Entretien avec Anaïs Barut, Arnaud Dubois et David Siret, cofondateurs de Damae Medical.
Suite de nos échos à la journée d’inauguration du bâtiment 503 entièrement rénové avec, cette fois, le témoignage recueilli sur le vif d’Anaïs Barut, d’Arnaud Dubois et de David Siret, les cofondateurs de Damae Medical, une des pépites issues de la Filière Innovation Entrepreneur.e.s. de l’Institut d’Optique.
- Vous avez témoigné dans le cadre d’une table ronde organisée à l’occasion de l’inauguration du bâtiment rénové du 503…
Anaïs Barut : En effet, et nous en sommes très heureux car c’est ici que Damae Medical est née il y a exactement dix ans, en ce mois d’octobre 2024. Nous ne pouvions pas rêver mieux que ce retour aux sources, pour un tel anniversaire, avec le plaisir d’y retrouver des visages familiers de personnes qui nous ont accompagnés dans cette aventure, donné un coup de main à des moments cruciaux.
- Pouvez-vous rappeler en quoi consiste la solution Damae Medical ?
Anaïs Barut : Damae Medical propose une solution à base d’imagerie, en dermatologie. Il faut savoir qu’aujourd’hui encore un dermatologue en est réduit à examiner à l’œil nul un symptôme suspect, de type mélanome ou autre. En cas de doute, il se gardera de faire ne serait-ce qu’un premier diagnostic à son patient. Il procèdera à une biopsie, autrement dit un prélèvement qu’il transmettra ensuite à un laboratoire d’analyse. Ce n’est que sur la base des résultats sous forme d’images prises au microscope, qu’il posera son diagnostic.
La solution Damae Medical, imaginée par Arnaud [Dubois], enseignant-chercheur à l’Institut d’Optique, consiste en de la microscopie in vivo, en temps réel. En somme, elle fait venir le microscope jusqu’au patient et non l’inverse. Concrètement, elle se présente sous la forme d’une technologie hardware qui peut évoquer un échographe. Elle dispose d’une sonde, qui se pose au contact du patient et permet d’imager la peau en profondeur, en 3D, à l’échelle cellulaire – avec une résolution d’un micron. En ayant ajouté de l’IA dans le traitement des images, nous parvenons maintenant à faire de la biopsie 3D digitale.
- Où en êtes-vous dans votre développement ?
Anaïs Barut : La commercialisation a débuté il y a deux ans, après huit ans de R&D, d’études cliniques et de validation règlementaire. Les chiffres sont plus qu’encourageants : 75 de nos appareils sont installés à ce jour, dans quatorze pays, principalement en Europe – en France, en Allemagne et en Italie -, mais aussi aux États-Unis, et plus récemment en Australie – un pays particulièrement affecté par les cancers cutanés. Nous comptons une trentaine de collaborateurs.
Notre technologie a par ailleurs donné lieu à une cinquantaine de brevets ; elle a fait l’objet de l’ordre de deux cents publications, tant du côté de la recherche en optique que de la recherche médicale – nous avons été accompagnés pour cela par des Key Opinion Leaders (leaders d’option).
- [À Arnaud Dubois]. Comment vous êtes-vous retrouvés à travailler avec des élèves ingénieurs de la FIE ?
Arnaud Dubois : En 2013, après une vingtaine d’années de recherche au laboratoire Charles Fabry de l’Institut d’Optique, j’inventais la technique d’imagerie appelée LC-OCT. Un premier brevet avait été déposé conjointement par l’Institut d’Optique, le CNRS et l’Université Paris-Saclay Au vu du potentiel de cette invention, j’ai considéré qu’il fallait la valoriser. Restait à savoir comment. Heureusement, j’avais entendu parler de la FIE. Quoique créée quelques années plus tôt, elle avait déjà une bonne réputation ; elle comptait plusieurs succès à son actif. J’ai participé à une journée de rencontres entre des chercheurs qui avaient des résultats à valoriser et des élèves-ingénieurs en quête d’un projet entrepreneurial. C’est à cette occasion que j’ai rencontré Anaïs et David. Pendant les deux années de leur formation, ils ont réalisé une étude de marché, travaillé sur la conception d’un prototype. Au sortir de leurs études, le prototype avait été validé, un marché porteur clairement identifié. Tous les trois, nous avons donc décidé de fonder Damae Medical avec l’ambition de proposer un dispositif d’imagerie médicale qui permettrait aux dermatologues de diagnostiquer les lésions de cancers de la peau directement sur le patient, en leur évitant une biopsie.
