Suite de nos échos à l’édition 2019 Paris-Saclay SPRING à travers le témoignage de Nadège Faul, responsable des projets de transport autonome au sein de VEDECOM.
– Si vous deviez commencer par préciser votre fonction au sein de VEDECOM ?
J’interviens sur l’ensemble des projets relatifs aux infrastructures nécessaires au véhicule autonome dans un environnement ouvert, que ce soit en milieu urbain, périurbain ou rural.
– Qui pense à la mobilité autonome pense d’abord au véhicule. Celui-ci suppose donc aussi des infrastructures adaptées…
Oui. C’est en tout cas le choix qu’à fait VEDECOM de penser ensemble, dans le cadre de Paris-Saclay Autonomous Lab, véhicule et infrastructures. Pour mémoire, ce projet, soutenu par l’ADEME et mené par Renault et Transdev en association avec plusieurs partenaires de recherche (VEDECOM, SystemX et ENSTA ParisTech), vise à développer un service complet de transports électriques intelligents sans conducteur et à la demande, et à en équiper le Plateau de Saclay de manière pérenne.
Tout autonome qu’il soit, un véhicule circule sur une route. Qu’il soit à l’arrêt ou en circulation, il interagit avec son environnement, à commencer par les infrastructures qui sont elles-mêmes de plus en plus communicantes et intelligentes, au sens où elles captent et fournissent des flux de données. Un véhicule autonome a bien sûr ses propres capacités de perception embarquées, qui lui permettent de prendre des décisions en fonction de son environnement immédiat, mais il a aussi besoin des capacités de perception des infrastructures pour élargir sa perception bien au-delà, quand le contexte est compliqué du fait du relief ou de circonstances particulières (un chantier, par exemple, comme il peut y en avoir ici, sur le Plateau de Saclay).
– On mesure par conséquent l’intérêt pour vous de pouvoir tester des véhicules autonomes à l’échelle d’un territoire…
En effet. Si des tests réalisés sur des pistes fermées sont utiles pour les besoins de la mise au point technique, ils ne sont pas suffisants. Tester un véhicule autonome en conditions réelles est indispensable. Cela permet de mettre en exergue l’importance de la dimension territoriale de cette solution d’avenir. De fait, son usage est nécessairement contextualisé : les infrastructures ne sont pas les mêmes selon qu’on est à Rouen [où une autre expérimentation est menée), à Lyon, à Paris ou ailleurs. Les autorités territoriales et les autres parties prenantes d’un projet de véhicule autonome ne sont pas les mêmes non plus, d’un territoire à l’autre, ni leur degré d’engagement ni leur vision du véhicule autonome (certains privilégient les navettes, d’autres des véhicules particuliers, d’autres encore, comme c’est le cas à Paris-Saclay, les deux). C’est dire aussi s’il faut envisager ce dernier comme un enjeu à la fois technique et numérique (du fait des équipements de captage et de traitement des données qu’il requiert), mais aussi sociétal, et s’il doit être en conséquence contextualisé dans un projet de territoire.
C’est d’ailleurs ainsi qu’on pourra garantir le succès d’un système de transport autonome en faisant en sorte qu’il soit en adéquation avec le contexte, y compris historique. Ainsi que l’expliquent les théories de la dépendance de sentier, les choix qui peuvent être faits dans ce domaine du VA comme en d’autres, sont fonction de choix antérieurs qu’il faut donc bien avoir en tête. On ne peut imposer une solution, un système, qui ne soit pas en adéquation avec la trajectoire historique d’un territoire, sauf à assumer d’introduire une rupture et à travailler davantage à son acceptabilité par la population.
– Ce que vous dites là fait pleinement sens avec la mise en perspective historique du projet de Paris-Saclay à laquelle nous nous employons à travers notre Web média. Cela étant dit, quelles sont donc les particularités du territoire de Paris-Saclay ? En quoi est-il intéressant pour l’avancée de vos tests ? En quoi aussi le fait qu’il abrite un cluster dédié à l’innovation technologique est-il un plus ?
