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Entrepreneuriat innovant

A la (re)découverte du Photonic FabLab.

Le 11 juin 2018

Nous avions visité le Photonic FabLab de l’Institut d’Optique à ses tout débuts, en 2014. Que de chemin parcouru depuis ! Nouvelle visite des lieux avec son nouveau responsable, Meldi Nciri. Un ancien startupper qui n’a pas renoncé à l’entrepreneuriat innovant.

– Si vous deviez pour commencer par caractériser le Photonic FabLab…

sdrC’est, comme son nom l’indique, le LABoratoire de FABrication de l’Institut d’Optique, créé en 2014, au sein du bâtiment 503. On y dispose de tous les outils qu’on trouve habituellement dans un fablab pour les besoins d’activités de prototypage : imprimante 3D, découpe laser, fraiseuse à commande numérique, découpe vinyle… A quoi s’ajoutent deux ateliers, l’un de mécanique, l’autre d’électronique. Naturellement, nous y avons aussi beaucoup de matériels en photonique (quelque chose de peu courant et qui fait donc une des spécificités de notre fablab). On y dispose aussi (et surtout) de l’expertise nécessaire à la mise en œuvre des machines et des ateliers.

– A qui ce fablab est-il destiné ?

Aux étudiants de la Filière Innovation-Entrepreneurs (FIE) de l’Institut dOptique, mais aussi aux entreprises, à commencer par celles présentes dans le bâtiment 503. Elles y ont accès moyennant un abonnement.

dav– Il se trouve que j’ai eu la chance de découvrir le Photonic FabLab à ses tout débuts. Que de chemin parcouru depuis…

Effectivement. Depuis sa création, il n’a cessé de s’enrichir de nouveaux équipements et de s’agrandir, sous la houlette de Camille et d’Hélène, qui sont depuis parties vivre d’autres aventures professionnelles.

– A quelle occasion l’avez-vous découvert ?

Dès sa création. A l’époque, j’étais entrepreneur ; deux ans plus tôt, je présidais la société Archimej technology que j’avais cofondée. J’ai pu ainsi assister à l’arrivée des premières découpes laser. C’est l’existence de ce fablab, qui nous avait, mes associés et moi, convaincus de maintenir notre centre de R&D au sein du bâtiment 503, malgré des localisations à Evry et en Chine. J’en ai été personnellement un utilisateur assidu durant les cinq années d’existence d’Archmej Technology. Les technologies mises à disposition ont notamment permis d’accélérer les phases de design et de faire du prototypage.

dav– Qu’est devenue votre société ?

Elle a malheureusement dû déposer le bilan, début 2017 (la liquidation a été prononcée en mai de la même année). La technologie fonctionnait assez bien. Pour mémoire, nous avions développé un analyseur de sang portable, qui permettait de faire des analyses pour un euro, par bilan biochimique, sans avoir à se déplacer dans un hôpital ou un laboratoire d’analyse. Notre société a compté jusqu’à une dizaine de personnes. Il nous restait à entamer la phase de validation clinique avant de commencer à vendre…

– Est-ce cette contrainte réglementaire, propre au secteur des biotech, qui aura été fatale à votre start-up ?

Non, je ne dirai pas cela. Les contraintes liées à cette phase de validation clinique, sont longues mais nécessaires. Elles ne sauraient dissuader des entrepreneurs qui, comme moi, n’aspirent qu’à une chose : changer le monde, ni plus ni moins, quitte à ce que cela prenne un peu de temps !
Si je me suis orienté vers la santé, c’est que j’avais la conviction que la photonique offrait des perspectives intéressantes en termes d’innovation technologique et de réduction des coûts. C’était bien le cas de la solution proposée par Archimej Technology. La faible marge réalisée par unité était compensée par le volume du marché – pour mémoire, 100 millions d’analyses du sang sont réalisées chaque jour dans le monde (70% des décisions que prennent les médecins s’appuient sur un bilan biochimique). C’est dire l’enjeu que constituent leur portabilité et la rédution de leur coût.
C’est dire aussi si j’avais encore du souffle pour passer, malgré les efforts déjà consentis en matière de R&D, l’épreuve de la validation réglementaire. Non seulement nous l’avions anticipée, mais encore je savais que notre patience serait récompensée par des retombées majeures. Et puis, cette validation est indispensable si on veut dissuader des entrepreneurs moins scrupuleux à mettre tout et n’importe quoi sur le marché…

– Qu’est-ce donc qui vous a empêché d’aller au bout de votre projet entrepreneurial si ce n’est ni ces contraintes ni la technologie elle-même ?