- Vous attendiez-vous à ce succès ?
Arnaud Dubois : Ah !… Se lancer dans un tel projet restait un pari ! Mes deux associés sortaient tout juste de leur école d’ingénieurs, sans véritable expérience professionnelle. Rappelons encore que nous étions partis de résultats de manipulation de recherche en labo, qu’il nous fallait transformer en un dispositif d’analyse médicale, sous la forme d’une petite sonde, que des professionnels, des dermatologues, pourraient tenir dans la main, sans risque qu’elle ne se dérègle au premier usage… Forcément, le chemin n’a pas été linéaire… Au préalable, et comme cela a été dit, il nous a fallu mener des études cliniques pour démontrer l’intérêt de la technique en dermatologie, puis aller convaincre les premiers intéressés – les dermatologues, donc -, de l’intérêt qu’ils pouvaient avoir à changer leurs pratiques – des pratiques bien établies -, en adaptant une nouvelle technique d’imagerie, beaucoup plus sophistiquée, puisqu’en 3D et digitale. Bref, rien à voir avec la simple loupe que les dermatologues utilisent d’ordinaire… Pour ne rien vous cacher, il y a eu beaucoup de travail pour arriver là où on en est aujourd’hui. Je suis d’autant plus impressionné par ce qu’Anaïs et David ont réalisé, par leurs compétences et leur capacité à s’entourer de collaborateurs talentueux.
Ces dix années de collaboration, qui ont fait passer une idée d’un laboratoire à une entreprise, a permis dans le même temps de valoriser l’activité de recherche à travers des publications, ce qui est toujours précieux pour un chercheur. Ces années m’auront aussi permis d’élargir le spectre de mes propres activités professionnelles : j’ai découvert le monde de l’entrepreneuriat innovant, des start-up, le milieu médical et d’autres univers encore.
En tant que chercheur, je trouve très satisfaisant le fait qu’une activité de recherche puisse se concrétiser sous la forme d’un produit qui trouve son marché en contribuant de surcroît à une avancée sur le plan médical. Je tiens donc encore une fois à dire le plaisir que j’ai à travailler avec Anaïs et David. Je ne regrette pas ce jour où je suis allé voir la FIE, il y a de cela plus d’une dizaine d’années et de m’être lancé dans cette aventure avec eux et tous ceux qui nous ont accompagnés. Une belle aventure humaine, qui se poursuit avec toujours de nouveaux projets et de nouvelles perspectives.
Anaïs Barut : Merci à toi, Arnaud, car, sans ton invention, rien de tout cela n’aurait été possible. Merci d’avoir pris l’initiative de prendre contact avec la FIE !
David Siret : Merci pour ton audace !
- Une aventure humaine et collective, donc. [À David Siret]. Vous souvenez-vous de vos ambitions professionnelles quand vous avez intégré SupOptique ? Étiez-vous convaincu de l’intérêt de créer Damae Medical, dès l’issue de la FIE ?
David Siret: Comme mes camarades, si j’ai souhaité intégrer SupOptique, c’était pour la qualité de son enseignement scientifique et technique, mais aussi pour sa Filière Innovation Entrepreneur.e.s. Je trouvais intéressante et pour tout dire stimulante cette possibilité de se former à l’entrepreneuriat innovant au sein d’une école d’ingénieurs, en s’investissant dans un vrai projet de création d’entreprise à forte composante technologique. Anaïs et moi avons eu l’occasion de faire connaissance et de faire très vite équipe. Dès l’année suivante, nous avons pu rencontrer Arnaud et démarrer notre projet. Nous avons bénéficié pour cela d’un environnement très privilégié, le Laboratoire Charles Fabry, et d’une formation express en photonique dès avant le module d’enseignement proposé dans cadre de la deuxième année ; nous avons pu utiliser ses ateliers techniques, disposer d’une salle de manipulation, de matériel pour les besoins de nos prototypes.
