Cet été 2015, Europe 1* consacrait une série de portraits de « personnalités atypiques, trentenaires et atouts majeurs de la France de demain ». Parmi elles : Anaïs Barut, présidente de DAMAE Medical, une start-up qu’elle a cofondée à Paris-Saclay et qui a mis au point un diagnostic de tumeurs de la peau sans biopsie. Forcément, notre curiosité a été aiguisée. Cette personnalité réellement atypique a bien voulu se prêter de nouveau au jeu des questions-réponses, juste avant de prendre un avion pour se rendre au MIT…
– En quoi consiste votre innovation ?
Elle permet un diagnostic des tumeurs cutanées sans biopsie, et donc de manière non invasive, en projetant un faisceau de lumière sur la surface de la peau à analyser. En se réfléchissant, la lumière transmet des informations précises sur sa structure, qui est reconstituée au moyen d’algorithmes. En plus d’éviter un prélèvement, cette méthode permet de gagner en précision : la coupe optique se fait sur une profondeur d’1 mm là où les technologies d’imagerie in vivo actuellement utilisées offrent seulement une projection horizontale et sur une profondeur limitée à 250 micromètres. Autre avantage : le diagnostic s’effectue quasiment en temps réel. Le patient n’a donc pas à attendre une quinzaine de jours avant d’en connaître le résultat. En somme, nous transposons à la dermatologie ce que les avancées ont permis de réaliser en matière d’imagerie optique. A l’attention des spécialistes, je précise que nous nous appuyons pour cela sur une caméra à haute cadence qui permet de reconstituer a posteriori une image morphologique interne du tissu à partir de l’information fournie par les interférences optiques créées dans le système.
Au-delà de l’amélioration du confort du patient, notre innovation technologique permet d’améliorer ses chances de survie. Car plus on diagnostique tôt une tumeur cutanée, plus on élève les chances de survie du patient. C’est dire si la dermatologie est un domaine particulièrement intéressant : en la matière, le diagnostic précoce compte plus que le traitement lui-même.
– Est-ce à dire que c’est une innovation de rupture ?
Oui, de rupture et à tous les étages, serais-je tentée de dire. En règle générale, les innovations ne font que se diffuser dans le temps, d’un domaine à l’autre : des percées enregistrées dans le domaine de l’optique, par exemple, n’auront que plus tard des répercussions dans d’autres domaines, lesquels, à leur tour, susciteront d’autres innovations qui, seulement ensuite, trouveront leur business model. Or, notre ambition est ni plus ni moins d’innover simultanément au plan de l’optique, de la dermatologique et du modèle économique. Ce qui implique que le moindre de nos collaborateurs et partenaires, en interne et en externe, ait un état d’esprit entrepreneurial.
– Comment en êtes-vous venue à créer DAMAE Medical ?
A l’occasion de mon double diplôme d’HEC Paris et de la Filière Innovation-Entrepreneurs (FIE) de l’IOGS, j’ai rencontré un de mes futurs associés, David Siret [à gauche sur la photo]. En menant des projets entrepreneuriaux, nous avons constaté que nous avions manifestement plaisir à travailler ensemble, qu’à nous deux, nous étions efficaces, lui s’occupant plus de l’aspect technique, moi des aspects opérationnel et financier. De plus, nous partagions les mêmes valeurs concernant l’entrepreneuriat. L’idée de créer une entreprise s’est donc naturellement imposée. Nous voulions le faire dès que possible, à la fin de nos études voire même avant ! Restait à identifier la technologie que nous pourrions valoriser. En 2012, nous sommes partis en quête d’un laboratoire, comme la FIE incite à le faire, dans l’idée de valoriser des recherches scientifiques, en l’occurrence celui du groupe Biophonique du Laboratoire Charles Fabry de l’Institut d’Optique. C’est ainsi que nous avons rencontré le Professeur Arnaud Dubois, devenu par la suite le troisième associé de DAMAE Medical. Il nous a présenté son idée de technologie de rupture, résultant de ses nombreuses années de recherches. Tout restait à faire pour la traduire en réel produit innovant. C’est précisément ce qui nous a intéressés, David et moi : tout créer, de A à Z, de la preuve du concept à la commercialisation, en passant par les tests cliniques et l’industrialisation. Sans compter le fait de combiner les différents aspects d’un projet entrepreneurial : l’ingénierie, bien sûr, mais aussi le financement, la qualité, la réglementation, le juridique etc.