Il y a dans ce territoire bien d’autres dimensions que cette vocation technologique et la concentration de laboratoires de recherche, qui le rendent intéressant. D’abord, je mettrai en avant sa complexité même ! Entre l’EPA Paris-Saclay, les collectivités locales (les villes de Massy et de Palaiseau, la Communauté Paris-Saclay, le Département de l’Essonne, la Région Île-de-France), lle-de-France Mobilités,… nous sommes face à un millefeuille d’autorités, qui est probablement sans égal (rire) ! Il nous oblige à faire preuve de beaucoup de patience y compris pour installer ne serait-ce qu’un mât supplémentaire [pour y placer des capteurs ou des caméras] et d’autres équipements dans la voirie. C’est une expérience dont on ne peut que ressortir renforcé pour réaliser des tests sur d’autres territoires… moins complexes.
– Quel autre intérêt voyez-vous à ce territoire de Paris-Saclay ?
C’est un territoire en devenir, en construction, avec un vrai projet d’innovation dans la technologie hardware. Forcément, cela le rend extrêmement intéressant. On y rencontre des populations (chercheurs, entrepreneurs, étudiants,…) particulièrement ouvertes et acculturées à l’innovation. Enfin, c’est un territoire confronté à un vrai problème de mobilité, ce qui incline à un degré de réceptivité des habitants et des usagers aux solutions apportées par le véhicule autonome, sans doute plus élevé qu’ailleurs.
– Où en êtes-vous dans le développement de vos recherches et expérimentations que ce soit autour de la navette ou des véhicules à la demande ?
Nous nous inscrivons dans la dynamique impulsée par Renault et Transdev, qui sont nos partenaires majeurs, autour des cas d’usages qu’ils ont définis en prenant le mieux possible en compte les particularités de la configuration territoriale. Cependant, nos propres recherches vont bien au-delà de leurs expérimentations. Elles portent sur d’autres types de cas d’usage, d’autres configurations territoriales ou encore d’autres cas de figure d’interactions entre le véhicule et son environnement.
Ici, nous sommes dans une configuration particulière, ainsi que je l’ai dit, qui nous éclaire sur les problématiques propres à des territoires plutôt périurbains. On ne saurait donc généraliser les enseignements de nos expérimentations pour des territoires plus densément peuplés ou, à l’inverse, plus ruraux.
– Etes-vous cependant en mesure de préciser à quel horizon on sera en mesure de proposer ici une offre de services de mobilité autonome, que ce soit sous forme de véhicules à la demande ou de navettes ?
Les personnes les plus à même de répondre à cette question sont nos collègues de Renault et de Transdev. C’est à eux que reviendra le soin de proposer des services. Nous, nous assurons seulement la mise en œuvre du volet infrastructures du projet. Cela étant dit, nos deux partenaires prévoient de commencer des expérimentations avec des panels d’utilisateurs dès l’automne, puis d’ouvrir à un plus large public. Tout dépendra cependant de l’évolution des résultats des expérimentations, mais aussi de l’évolution de la règlementation.
– A ce stade de l’entretien, j’aimerais partager avec vous le principal enseignement que je tire du test qu’il m’a été permis de faire, sur la base d’un véhicule ZOE, à savoir : l’attention requise de la part de la personne censée reprendre la main en cas de nécessité. Une attention telle qu’elle impose une formation préalable…
En effet, le VA requiert encore la présence d’une personne – un opérateur de sécurité – qui doit, comme vous le dites, rester concentrée – c’est un professionnel, qui est formé pour cela et qui ne peut travailler que sur des périodes assez courtes tant le niveau d’attention qui lui est demandé est élevé. Rien que de plus normal dès lors qu’on souhaite assurer prioritairement la sécurité des passagers. Et puis, nous en sommes encore à déchiffrer des situations complètement nouvelles, qui nous obligent à prendre le maximum de précaution. Naturellement, nous espérons tous que le recours à un opérateur de sécurité ne soit que temporaire et qu’un jour, on pourra s’en passer une fois démontrée la sûreté de services. C’est la condition à l’acceptabilité du véhicule autonome dans notre société.
