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Aménagement & Architecture

Des chantiers qui prennent soin des espèces vivantes

Le 21 septembre 2024

Entretien avec Camille Guignan, directrice technique, à l'EPA de Paris-Saclay

Le saviez-vous ? Avant de lancer un chantier de construction de bâtiments ou d’un espace public, l’EPA Paris-Saclay fait procéder si besoin à un désherbage préalable des parcelles concernées. Mais encore faut-il qu’il n’y ait pas de nidification ou de reproduction d’espèces en cours… Dans ce cas, le projet est suspendu à une période plus propice ou donne lieu à des mesures préventives. Directrice technique, Camille Guignan lève le voile sur cette réalité méconnue, en revenant sur les moyens mis en œuvre, dans un souci permanent d’équilibre entre préservation de la biodiversité et le respect des échéances relatives aux chantiers. Et ce, dans les règles de l’art…

- Pour commencer, pouvez-vous nous dire en quoi consistent les activités de désherbage sur des chantiers de construction et d’aménagement et les problématiques qu’elles recouvrent dans le contexte de l’OIN Paris-Saclay ?

Camille Guignan : En vertu d’un arrêté préfectoral propre à chaque ZAC du Sud Plateau, l’EPA Paris Saclay est tenu de veiller à la préservation aussi bien de la faune que de la flore susceptibles d’êtes impactées par les chantiers de construction ou d’aménagement menés dans nos ZAC.
Concrètement, les opérations de débroussaillage (je préfère ce terme à celui de désherbage, qui connote l’usage d’intrants chimiques) que nous effectuons sur nos propriétés foncières avant le lancement d’un chantier, doivent l’être en dehors des périodes de nidification ou de reproduction d’espèces animales. Soit avant mars ou après le mois de septembre. Nous ne sommes pas cependant à la merci de surprises…

- Lesquelles ?

C.G. : Sur le plateau de Saclay, le sol des terrains dans lesquels nous intervenons est particulièrement meuble. Résultat : le moindre passage d’un engin de chantier a pour effet de créer des ornières, lesquelles peuvent se transformer, si les précipitations perdurent et si l’eau stagne, en mares voire en zones humides, susceptibles d’être investies par des espèces (à commencer par les amphibiens : grenouilles, crapauds,…). Un problème qui s’est particulièrement posé cette année compte tenu du niveau de précipitations exceptionnel que nous avons enregistré depuis le printemps. Or, dès qu’une zone humide se forme et que des espèces s’y reproduisent, nous ne pouvons plus y intervenir avant la fin de leur reproduction et devons estimer le volume de la nouvelle zone humide et la doubler pour compenser sa destruction, en vertu des engagements pris dans les arrêtés préfectoraux, à l’échelle du Sud Plateau.

- Que faites-vous dans ce cas de figure ?

C.G. : Soit nous intervenons en amont en nous abstenant de faire rouler des engins durant les périodes défavorables à la formation d’ornières trop importantes, soit nous « régalons », comme on dit, le terrain (autrement dit, on le nivelle), juste après l’intervention pour faire disparaître les ornières. Il faut être réactif car les espèces peuvent investir très rapidement les lieux ! Si, maintenant, nous ne pouvons pas faire autrement que d’intervenir en période de reproduction d’une espèce, au risque sinon de prendre trop de retard dans la livraison d’un bâtiment ou d’un espace pubic, nous sommes tenus, toujours par l’arrêté préfectoral que j’ai évoqué, de mettre en place des mesures préventives comme, par exemple, des barrières anti-retour faisant office de déflecteurs – elles les orientent vers des endroits éloignés des chantiers en cours.

- Qui s’assure du respect de ces diverses obligations ?

C.G. : En parallèle de ces actions, nous sommes également tenus de faire, entre autre, un bilan annuel des opérations de débroussaillage réalisées dans nos chantiers et des mesures préventives mises en place le cas échéant. Bilan que nous transmettons à ma collègue Emeline Bardou-Lapaix, cheffe de projets Biodiversité, qui le transmet ensuite à la DRIEAT (Direction régionale et interdépartementale, de l’environnement, de l’aménagement et des transports) Île-de-France, qui s’assure du respect des engagements pris lors de l’arrêté préfectoral des ZAC.