Le manque de financement pour franchir cette étape de validation ! L’histoire n’est cependant pas totalement finie. L’actif d’Archimej Technology a pu être transférée aux porteurs d’un projet FIE, True Spirit (devenu depuis une société) qui travaillait à l’application de notre technologie à l’analyse des spiritueux.
J’ai moi-même repris dès Juillet 2017 le développement d’un nouveau projet d’analyseur de sang portable, en intégrant l’expérience acquise avec l’aventure Archimej Technology, tant en matière de R&D que de Business Model.

– Avec le recul, quel regard posez-vous sur l’écosystème de Paris-Saclay ? Fait-il sens pour vous ? Vous paraît-il favorable au développement de projets d’entrepreneuriat innovant ?

C’est un écosystème que je connais bien pour, en plus d’y avoir créé Archimej Technology, y avoir fait mes études (comme indiqué, je suis moi-même issu de la FIE). Avec le recul, je lui trouve tout à la fois des qualités et des défauts.
Parmi ses plus grandes qualités : l’accompagnement des étudiants qui portent des projets d’entrepreneuriat innovant. L’existence de formations à cet entrepreneuriat (plusieurs établissements d’enseignement supérieur en proposent, à commencer par l’Institut d’Optique, au travers de la FIE) est un autre de ses atouts. Ces formations sont d’autant plus efficaces qu’elles sont assurées par des personnes qui, non seulement, connaissent bien l’entrepreneuriat, mais savent transmettre leur passion. J’ajoute le primat accordé ici à des innovations technologiques, hardware, et non pas simplement software – de type applications mobiles.
L’écosystème ne peut que s’enrichir et se renforcer avec la venue de nouveaux établissements d’enseignement supérieur et de recherche. Déjà, les étudiants ont pris l’habitude d’échanger entre eux, de quelles écoles ou universités qu’ils sont, ce qui ne peut que les aider dans leur projet, au stade de l’idéation.
Cependant, de l’extérieur, ce même écosystème peut encore paraître opaque dans son fonctionnement, tant les parties prenantes et les processus de décision sont nombreux. Même pour moi qui pense pourtant bien le connaître, il n’a pas toujours été facile d’y voir clair. Certes, nous avons reçu des subventions, mais au prix de dématches qui nous ont pris beaucoup de temps. Jusqu’au dernier moment, nous ne savions pas vraiment qui allait dire oui ou non. Ni vraiment pourquoi !

– En creux, ne pointez-vous pas un autre intérêt de l’écosystème, à savoir : réduire cette asymétrie d’information que vous semblez pointer, en facilitant, grâce à une certaine proximité géographique, les échanges entre les diverses parties concernées ?

C’est vrai. Entre entrepreneurs, nous nous parlons beaucoup, à l’occasion d’échanges informels ou d’un de ces événements comme il s’en organise de plus en plus en faveur de l’entrepreneuriat innovant. Il reste, et c’est une autre limite que je voulais pointer, que beaucoup de subventions sont conditionnées à la réalisation de pré-études (de marché, de R&D,…) dont elles ne couvrent qu’une partie du coût. Au final, elles profitent davantage à des cabinets de conseil.

