’interviewer ; pour accéder à cet entretien, cliquer ici ], en charge du projet, un exemplaire de la carte du Plateau de Saclay que nous venions d’éditer et qui mettait en évidence le patrimoine du Plateau. Dans mon esprit, c’était une façon de le sensibiliser au fait qu’EDF arrivait sur un territoire qui était tout sauf vide, contrairement à ce qu’on entendait dire, y compris dans la bouche d’un ancien Premier Ministre, ce qui, comme vous l’imaginez, n’avait pas manqué de me surprendre et même de me choquer.
– Comment Jean-Paul Chabard a-t-il réagi ?
Dans l’immédiat, il n’y eut pas de réaction. Nous n’en étions qu’au début d’une longue procédure qui devait nous offrir d’autres occasions d’échanger. Ce n’est en réalité qu’en ce début d’année 2015, lors des vœux de l’EPPS, auxquels j’avais été convié en tant que président de l’Ader, que j’ai pu rencontrer Jean-Paul Chabard. Je me suis spontanément présenté à lui et nous avons commencé à échanger. Cela s’est fait aussi simplement que cela. Je lui ai rappelé la vocation de l’Ader et ce qu’on pouvait faire pour le personnel d’EDF, qui ne connaîtrait pas le territoire, en l’occurrence : des conférences sur son patrimoine et des visites de terrain. Intéressé, il m’a remis sa carte de visite. Suite à quoi, je lui ai confirmé par e-mail ce que je lui avais proposé. Puis, le temps a passé, jusqu’à ce j’en reçoive un de Delphine Chapelle, Chargée de communication à la R&D d’EDF, qui proposait de nous rencontrer. Petit à petit, nous avons mis en place un projet qui s’est traduit par l’organisation, à l’occasion du Forum R&D d’EDF, qui se tenait les 18 et 19 septembre dernier, à l’École polytechnique, d’une exposition et de balades par petits groupes de 25 personnes, à l’intention, donc, des futurs salariés qui le souhaitaient. Nous avions conçu tout un circuit pour faire découvrir le réseau des rigoles et des étangs. Il passait à hauteur d’une des fermes que compte le Plateau de Saclay – un autre élément de son patrimoine, avec son style Hurepoix si caractéristique – et traversait la forêt domaniale de Palaiseau, qui longe l’École Polytechnique. Pour ceux qui voulaient se balader seuls, nous avions établi un descriptif de parcours, sur la base du livret que nous avions publié [ pour en savoir plus, voir la chronique que nous en avons faite, en cliquant ici ].
Nous étions d’autant plus motivés que c’était la première fois qu’une entreprise qui s’installait sur le Plateau prenait le temps de présenter le territoire à ses salariés, de surcroît par le truchement d’acteurs locaux. Et puis, le fait d’organiser cet événement à l’École polytechnique n’était pas anodin. Je rappelle que c’est depuis ce campus que partent deux rigoles importantes qui traversent tout le Plateau. Ce que les concepteurs du campus de cette école ont, semble-t-il, ignoré au point de détériorer une des rigoles. Il y a quelques années, nous avions planté un panneau rappelant l’emplacement d’où elles partaient. Il nous semblerait intéressant de marquer de nouveau ce point de départ. Ce dont nous avons convaincu Antoine du Souich, alors Directeur du Développement durable de l’EPPS [aujourd’hui Directeur de la Stratégie, Performance et des Nouveaux Services]. Le tracé d’une des rigoles va être repris à l’occasion du réaménagement paysager du campus, sous la forme d’un noue (ou d’un fossé, si vous voulez), le long du boulevard des maréchaux.
– Quel a été le retour de ces salariés qui, pour beaucoup, découvraient le territoire ?
A en croire Jean-Paul Chabard et Delphine Chapelle, il semble qu’ils ont été plus qu’agréablement surpris. Ils s’étaient certes déjà faits à l’idée de travailler sur ce territoire, mais il semble que les promenades leur ont permis de mieux se préparer encore à cette perspective.
– En quoi la formation d’hydraulicien de Jean-Paul Chabard a-t-il pu faciliter les choses, selon vous ? Mais d’ailleurs, saviez-vous qu’il était spécialiste d’hydraulique ?
Non, je l’ignorais. Sans doute cela a-t-il facilité les choses. Mais je crois qu’il n’a pas été insensible non plus aux prouesses de Thomas Gobert, qui sut construire, au XVIIe siècle, ce système de rigoles avec une grande précision, sans les moyens dont on dispose aujourd’hui. Je me demande d’ailleurs si nos ingénieurs actuels, même avec leur recours au laser, pourraient faire mieux !
– Si on vous avait dit, voici quelques années, que vous travailleriez avec une grande entreprise, au demeurant publique, comment auriez-vous réagi ?