- On imagine l’expertise et les compétences développées en interne…

C.G. : En interne et en nous appuyant sur celles de bureaux d’études spécialisés dont Confluence. Spécialisé en écologie et en hydrologie, il nous accompagne dès la phase conception dans l’application et le respect des orientations environnementales décrites dans l’arrêté préfectoral. C’est lui aussi qui prospecte la zone de chantier avant toutes opérations de débroussaillage, pour s’assurer de l’absence d’oiseaux nicheurs ou d’espèces en cours de reproduction. C’est également avec lui que nous dressons un inventaire de la biodiversité et le bilan annuel des actions menées dans les ZAC du plateau de Saclay.

- Et ces opérations de débroussaillage, qui les effectue ?

C.G. : Nous les confions à notre entreprise bailleur chargée de l’entretien des espaces verts des ZAC du Sud Plateau, France Environnement. Cette entreprise fait partie du groupement dédié au bail voirie (Probinord/Alpha TP, France Environnement).

- On mesure à vous entendre le nombre important de personnes que mobilise cet enjeu du débroussaillage. Quel est votre rôle exactement ?

C.G. : Au sein de l’EPA Paris-Saclay et de sa direction de l’Ingénierie, mon rôle est de faire le lien entre les chargés de projets de l’EPA Paris-Saclay et mon collègue Yannick Mercier, en charge du bail voirie, qui a, à ce titre, pour mission d’assurer la gestion quotidienne des ZAC du Sud Plateau. S’il y a effectivement lieu de faire un débroussaillage, je donne le feu vert à ce dernier, qui prend alors contact avec France Environnement pour l’intervention de débroussailleurs, sous réserve des résultats de l’inspection préalable de Confluence, que j’évoquais.

- Rappelons que les ZAC du plateau de Saclay sont situées dans des zones à dominante agricole sinon naturelle. Est-ce à dire que cette problématique du débroussaillage se pose avec plus d’acuité pour l’EPA Paris-Saclay que d’autres EPA intervenants davantage en zone urbaine ?

C.G. : Oui, certainement. Je peux en témoigner pour avoir auparavant travaillé pour des opérateurs intervenant plutôt en milieu urbain et qui manifestaient moins de sensibilité à la biodiversité. D’où mon agréable surprise a mon arrivée à l’EPA Paris-Saclay de constater à quel point les équipes manifestaient au contraire et depuis longtemps une attention particulière à la préservation des milieux naturels et agricoles. J’ai aussi pris la mesure de tout ce qui doit être mis en œuvre pour y parvenir.
Certes, ces « obligations » réglementaires sont conséquentes, mais en réalité, j’y vois une bonne chose : elles nous obligent à faire preuve d’attention à l’égard des espèces vivantes, et c’est tant mieux. Comme mes collègues, j’ai le souci de préserver l’environnement. Certes, elles impactent le mode de gestion des projets, engendrent aussi des surcoûts, mais quoi de plus normal dès lors qu’on garde à l’esprit qu’on intervient dans des milieux peuplés d’espèces vivantes qu’il nous faut prendre en considération. Après tout, elles sont aussi chez elles ! Nous intervenons dans des milieux naturels qui préexistaient à l’OIN Paris-Saclay. Nous avons donc nous aussi à nous adapter. Le projet urbain sera d’ailleurs d’autant plus accepté par la population qu’il respecte le vivant dans toutes ses dimensions. Certes, l’OIN Paris-Saclay se fait au prix d’une imperméabilisation des surfaces par la construction de bâtiments et d’espaces publics, et donc, d’impacts inévitables sur ces milieux naturels. Faut-il pour autant renoncer à un projet comme le cluster de Paris-Saclay ? Vaste sujet que pour ma part, j’aborderai en tâchant de trouver un juste équilibre entre les deux.

- Qu’en est-il des habitants et des associations locales ? Dans quelle mesure sont-ils impliqués dans vos opérations de débroussaillage ? La mise en œuvre des mesures préventives ?