- Comment avez-vous travaillé avec les professionnels de la dermatologie ?
David Siret : Avec le recul, je mesure que notre valeur ajoutée a été justement de faire le pont entre la recherche expérimentale en physique et la dermatologie. Très tôt, nous avons réussi à mettre en place un partenariat avec le Professeur Jean-Luc Perrot, qui dirige aujourd’hui le service de dermatologie du CHU de Saint-Étienne, déjà très impliqué dans la photonique appliquée au médical. Il disposait d’un plateau technique unique et d’une expertise en imagerie cutanée. Ses équipes rêvaient d’une imagerie 3D, quantitative, à l’échelle cellulaire. Lors de notre première rencontre, nous sommes venues avec un prototype et des photos de manipulation. Nos interlocuteurs ont été enthousiastes, ne demandant qu’à poursuivre une collaboration avec nous. Nous avons donc commencé à travailler au sein du CHU, tester des prototypes, faire des images sur des échantillons de peau. C’est à ce moment-là que j’ai senti que nous passions d’un projet de valorisation d’une recherche scientifique à un projet destiné à répondre à une problématique médicale, avec des partenaires cliniques volontaires, qui y croyaient et ne demandaient qu’à nous accompagner en nous faisant profiter de leur propre expertise.
- De quels financements disposiez-vous pour amorcer votre projet ?
David Siret : Nous avons bénéficié d’un premier financement du CNRS, qui nous a permis d’embaucher Olivier Levecq un ingénieur de recherche et ce, dès la 2e année FIE. Il a été le premier employé de Damae Medical où il travaille toujours – il y dirige le pôle Produit. Nous avons ensuite obtenu des subventions qui nous ont permis de financer la recherche et l’innovation. Quand il s’est agi de créer l’entreprise, la 3e année, nous n’avons pas beaucoup hésité au vu des ressources humaines, techniques dont nous disposions déjà.
- Pour clore cet entretien, auriez-vous une anecdote que vous souhaiteriez partager tout particulièrement sur les premiers pas de Damae Medical ?
Anaïs Barut : En voici une que j’aime beaucoup, car elle dit beaucoup de la détermination qui a été la nôtre aux tous débuts, et que j’espère avoir conservée depuis. Elle concerne la pratique du pitch. Je crois n’avoir jamais autant pitché dans ma vie qu’au 503 ! Nous pitchions régulièrement – notre concept, notre business plan, etc. -, histoire de nous challenger mais aussi de décrocher des subventions. Car, avant même la création de la société, nous cherchions à nous constituer un pécule pour pouvoir faire notre première embauche. Parmi les subventions possibles, on avait repéré l’Idea Challenge organisé par l’EIT Digital. Nous avons donc déposé un dossier, mais n’avons pas été retenus…. Mais voici que quelques mois plus tard, nous redéposons un dossier, plus documenté. Cette fois, nous sommes pré-sélectionnés ! Seulement, nous apprenons qu’il nous faut aller pitcher à Eindhoven quelques jours plus tard… Or, à l’époque, nous n’avions pas les moyens d’acheter un billet de train pour une telle destination, ni de prendre une nuit d’hôtel. Surtout, nous avions cours le lendemain à dix heures… Qu’à cela ne tienne. David et moi, nous décidons d’y aller en voiture dans la nuit en nous disant que cela nous laisserait tout le temps de répéter notre pitch. Nous avons fait l’aller-retour en moins de 24 h. Bien nous en a pris, car nous avons été lauréats en empochant 40 000 euros !
J’espère avoir conservé intacte cette détermination, car l’histoire de Damae Medical n’est pas finie : la société va continuer à grossir et nous espérons bien atteindre les 60-70 collaborateurs d’ici quelques années. Précisions que parmi la trentaine actuelle, plus de la moitié sont issus de l’Institut d’Optique – ils ont rejoints nos départements Produit, Logiciel, Service, Clinique et Marketing. On ressent le fait de partager des valeurs communes, inculquées par nos années FIE. C’est dire si nous espérons maintenir le lien avec notre ancienne école.
Journaliste
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