Travailler avec une entreprise n’est pas en soi un problème. Je considère même que c’est la moindre des choses dès lors qu’elle fait l’effort de s’intéresser à son territoire. En réalité, c’est le contraire qui m’a toujours paru anormal : qu’une entreprise s’installe sur un territoire sans se préoccuper le moins du monde de son environnement, ni même de l’impact de son installation sur le paysage. J’ai toujours été choqué de constater que des personnels d’entreprises, mais aussi d’établissements d’enseignement supérieur ou de recherche, s’installent ici sans rien connaître du patrimoine historique ou naturel du plateau et de ses vallées. Le plus souvent, ils ne commencent à s’y intéresser qu’à l’âge de la retraite. Ils participent alors à nos promenades en semblant tout découvrir !
C’est pourquoi la démarche d’EDF m’a, a contrario, paru intéressante. J’espère que d’autres s’en inspireront. Je pense en particulier à Danone, dont j’ai rencontré le directeur du site à l’occasion de la visite du chantier d’EDF à laquelle Jean-Paul Chabard avait convié notre équipe, en remerciement de notre aide. Comme à ce dernier, j’ai proposé nos services. Pour l’instant, nous n’avons pas de nouvelles…
– Gageons que le message passe par le truchement de cet entretien ! Mais, pour en revenir à EDF, quelle suite envisagez-vous ? Espérez-vous associer cette entreprise à votre projet de réhabilitation du système de rigoles et d’étangs ?
Oui, bien sûr. Mais je crains que pour l’heure, nos interlocuteurs n’aient d’autres priorités, à commencer par le déménagement du personnel. Le contact est cependant maintenu. Delphine Chapelle a assisté à titre personnel à la soirée sur le thème de la gastronomie au Moyen-Age, organisée par le Syndicat d’initiatives de Vauhallan présidé par mon épouse. Nous l’inviterons par ailleurs à une présentation que nous faisons sur les ressources ornithologiques des étangs de Saclay.
– Ceux qui s’intéressent aux dynamiques d’innovation sur un territoire mettent en avant l’importance du cadre de vie, ne serait-ce que pour attirer ingénieurs, chercheurs, entrepreneurs, etc. Est-ce quelque chose que vous avez à l’esprit pour justifier la valorisation de ce patrimoine ?
Oui, car, qu’est-ce qui fait qu’un cadre de vie est agréable à vivre si ce n’est son patrimoine existant, historique et naturel ? Quelque chose que les promoteurs du projet de cluster ont semblé oublier, au début du moins, en ne mettant en avant que ce qui allait être construit : les bâtiments de recherche, les nouveaux moyens de transport, les lieux de mutualisation, les équipements, etc. A les entendre, ils apporteraient beaucoup au territoire, mais sans se soucier de ce que celui-ci pouvait apporter de son côté. Ici comme ailleurs, nous avons pâti d’une difficulté à parvenir à une vision partagée du territoire.
– La morphologie de celui-ci, organisé entre un plateau et des vallées, n’a-t-elle pas ajouté aux difficultés ?
Oui, probablement. J’ajouterai les relations longtemps tendues entre l’Etat qui a imposé dans l’Après-Guerre et jusque dans les années 70 ses projets d’aménagement, d’une part, et des élus locaux, d’autre part. On se souvient du Schéma directeur qui prévoyait l’extension de la ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines, jusqu’à Palaiseau, et en réaction duquel s’est d’ailleurs constitué le Syndicat intercommunal de l’Yvette et de la Bièvre (SYB), qui porte le projet de réhabilitation du système des rigoles et des étangs.
Depuis, et par la force des choses, les choses ont évolué positivement, malgré la persistance de sujets de discorde (comme le métro !). EPPS et collectivités travaillent ensemble. Pour notre part, nous avons de bons échanges avec Antoine du Souich. A sa manière, l’Ader contribue à dépasser les frontières et à rapprocher les acteurs du territoire. Il est vrai que notre projet – réhabiliter le système des rigoles et des étangs, pour réalimenter les fontaines du parc de Versailles – est fédérateur.
J’ajoute que, pour en revenir à cette question de l’innovation, ce système en est une lui-même, sinon une prouesse technique. Tant et si bien que nous songeons très sérieusement à ériger une statue à la mémoire de son concepteur, Thomas Gobert. Malheureusement, et aussi curieux que cela puisse être, nous ne disposons pas du moindre portrait de lui !
– On pourrait peut-être faire un buste avec les traits d’un Gérard Delattre en reconnaissance de son propre dévouement pour la cause des rigoles et des étangs ?
(Rire). On pourrait surtout tirer de son Traité* (dont j’ai par le plus grand des hasards déniché un exemplaire de l’édition originale), un passage en forme d’épitaphe où il évoque les sept montagnes qu’il a dues traverser pour faire parvenir l’eau jusqu’aux fontaines du parc du château de Versailles.
* Traité pour la pratique des forces mouvantes, qui fait connoistre l’impossibilité du mouvement perpétuel par la nécessité de l’équilibre et une supputation de la pesanteur du globe de la terre, avec un moyen pour le soûtenir par démonstration : précedé d’un discours sur la certitude, l’étendue & l’utilité des mathématiques, Jean-Baptiste Delespine, Paris, 1702.
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