C.G. : Nous interagissons avec eux à différents niveaux. Au stade de la conception, mais aussi de la réalisation de nos projets, nous travaillons avec le Comité de suivi, lequel, pour mémoire, réunit des personnes qualifiées qui vont examiner ces projets au regard de leur impact environnemental. Le moins qu’on puisse dire est que ses membres se montrent vigilants, veillent à ce qu’on intervienne le moins possible sur le milieu. Ce qui n’est évidemment pas simple : nos interventions participent d’une Opération d’Intérêt National consistant à créer un pôle scientifique et technologique de classe mondiale. Les aménagements du territoire, la construction de bâtiments, d’équipements, de gares, etc., impactent nécessairement les milieux naturels. Le défi qu’il nous revient de relever est de parvenir à un juste équilibre – j’y reviens – entre cette ambition et la préservation des espèces qui s’y trouvent et reproduisent. Nous travaillons donc aussi étroitement que possible avec le Comité de suivi pour parvenir à cet équilibre. Nous nous employons aussi à sensibiliser la population. À cette fin, nous avons installé, par exemple ; une quinzaine de panneaux d’information pédagogique, dans le cadre du parc naturaliste conçu par Michel Desvigne, à cheval sur les ZAC de l’École polytechnique et de Corbeville. Ils décrivent la faune et la flore que le randonneur peut découvrir tout du long de son parcours, les différences entre une zone humide, une mouillère, un terrain sec…

- Très bien, mais n’y aurait-il pas lieu d’expliquer aussi ce que l’EPA Paris-Saclay entreprend dans les parcelles de ces chantiers, les actions de débroussaillage et les mesures préventives notamment que vous avez décrites ? Il est fort probable qu’elles soient méconnues du grand public…

C.G. : En effet, ces actions de concertation seraient un vrai plus ! Gageons que cet entretien contribuera déjà à faire connaître ces aspects méconnus des activités d’un établissement comme le nôtre.

- Pour clore cet entretien, j’aimerais revenir sur votre parcours. Vous avez évoqué des expériences professionnelles antérieures dans le cadre d’autres projets urbains. Mais qu’est-ce qui vous a prédisposée à rejoindre l’EPA Paris-Saclay ?

C.G. : J’ai fait une licence à l’Institut français d’urbanisme, à Marne-la-Vallée, qui m’a orientée vers la maîtrise d’ouvrage d’espaces publics. J’ai enchaîné ensuite plusieurs expériences professionnelles, y compris dans le bâtiment et le paysagisme en suivant notamment des cours du soir pour me mettre au niveau. Mais en 2020, j’ai voulu travailler sur des espaces plus ruraux, étant de plus en plus sensible aux enjeux environnementaux. C’est ainsi que j’en suis venue à postuler à l’EPA Paris-Saclay ! Je me rappelle de la réaction du directeur de l’Ingénierie, Michael Toriel, au moment de mon entretien d’embauche, lorsqu’il m’a demandé ce que j’avais fait avant ma licence…

`- À savoir ?

C.G. : Un Deug d’arts plastiques ! Manifestement, ma sensibilité artistique ne lui a pas paru hors sujet ! De fait, je suis sensible à tout ce qui peut concourir à l’esthétique et la composition, l’équilibre d’un lieu de vie, d’un paysage. Une esthétique à laquelle le vivant, végétal et animal, participe directement. Cela étant dit, il en a été de cette prise de poste comme des précédentes. Elle fut aussi pour moi une prise de… risque, au sens où il m’a fallu découvrir en marchant divers aspects des dossiers à traiter. C’est aussi en cela que c’est stimulant ; j’ai pu traiter et approfondir de nouveaux sujets, comme celui du débroussaillage.

- Il reste qu’à vous avoir entendue, on comprend aussi que la préservation de l’environnement repose sur des procédures administratives, réglementaires, plus fastidieuses qu’esthétiques…

C.G. : Pour avoir une sensibilité artistique, je n’en apprécie pas moins aussi la rigueur ! J’aime que les choses soient faites dans les règles de l’art. Car ce sont elles qui permettent de travailler en bonne intelligence avec les autres parties prenantes, en instaurant un langage commun. Certes, ces contraintes juridiques, réglementaires peuvent paraître pesantes, donner le sentiment de restreindre nos capacités d’innovation dans la conception des espaces publics comme des bâtiments, mais c’est peut-être aussi le prix à payer pour garantir que ceux-ci soient vraiment accessibles à tous et respectueux de l’environnement.

Publié dans :

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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