– Et quid des problèmes d’accessibilité au Plateau de Saclay ? Je pensais que vous les évoqueriez en premier…

[ Il lève les yeux au ciel ]. C’est indéniablement le plus gros écueil de l’écosystème. Je suis bien placé pour en témoigner : je fais partie de ces irréductibles qui ne se déplacent qu’en transports en commun. Je regrette d’autant plus que le projet de la ligne 18 du Grand Paris Express ait encore été repoussé. Cela encourage le recours à la voiture et donc la construction de nouveaux parkings. Toutes les réunions publiques auxquelles j’ai pu assister sur le thème de la ligne 18 étaient d’ailleurs dominées par les automobilistes, qui voulaient être sûrs qu’ils pourraient continuer à venir avec leur voiture… Certes, il y a un peu plus de bus, mais beaucoup d’effort reste à faire. Un seul bus toutes les demi heures, en heure creuse, c’est peu pour ceux qui, comme moi, n’ont pas de voiture.

– Qu’est-ce qui vous a donc motivé à venir ici et à y rester ?

Le montant du loyer du 503 et l’accès à son fablab. Du temps d’Archimej Technology, nous n’aurions pu poursuivre nos efforts en R&D dans d’aussi bonnes conditions à Paris. Mais il y a aussi beaucoup d’embauches que nous n’avons pu concrétiser, du fait des conditions d’accès. Ce n’est pas évident de faire venir ici un Parisien, de surcroît attaché à Paris. Si tout marche bien, en heure de pointe, il faut au moins 40 mn pour aller à la gare d’Orsay-ville de la ligne B du RER et de là encore 20 min pour arriver au bâtiment 503. Et si un bus saute ou que le trafic du RER est perturbé, le trajet depuis Paris peut facilement coûter deux heures…

– Qu’en est-il maintenant de Paris-Saclay au regard des possibilités de financement des projets d’entrepreneuriat innovant ?

De ce point de vue, Paris-Saclay présente de vraies qualités : on y trouve des sources de financement pour les besoins d’amorçage. J’ai moi-même pu en bénéficier (merci à l’association Scientipôle Initiative, dont l’apport a complété les aides de la BPI, de la région Ile-de-France et du département de l’Essonne).
En revanche et c’est le premier défaut que je voulais en réalité pointer, l’écosystème pâtit d’un manque de financement, au-delà de ce stade de l’amorçage. La plupart des structures d’investissement présentes ici ne sont que suiveuses. La BPI elle-même ne prête qu’à hauteur de ce qu’on est parvenu à lever par ailleurs. Il s’agit de surcroît de prêts et non d’investissements. Les fonds d’investissement privés qui interviennent, fût-ce au travers de ceux créés par des écoles de l’écosystème, sont toujours les mêmes. Par exemple, dans le domaine des biotechs, c’est un unique fond (Kurma Partner) qui au final prend la décision d’investir ou pas.
Je trouve dommage que, dans un environnement institutionnel et universitaire aussi ambitieux que Paris-Saclay, on n’ait pu créer un fonds « institutionnel » plus autonome dans ses décisions stratégiques.
Certes, les fonds privés sont animés par des professionnels, mais leur objectif prioritaire voire unique est la maximation des profits. Les projets qui, à défaut d’une rentabilité immédiate, auraient des retombées favorables pour le territoire, ne serait-ce qu’en termes de création d’emplois et de capacité à attirer des compétences humaines, ne sont pas leur priorité.

– Des projets qui participeraient d’un entrepreneuriat tout à la fois innovant et social ?

Oui, parfaitement. Ce type d’entrepreneuriat s’est développé aux Etats-Unis, il peine encore à percer en France…

– Pourtant, il y existe un Mouvement des Entrepreneurs Sociaux, dont un des membres les plus actifs (Jean-Guy Henckel) a fait le choix d’implanter le siège de sa structure (Réseau Cocagne) sur le Plateau de Saclay…

Je ne demanderais qu’à rencontrer cette personne. Disons que, pour l’heure, l’entrepreneuriat innovant et social relève davantage d’une économie sociale et solidaire et non de l’innovation technologique.

– Qu’est-ce qui empêcherait cet entrepreneuriat de s’ouvrir à l’innovation technologique, au contact d’entrepreneurs innovants comme vous et d’autres acteurs de l’écosystème ?