Cela étant dit, l’opérateur de sécurité n’est pas la seule personne dont l’attention est requise. Il y a aussi le superviseur qui intervient depuis le Poste de Contrôle Centralisé, que nous avons visité le matin. Vous avez pu voir qu’une personne, un humain, suit l’évolution du trafic sur un territoire relativement étendu. Quelles sont les interfaces à concevoir pour une ergonomie optimale d’un tel poste de contrôle ? Quel est à terme le nombre de superviseurs à mobiliser pour quels nombres de véhicules autonomes en circulation ? Des questions auxquelles nous n’avons pas encore de réponse. C’est précisément l’enjeu de nos expérimentations que de nous aider à le savoir.
– Jusqu’à quand court Paris-Saclay Autonomous Lab ?
Le projet a été lancé en 2017 pour une durée de trente-six mois. Il s’achèvera donc l’année prochaine. Mais nous sommes déjà en mesure de vous dire qu’il se poursuivra dans le cadre d’un des deux programmes lauréats de l’appel à projet EVRA (Expérimentation du Véhicule Routier Autonome), administré par l’ADEME. Baptisé SAM, ce programme sera mis en œuvre dans son intégralité par VEDECOM sur treize sites d’expérimentation, dont le territoire de Paris-Saclay, avec toujours Transdev et Renault comme partenaires. Il prendra ainsi le relais du projet existant. Précisons encore que SAM sera coordonné par la Plateforme Française de l’Automobile, et réunit dix-neuf partenaires industriels ou de recherche.
– En vous écoutant expliquer la complexité du territoire et, donc, la multiplicité des interlocuteurs auxquels vous avez à faire face, je n’ai pu m’empêcher de vous imaginer à la manière d’un mouton à cinq pattes, sachant parler aussi bien avec des ingénieurs, des industriels, des chercheurs en sciences humaines et sociales, que des représentants de collectivités, d’administrations, etc.
(Sourire) De fait, le développement d’un véhicule autonome oblige de savoir communiquer avec des personnes et des organisations ou institutions, qui ne se parlaient pas ou n’avaient pas l’habitude de travailler ensemble. C’est sans doute d’ailleurs l’aspect le plus disruptif du véhicule autonome : il embarque une grande diversité de parties prenantes, d’horizons professionnels, institutionnels, disciplinaires, très différents. Nous ne sommes ni dans un projet technique, ni dans un projet de société, ni un projet de mobilité, mais dans tout cela à la fois et c’est ce qui rend l’aventure d’autant plus compliquée et passionnante. Quant à savoir s’il me faut être un mouton à cinq pattes… (rire).
A lire aussi :
– les comptes rendus de la cérémonie de clôture de Paris-Saclay Spring et du discours de Cédric Villani (pour y accéder, cliquer ici), de notre test d’un véhicule autonome dans le cadre du projet Paris-Saclay Autonomous Lab (cliquer ici) et de la table ronde « VC’s meet Clusters » (cliquer ici) ;
– les entretiens avec Laëtitia Pronzola, fondatrice de Lotaëmi, une start-up, qui a conçu un baume essentiel pour soin capillaire et peau sèche à base d’ingrédients 100% naturels (cliquer ici) ; Barthélémy Bourdon Barón Muñoz, CEO et cofondateur de Hajime, une start-up qui s’est placée à l’interface de la psychologie sociale et de l’IA pour améliorer l’observance thérapeutique (cliquer ici) ; Sylvain Franger et Arun Kumar Meena, chercheurs l’Institut de chimie moléculaire et des matériaux d’Orsay (Université Paris-Sud), qui participent au développement d’une nouvelle génération de batteries (cliquer ici).
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