– Que dites-vous à ceux qui se demandent comment devenir entrepreneur dans un domaine aussi pointu, sans en être issu ?
C’est tout l’intérêt de l’entrepreneuriat innovant que d’être d’abord une aventure collective consistant à associer des compétences variées et complémentaires. Pour ma part, j’apporte mes compétences en matière de commerce et de management de technologies innovantes, tandis que David, Directeur Général, apporte les siennes en biophotonique et en valorisation de l’innovation médicale, et qu’Arnaud assure la supervision scientifique. Cela étant dit, la dermatologie est un domaine proprement passionnant. Dès lors qu’il s’agit de contribuer à améliorer le bien-être des personnes, vous êtes naturellement incité à parfaire vos connaissances.
Il est tout aussi clair que la force d’une start-up comme la nôtre, c’est, outre la polyvalence de ses cofondateurs, la capacité à s’associer à des ressources humaines très diverses, en interne comme en externe. En l’occurrence : des médecins, des ingénieurs, des dermatologues, des biologistes, des informaticiens, des financiers… Autant de talents dont nous avons besoin et que nous parvenons à mobiliser en partageant notre enthousiasme. On ne remerciera jamais nos partenaires pour leur apport.
– Dont beaucoup sont implantés sur Paris-Saclay, à l’image de l’IOGS, d’HEC Paris, du CNRS, etc. Est-ce que DAMAE Medical aurait pu voir le jour ailleurs que dans cet écosystème ?
Il est clair qu’une start-up comme DAMAE Medical n’aurait pu voir le jour en dehors d’un cluster aussi riche que celui de Paris-Saclay. Moi-même, je suis un produit de Paris-Saclay ! J’y ai fait mes études aussi bien d’ingénieur que de commerce et de management.
DAMAE Medical a la particularité d’être à la jonction de mondes – en l’occurrence l’optique et le médical – qui commencent juste à se rencontrer. Or ces deux domaines sont très présents à Paris-Saclay : à travers l’IOGS, pour le premier, à travers tout un ensemble d’acteurs pour le second, constituant un véritable cluster santé. Paris-Saclay est particulièrement favorable à l’entrepreneuriat étudiant, que ce soit à travers ses formations, ses FabLab, ses incubateurs, etc. D’autres clusters sont certes favorables, je pense au MIT par exemple, où je me rends d’ailleurs d’ici deux jours…
– Pour y délocaliser DAMAE médical ?
Non ! Nous y allons pour y rencontrer des dermatologues américains intéressés par notre technologie. Le marché est mondial. Nous nous devons donc nous projeter d’emblée à l’international. Nous le ferons d’autant plus que nous pouvons nous appuyer sur l’écosystème de Paris-Saclay.
– Où en êtes-vous dans votre développement ?
Nous en sommes au stade d’une 2e version du prototype, plus compact, transportable, et stable. Ce prototype est fréquemment utilisé dans le cadre de tests précliniques sur des souris notamment et très prochainement nous entamerons des tests sur des patients au sein des centres hospitaliers partenaires. A l’issue de cet essai clinique, nous réaliserons une première pré-série industrielle de produits avant de lancer la phase de commercialisation.
– Si vous deviez donner un conseil à des étudiants entrepreneurs ?
Je ne pense pas qu’il existera demain une école formant intégralement à l’entrepreneuriat, sauf à être l’école de la vie ! Quiconque peut donc être entrepreneur à un moment de son cursus, dès lors qu’il porte un projet qui lui tient à cœur. Il faut juste saisir le bon moment, saisir l’opportunité des bonnes rencontres. Dans mon cas, ce fut donc avec David, rencontré dans le cadre de la FIE. Lui et moi ne rêvions qu’à une chose : changer le monde, ni plus ni moins. Or, cela, nous ne pensions pas pouvoir le faire en intégrant un grand groupe industriel. Non pas qu’on ne veuille pas le faire un jour. Mais avant même la fin de nos études, nous avions besoin d’apporter notre contribution, en menant à bien notre projet entrepreneurial.
NB : précisons que DAMAE Medical a été finaliste du Hello Tomorrow Challenge, soit parmi les 25 meilleurs projets européens, sur 1 200 au départ. Seuls 8 l’ont été en France, dont deux issus de la FIE.
* Merci à Guillaume Pasquier d’avoir attiré notre attention sur ce témoignage qui nous avait échappé. Il est vrai que nous sommes fidèle à une autre station généraliste !
Journaliste
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