Effectivement, rien ne l’exclut. Et il existe des raisons d’être optimiste, par exemple la plateforme « make.org » ou encore le projet « fab.city ». Je crois d’ailleurs beaucoup à l’apport de la photonique et notamment des technologies de reconnaissance d’image dans le développement des initiatives à vocation sociale ou de nouvelles manières de produire comme la permaculture, par exemple. A cet égard, l’arrivée prochaine d’une école comme AgroParisTech devrait ouvrir des perspectives intéressantes.
De manière générale, je crois beaucoup aux low-techs conçues à base de hacking, y compris dans un écosystème technologique comme Paris-Saclay. Rien n’empêche en effet de hacker de ces équipements fabriqués en masse et donc accessibles à un moindre coût, pour les détourner au service d’autres usages, y compris l’instrumentation scientifique. Laquelle ne serait pas pour autant moins fiable que l’instrumentation classique. Dans mon esprit, il ne s’agirait pas de faire de la science au rabais au prétexte d’en faire à bas coûts.

– J’imagine qu’en disant cela, vous avez en tête l’ « innovation frugale », que l’Institut d’Optique a contribué à promouvoir à travers la création d’une chaire dédiée…

Oui. Et c’est d’ailleurs aussi cette ouverture sur cette innovation qui m’avait motivé à rejoindre le Photonic FabLab. Parmi les nombreuses définitions qui en sont proposées, je fais mienne celle du « Gandhian engineering » : More, with less, for more. Qu’on peut traduire par : faire plus avec moins au bénéfice de plus de personnes.
La solution d’Archimej Technology ne s’inscrivait pas dans une autre logique. Si nous cherchions à réduire les coûts, ce n’était pas dans l’idée d’accroître notre profitabilité, mais bien d’apporter quelque chose de plus par rapport à l’existant, à un coût moindre de façon à en faire profiter le maximum de personnes.

– Hormis votre propre solution, quels exemples mettriez-vous en avant pour illustrer cette innovation frugale ?

Au risque de vous surprendre, j’avancerai celui de… la pomme de terre ! Un légume qui, moyennant un minimum de travail, permet de fournir beaucoup de nutriments au plus grand nombre et pour un prix imbattable. Un exemple inattendu, j’en conviens, mais que je prends à dessein pour souligner au passage que l’innovation frugale peut aussi puiser dans des expériences anciennes sans nécessiter toujours beaucoup de techno. Autre exemple, qui me paraît aussi emblématique de la démarche d’innovation frugale : le stylo à bille, qui a permis de se passer du style à encre, plus coûteux à fabriquer, tout en permettant plus d’usage à un moindre coût.
Parmi les exemples plus récents, je mettrai bien évidemment en avant le téléphone portable, qui, dans les pays en développement, a permis d’éviter à devoir investir dans les infrastructures lourdes requises pour l’usage du téléphone fixe, tout en offrant bien d’autres services, y compris bancaires – des populations pauvres peuvent désormais ouvrir un compte et même recourir à des microprêts, en ville comme dans des zones très rurales.

– Dans quelle mesure votre fablab peut-il contribuer à cette innovation frugale ?

Au travers de la promotion de l’instrumentation scientifique que j’évoquais. Une piste creusée par François Pluzzi. Président de la commission Physique sans frontière de l’Association Française de Physique (AFP), il en est venu à réfléchir à la réalisation d’instruments scientifiques – microscopes, spectromètres, centrifugeuses, systèmes d’opto-mécanique – à la fois fiables et accessibles financièrement. Une perspective qui intéresse tout particulièrement les pays en développement où les universités n’ont pas les moyens d’accéder aux équipements disponibles sur le marché européen ou nord-américain. Quand bien même peuvent-elles en importer, cela pose la question de la dépendance technologique à l’égard des pays dits développés. Des solutions existent déjà pour réaliser des développements rapides à partir de logiciels et de cartes électroniques open source (les microcontroleur d’Arduino, ou le mini PC Raspberry PI, par exemple). Désormais, il s’agit de développer les briques de hardware qui entrent dans la composition des instrumentations. Une des pistes les moins chères consiste à récupérer du matériel dans les déchetterie : des lecteurs de CD, des disques durs, des imprimantes, des vidéos projecteurs, etc. Des systèmes qui ne sont plus en état de marche, mais dont les sous-systèmes (moteurs, lasers, optiques,..) fonctionnent encore. C’est la piste que nous avons adoptée.

– Revenons-en à vous : comment et pourquoi vous êtes-vous retrouvé à animer le Photonic FabLab ?

L’été 2017, l’Institut d’Optique était en quête d’un autre responsable suite au départ de Camille et d’Hélène. Comme j’étais en recherche d’emploi et que j’avais besoins d’un labo de R&D, j’ai posé ma candidature. J’ai commencé dès le mois de juillet. Au début à temps plein, le temps de recruter un Responsable Technique : Ambroise de Vries, qui m’a rejoint au fablab en novembre. Depuis, j’y travaille à mi-temps. Grâce à ce temps libre et à l’accès au fablab, j’ai pu prototyper un nouveau design de spectromètre et commencer à reprendre mes études sur du sang.

– Vous n’aviez donc pas renoncé à l’entrepreneuriat innovant, malgré votre apparent « échec » ? Allez-vous jusqu’à abonder dans le sens de ceux qui considèrent que l’échec fait partie intégrante de l’aventure entrepreneuriale ?

Oui. L’échec fait partie intégrante de l’expérience du startupper. C’est d’ailleurs un risque qui est d’autant plus grand que le projet est ambitieux. Je m’étonne cependant que ceux qui, en France, promeuvent cette idée, citent systématique en exemple les Etats-Unis, comme si ce pays était le seul à l’incarner. Or, cette idée est tout aussi admise en France. Suite au dépôt de bilan de ma première société, mes interlocuteurs se sont montrés bienveillants, en n’excluant pas la possibilité d’un rebond. Notre société avait pourtant, durant ses cinq années d’existence, dépensé un peu plus de 3 millions d’euros, levés pour moitié auprès d’investisseurs, financés pour le reste au moyen d’un prêt auprès de la BPI. Des sommes que ni les uns ni les autres ne reverront. Pourtant, investisseurs et financeurs n’ont pas rompu le contact. ils se sont même dit prêts à réexaminer, sans préjugé, un nouveau projet d’innovation et à me faire entrer dans les circuits classiques de l’accompagnement et du financement. Je viens d’ailleurs d’être accepté dans un programme d’accompagnement du Genopole – le Shaker. Actuellement, je suis plus dans une phase de R&D. Les premiers résultats sont encourageants, mais il y a encore du travail avant de voir s’il y a une réelle opportunité de création d’entreprise.

– En attendant, quelles sont vos ambitions pour le Photonic FabLab ? Quels axes de développement souhaitez-vous privilégier ?

Il s’agit d’abord d’atteindre les objectifs que l’on m’a fixés, le premier d’entre eux étant de le rendre autosuffisant financièrement, en réalisant des recettes supplémentaires. Pour l’heure, c’est l’Institut d’Optique qui le finance pour l’essentiel, hormis les abonnements que j’évoquais.

– Comment comptez-vous parvenir à cet autofinancement ?

Outre ces abonnements, nous proposons le principe de stages environnés : nous accompagnons des entreprises dans la rédaction d’un sujet de stage, l’identification du stagiaire et son encadrement, avec un objectif de prototypage sinon d’idéation d’une solution technologique. Deux sont d’ores et déjà programmés cette année – des stages de fin d’étude. L’un avec un grand équipementier automobile – le sujet étant confidentiel, je dirai juste qu’il porte sur de la vision visible et infrarouge.
L’autre est mené en partenariat avec l’association « Plastic Odyssey », qui cherche à valoriser les déchets plastiques. Elle a programmé un tour du monde avec un bateau qui sera propulsé grâce au carburant produit à partir du recyclage de ce genre de déchets, récupérés le long des côtes. A cette fin, elle s’inspire entre autre  du projet international « Precious Plastic », en vue de permettre une valorisation à l’échelle locale. Un défi de taille s’il en est. Il faut savoir en effet que tous les plastiques ne sont pas recyclables pour toutes les applications du fait notamment de la présence dans certains d’entre eux d’adjuvants difficiles à traiter. Un tri s’impose donc. Seulement, les technologies existantes vont des plus artisanales (on brule le plastique et on observe la flamme pour en connaître la composition) aux plus coûteuses (un centre de tri, doté d’un spectromètre infrarouge permettant de déterminer le type de plastique ; une solution qui, en plus d’un équipement coûteux, demande de pouvoir disposer des volumes suffisants pour être rentables).
Un outil portable, fiable et à bas coûts permettrait à des entrepreneurs de Pays du Sud, de rentabiliser, au travers de petites business units, leur activité en transformant le plastique recyclable en divers produits commercialisables (fils, sacs, mobiliers,…). Ce qui suppose de concevoir un spectromètre infrarouge peu onéreux. On en revient au principe d’une instrumentation frugale.

– Un mot sur l’autre catégorie de stage mise en place cette fois à l’attention d’enseignants de classes préparatoires. De quoi s’agit-il ? Comment en êtes-vous venu à le mettre en place ?

Il s’agit d’un stage LIESSE, une formule proposée depuis plusieurs années par des écoles d’ingénieur aux professeurs de classes préparatoires. L’an passé, le FabLab avait déjà proposé un stage aux enseignants de classes préparatoires dans le cadre des célébrations des 100 ans de l’Institut d’Optique. Il s’agissait alors de leur présenter le fablab et de les initier à ce qu’on pouvait y faire.

Nciri 2018 - 2PortraitLe stage que j’ai mis en place cette année vise cette fois à initier les profs au « do it yourself » et à leur transmettre des bases technologiques leur permettant de développer à moindre coût l’instrumentation dont ils ont besoin pour leurs TP ou pour accompagner leurs élèves dans le cadre des TIPE (Travaux d’Initiative Personnelle Encadrés).
Le 1er jour du stage consiste en un « désossage » de petits matériels informatiques mis au rebut : lecteurs de CD, disques dur, vidéo-projecteurs et imprimantes. Nos « élèves » apprennent à identifier et à récupérer certains modules d’intérêt : moteurs, micro-engrenages, diodes-laser, lentilles, caméras, miroirs DLP (DigitalLight Processor)… Ils apprennent ensuite comment « hacker », c’est-à-dire prendre le contrôle de certains modules avec un Arduino et quelques lignes de code.
Le 2e jour, nous utilisons une carte électronique avec des composants montés en surface en guise d’interfaçage avec les différents types de moteurs que nous aurons récupérés (de type DC, brushless, pas-à-pas ou linéaire). Cette carte est contrôlée en I2C avec l’Arduino. Elle a été designée par Maud Manne, une élève de l’Institut d’Optique dans le cadre d’un projet d’école que j’ai supervisé. Enfin, le dernier jour, ils apprennent à utiliser un Raspberry PI (un ordinateur qui ne coute que 30€) pour réaliser des acquisitions vidéo en temps-réel tout en mettant en œuvre la carte de commande moteur.

– En vous écoutant, je ne peux m’empêcher de penser à L’Age du faire (Seuil, 2015), l’ouvrage du sociologue Michel Lallement, qui vient de co-écrire un autre ouvrage, cette fois sur le phénomène des Makers (Seuil, 2016), tel qu’il s’est développé en France…

davCe phénomène est plus ancien qu’on ne le croit. Depuis toujours, on a pratiqué le bricolage. Si nouveauté il y a, elle tient, en plus de l’entrée dans l’ère du numérique, à l’émergence d’une vraie communauté d’expertises très diverses qui se nourrissent les unes des autres. Nous en sommes arrivés à un point où une même personne peut, sans être spécialiste, maîtriser tous les différents pans – électronique, mécanique, logiciel, prototypage,… – que ce soit pour faire un robot de loisir ou développer la prochaine innovation qui va changer le monde… Autre nouveauté : les gens ont une appétence à partager et documenter ce qu’ils ont fait et ce, dans le souci de faire gagner du temps à d’autres porteurs d’idées (et d’augmenter leur popularité dans la communauté !). De fait, quand on se lance dans un projet, on part rarement de zéro. Aujourd’hui plus que jamais, on s’informe de ce qui a été déjà fait et on s’inspire des meilleurs exemples.

– Quels sont vos liens avec les autres fablabs du Plateau de Saclay ?

De fait, l’écosystème compte de nombreux fablabs : entre l’Innov Lab de Cachan, le Digiscope de l’Inria, sans oublier ceux de l’X, de CentraleSupélec, d’AgroParistech… Nous échangeons entre nous, sur les problématiques communes, quand nos utilisateurs nous en laisse le temps !

– Quelles sont ces problématiques ?

La première concerne le financement des ressources humaines. Il existe des subventions conséquentes que l’on peut réussir à débloquer ponctuellement. Cette année le Photonic FabLab a, par exemple, reçu pas moins de 150 000 euros de la région Ile-de-France. Seulement, ces subventions ne peuvent être dépensées que pour l’acquisition de matériel (équipements, machines et consommables), et non être utilisées pour recruter des compétences. Or, celles-ci sont cruciales. Un fablab, ce n’est pas que des équipements et machines mis à disposition, cela suppose aussi des personnes à même de former et d’accompagner les utilisateurs. Tous ceux qui trouvent une utilité à recourir à une imprimante 3D ne savent pas forcément s’en servir.
Un fablab, c’est donc aussi le lieu où on peut trouver les experts à même de vous apprendre à les utiliser, et à comprendre leurs avantages et leurs limites. En plus des machines, nous passons aussi beaucoup de temps sur le software : Il y plusieurs logiciels de conception 3D, et il faut ensuite apprendre à générer les fichiers numériques, qui vont permettre de commander les machines. Rien ne sert donc de démultiplier les équipements s’il n’y a pas de personnes assez disponibles pour en assurer le bon usage.
Actuellement, les 300 m² du Photonic FabLab fonctionne avec seulement une personne et demie : moi-même et Ambroise, tous les deux en CDD. Les effectifs ne sont guère plus nombreux dans les autres fablabs. Leurs statuts sont souvent précaires. Tous ont pourtant besoin d’experts en électronique, en mécanique, en impression ou scan 3D, en découpe laser, en software…. Les personnes qui couvrent autant de domaines de compétences étant rares, il faudrait donc en principe constituer des équipes relativement étoffées.
Certes, pour ce qui nous concerne, nous pouvons compter sur des stagiaires et des étudiants, mais ceux-ci ne sauraient faire le travail de salariés permanents, ayant déjà une expérience de l’accompagnement d’utilisateurs.
Il y a un autre problème propre aux fablabs institutionnels comme le nôtre : nous ne pouvons faire nos courses en ligne, en payant par carte bancaire. Nous sommes contraints d’établir un devis tandis que le fournisseur doit accepter un paiement à 30 jours après livraison. En plus d’alourdir le processus de commande, cette règle nous empêche de commander chez les fournisseurs les moins chers et les plus innovants (Tindie, Adafruit, Amazone, Alibaba, Kickstarter …).

– Merci pour ce témoignage, qui pointe une réalité dont on n’a pas forcément conscience – qui dit fablab pense d’abord aux matériels qui s’y trouvent, pas aux compétences et expertises qu’il requiert pour son fonctionnement. Dans quelle mesure tablez-vous sur une mutualisation avec les autres fablabs de Paris-Saclay ?

C’est une perspective à creuser, effectivement. Nous ne sommes pas en concurrence. Encore une fois, nous sommes confrontés aux mêmes problématiques et échangeons volontiers entre nous. Si tous les utilisateurs ne se rendaient plus que dans un seul des fablabs du Plateau de Saclay, celui-ci ne serait pas en mesure de répondre à la moindre de leur attente. Heureusement, donc, que ces utilisateurs se dispatchent naturellement, sans renoncer pour autant à en fréquenter plusieurs en fonction de leurs besoins. Tous les fablab ne disposent pas des mêmes équipements ni ne sont forcément orientés vers le même champ de compétences. Et c’est sans doute ce qui fait aussi la richesse de l’écosystème de Paris-Saclay. Clairement, le nôtre est spécialisé dans la photonique. Une réalité qui milite pour jouer d’autant plus la carte de la complémentarité.

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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